Les monstres géants japonais à la conquête de l’Espagne
Fan de kaiju depuis son enfance, le développeur Locomalito partage ses influences et son approche du jeu indie (gratuité, héritage arcade, pixel art…) à travers sa dernière création : Gaurodan !
Gaurodan est un jeu d’arcade ultra addictif, téléchargeable gratuitement (vous pouvez verser ce que vous voulez !) sur PC via le site officiel de Locomalito.
Je pense que le simple fait d’avoir été exposé à ce type de jeux pendant des années m’a permis d’assimiler leur design, et j’ai fini par m’approprier leur langage. C’est comme ça que l’arcade est devenue ma seconde langue maternelle.
(Locomalito, développeur de jeu vidéo indépendant)
J’ai découvert le travail de Juan “Locomalito” Becerra à travers son amour pour le pixel art et les jeux d’arcade.
Le développeur espagnol, qui a gentiment accepté de répondre à mes questions par e-mail, a grandi entouré de bornes d’arcade. Dans les cafés, les restaurants, les marchés, elles étaient partout à la fin des années 80 / début des années 90. Plutôt timide, et généralement sans le sou, il se contentait la plupart du temps de regarder les gens jouer. Et par ce biais, il étudiait le design et les mécaniques qui nourrissaient le gameplay de ces classiques.
Ghost' n Goblins, R-Type et Commando, des jeux cultes souvent cités par Locomalito pour avoir inspiré ses propres créations ! (images du site The Arcade Flyer Archive).
J’ai énormément appris en extrapolant à partir de ce que j’observais : les limitations en termes de couleurs, la grille 8x8, les collisions… ce genre de choses. Mais je n’étais jamais sûr, parce que chaque machine possédait ses propres spécifications techniques. (...) Étant enfant je rêvais de créer mes propres jeux, mais ce rêve s’est évaporé une fois devenu adulte. J’ai cependant fini par réaliser que le “monde des adultes” n’était pas ce qu’il était supposé être, et j’ai décidé de dédier une partie de mon énergie et de mon temps libre à la création des jeux dont je rêvais étant enfant, juste pour le fun. En 2007, après un bon paquet de tentatives infructueuses, j’ai commencé à développer des projets de taille plus modeste, et en 2008 j’ai sorti mon premier jeu complet (8Bit Killer). Depuis je travaille avec un ami (le légendaire compositeur Gryzor87) sur une collection de jeux “classiques” pour micro-ordinateurs.
Parmi ces jeux, outre 8Bit Killer (un FPS rétro à la Wolfenstein 3D), on trouve Maldita Castilla EX: Cursed Castilla (vibrant hommage à Ghost ‘n Goblins) ; Toxic Tomb (inspiré par les jeux d’action / plates-formes de la Sega Master System) ; ou encore le shoot’em upSuper Hydorah, sorti en 2017.
Voici une capture d’écran de la version Switch du très bon Super Hydorah (jouable à deux !) sortie en 2018 en téléchargement, mais aussi en boîte via l’éditeur espagnol Abylight.
C’est à travers Super Hydorah que j’ai été exposé (bien trop tardivement à mon goût !) au travail de Locomalito, dont le site héberge une grosse quinzaine de jeux téléchargeables… gratuitement ! Mais on reviendra plus tard sur ce modèle commercial pour le moins improbable, il est désormais temps de parler du jeu qui nous intéresse aujourd’hui : Gaurodan !
Quelques croquis préparatoires de l'intro de Gaurodan et du premier niveau du jeu. Des dessins que Locomalito a gentiment accepté de partager avec nous.
Après un tremblement de terre, un oeuf énorme est découvert à l’intérieur du Teide, un volcan situé dans les Îles Canaries.
Et alors que les scientifiques s’activent pour tenter de comprendre son origine, l’oeuf commence à montrer des signes de vie… Curieusement, c’est à ce moment précis qu’un second oeuf fait son apparition sur une autre île des Canaries située un plus à l’Est, au sommet du Mont Tindaya. Mais là, les scientifiques n’ont pas le temps de l’étudier. L’oeuf éclot pour révéler une espèce d’oiseau préhistorique géant qui commence à tout détruire sur son chemin.
Et nous sommes aux premières loges de ce vandalisme XXL puisque ce monstre géant… c’est nous !
Cet oiseau démesuré est un kaiju bien sûr, l’un des monstres géants japonais qui ont rapidement défilés sur les écrans de cinéma suite à l’apparition et au succès historique d’un certain Godzilla en 1954. Cet oiseau destructeur, appelé Gaurodan, est inspiré par Rodan bien sûr ! Vous en avez déjà entendu parler ?
Cet espèce de ptéranodon géant est apparu dans le film éponyme de 1956, avant qu’il ne vienne rejoindre les alliés du King of Monsters dans le film de 1964 : Ghidorah (nom du célèbre dragon maléfique à trois têtes et ennemi juré de Godzilla).
Quand j’étais petit, la télé locale diffusait les films Godzilla et Gamera. À l’époque, les effets spéciaux avaient l’air mauvais et désuets, mais j’adorais les thèmes des films : les monstres géants, la montée en tension, les évacuations, l’incapacité de l’armée à stopper la menace… Avec le temps, j’ai aussi fini par apprécier le côté artisanal des effets spéciaux pratiques, pour finalement devenir un fan du genre.
De gauche à droite : Rodan dans le film Toho de 1968 Les envahisseurs attaquent (Destroy All Monsters) ; au milieu un croquis réalisé par Locomalito ; et enfin une capture du jeu Gaurodan avec la version ré-imaginée du kaiju en plein combat contre un autre monstre géant !
Mais l’amour de Locomalito ne se limite pas au kaiju eiga, soit aux films japonais mettant en scène des monstres géants. Il a aussi tenu à mettre en scène son propre patrimoine et en l’occurence la mythologie de l’archipel espagnol des Canaries. La carte du jeu reproduit d’ailleurs fidèlement l’archipel, dont les îles se prêtent à merveille au découpage en niveaux !
Je voulais que l’on dirige un oiseau géant pour les mécaniques du jeu. J’ai d’abord pensé à une créature proche de Garuda (homme-oiseau de la mythologie hindouiste) et de Rodan (le copain de Godzilla) afin de parler à la fois aux fans de mythologie et de kaiju eiga. Mais je souhaitais aussi créer une connexion avec la mythologie espagnole, tout particulièrement avec le dieu du ciel Achamán lié à l’histoire des Îles Canaries. Mais comme Achamán est un dieu tout puissant et est décrit comme ayant une forme humaine, j’ai décidé de façonner une entité appelée Gaurodan, qui aurait été envoyée par Achamán.
De gauche à droite : les notes de design sur papier ; une image de la bêta du jeu en 2012/2013 ; et enfin la version finale de 2025.
J’ai toujours admiré les jeux vidéo japonais, mais je n’ai jamais pu m’empêcher de trouver bizarre l’inclusion de colonnes grecques dans des châteaux médiévaux d’Europe centrale par exemple. Ce genre d’anachronismes m’a toujours fait penser que des références factuelles conféraient une cohérence esthétique aux histoires. Quand j’ai créé Maldita Castilla, l’un de nos jeux les plus populaires, juste avant la première version de Gaurodan, on a donc fait pas mal de recherches. Et pour Gaurodan, on a adopté la même approche. Au départ l’idée des Canaries est venue de leur contexte géographique : un archipel nous permettait de différencier nos niveaux et de créer des environnements sur terre mais aussi sur l’eau. Et c’est en découvrant la mythologie des îles que l’on s’est aperçu que la connexion pouvait être encore plus forte.
La carte du jeu est identique à celle de l’archipel espagnol des Îles Canaries. Et les volcans mentionnés existent réellement, tout comme le nom de certaines créatures mythologiques (Guayota par exemple, le boss final du jeu !).
Gaurodan est avant tout un pur jeu d’arcade, qui reprend dans sa présentation l’esthétique d’une borne avec ses illustrations colorées et ses instructions bien visibles détaillant les contrôles du jeu.
On y jouant, j’ai immédiatement pensé à Choplifter. On contrôle en effet notre kaiju comme l’hélicoptère du jeu Broderbund de 1982. Mais Locomalito cite d’autres classiques, comme 1942, Defender et bien entendu Rampage !
Rampage est un jeu d’arcade Bally Midway de 1986 où l’on incarnait 3 monstres géants (George, Lizzie, and Ralph : un singe, un lézard et un loup) au milieu d’immeubles à réduire en miettes ! Le visuel de droite est l’une des illustrations de Marek Barej réalisées pour Gaurodan.
Voler un peu partout et tirer des salves d’énergie pour détruire des buildings en évitant les ennemis, était la toute première idée derrière le jeu. (...) Je voulais créer quelque chose avec une mécanique particulière, où l’on est constamment en mouvement, ce qui fait que viser et éviter les projectiles devient vite assez complexe.
Une petite saisie vidéo du premier boss croisé dans Gaurodan !
Tel le requin, notre kaiju ailé ne s’arrête jamais. Il faut donc parvenir à le contrôler et à le faire pivoter au bon moment pour échapper aux attaques des forces armées constituées de tanks, hélicoptères et autres avions de chasse. Mais afin de passer au niveau suivant il convient également de raser toutes les structures humaines, celles-ci étant de mieux en mieux protégées au fil de notre progression. Et bien sûr, on est aussi amené à croiser sur son chemin des boss qui prennent l’apparence de monstres géants !
L’apparente simplicité de Gaurodan laisse vite transparaître de multiples subtilités, comme sa gestion de la mécanique de tir par exemple. On shoote en effet des rayons électriques en maintenant appuyé le bouton de tir. Mais plus on l’utilise, plus il perd en puissance ! On doit donc non seulement parvenir à placer notre kaiju en “position de tir” (n’oubliez pas qu’il ne peut jamais s’arrêter !), mais aussi gérer la puissance de ses éclairs en espaçant stratégiquement nos attaques. Si on ajoute à cela une difficulté plutôt corsée et de petits défis (et bonus) cachés permettant de booster notre score, on se croirait vraiment face à un jeu d’arcade créé à la fin des années 80.
Je pense que les jeux (typés arcade) courts et intenses, à la fois faciles à prendre en main mais difficiles à maîtriser, sont parfaits pour une partie rapide, à glisser parmi d’autres activités de son quotidien. Sans oublier que la routine cyclique de toujours recommencer une partie depuis le début permet de créer une expérience de jeu unique, où la sensation de familiarité nourrie une progression et une maîtrise bien différentes des autres genres. Je pense que (ces expériences courtes) marchent parfaitement en tant que jeu, mais aussi en tant que façon d’avancer dans la journée, pour passer d’un moment à un autre avec un esprit clair…
Ah j’ai oublié de préciser que notre kaiju grandit au fil des niveaux !
J’adore l’idée de pratiquer le jeu vidéo comme on prendrait un petit rafraîchissement.
Une pause méditative dans nos journées bien (trop) chargées en quelque sorte… Comme on irait prendre un café ou faire une petite marche digestive. Le jeu d’arcade ayant été créé et pensé autour de la notion “d’un moment de jeu” qui ne durerait jamais trop longtemps (à moins de remettre une pièce dans la machine !), il se rapproche énormément des “micro-jeux” ou “jeux apéritifs” que j’aime tant (et je sais que je ne suis pas seul !), comme Castaway, Time Flies ou le Öoo de NamaTakahashi.
Étonnamment tous les jeux que je viens de citer, et bien d’autres encore, partagent le même amour pour le pixel art ! Tout comme Gaurodan bien entendu.
J’adore le pixel art sous toutes ses formes. Des graphismes des premiers jeux qui existaient avant que je sois né, aux designs (plus récents) aussi virtuoses qu’élaborés, en passant par les plus alternatifs. Je considère même le point de croix comme une forme physique de pixel art. Je me suis essayé à de nombreux styles et techniques, et pour moi, ce qui compte le plus au final ce sont les intentions et la consistance esthétique dans sa globalité. Ceci dit, j’apprécie particulièrement certaines choses. Par exemple, une utilisation modérée du dithering (tramage de couleurs pour créer des dégradés) et de l’anti-aliasing (technique pour lisser les “bords en escalier”) ; des zones moins détaillées où l’oeil peut se reposer (ciel bleu, etc.) ; un contraste entre les éléments qui font partie de l’action et ceux qui sont purement décoratifs ; ce genre de choses. J’aime aussi beaucoup les polices de caractère personnalisées (custom font). Comme je suis designer graphique dans une agence, les polices de caractères en pixels constituent probablement le lien entre ces deux mondes (jeux vidéo et identité de marque).
Pour Gaurodan, mais aussi la plupart de ses jeux (à l’exception de Super Hydorah et Maldita Castilla EX: Cursed Castilla), Locomalito a fait le choix de ne pas utiliser Steam ou une autre plateforme de distribution en ligne comme ichio-io, GoG ou l’Epic Games Store.
La plupart de ses jeux sont disponibles sur son site perso Locomalito point com.
Et histoire de vraiment faire les choses à sa façon, il a décidé de permettre à tout le monde de les télécharger gratuitement ! À vous de voir si vous souhaitez lui verser quelque chose ou non…
Je crois que développer un jeu non commercial n’est pas une décision, mais plutôt une action par défaut. Quand vous faites quelque chose que vous aimez, vous le faites généralement pour ça, et après vous pouvez décider de la commercialiser ou non. Mais on a commencé à faire nos jeux comme on décide de faire un gâteau. Juste pour le plaisir. Les partager sur mon propre site Internet est donc la chose la plus naturelle au monde pour moi. Je n’ai pas à faire quoi que ce soit, personne à qui demander la permission. J’upload simplement mes jeux et les présente de la façon qui me plaît. N’importe qui peut venir sur mon site et télécharger une copie sans contrepartie financière. Et les gens peuvent faire un don s’ils le désirent. Ce n’est pas la meilleure façon de gagner de l’argent, pour sûr, parce qu’à peine 1 personne sur 1000 verse vraiment de l’argent. Mais c’est une belle façon de rester en contact avec cette 1/1000 personne qui se soucie des développeurs. J’envisage de temps en temps de publier mes jeux de manière traditionnelle, je l’ai même fait avec Cursed Castilla EX et Super Hydorah via un éditeur, mais je n’ai pas senti que ce chemin me conduisait au bonheur.
Le bonheur, pour moi, c’est aussi de tomber sur ces petites perles développées de manière indépendante avec un amour évident pour le pixel art, le jeu vidéo en général, mais aussi son histoire.
Outre Locomalito, j’ai aussi découvert ces dernières années le travail de Francisco Tellez De Meneses avec Pampas & Selene et UnMetal, celui de Eduardo Fornieles sur Narita Boy et Haneda Girl, sans oublier bien sûr des studios plus gros comme The Game Kitchen (Ninja Gaiden: Ragebound, Blasphemous…). Et il en existe plein d’autres qu’il me reste à découvrir, comme Deconstructeam par exemple, à qui l’on doit The Cosmic Wheel Sisterhood. Tout ça pour dire que la scène du jeu vidéo indépendant et du développement de jeu vidéo tout court, est absolument incroyable en Espagne !
Alors foncez les découvrir si ce n’est pas encore fait ! En commençant par Gaurodan si vous jouez sur PC et aimez les kaiju, l’arcade et le pixel art autant que Locomalito !
Vous avez peut être noté que le trailer du jeu Gaurodan affiche la mention : “version de 2025”. C’est parce que le jeu était déjà sorti en 2013 avant d’être updaté et “remasterisée” façon “borne d’arcade” pour ressortir au début de l’été 2025 ! La version proposée ici profite donc de nombreuses améliorations et de l’expérience engrangée par Locomalito durant ces 10 dernières années. Elle bénéficie aussi d’une nouvelle perspective sur le genre, acquise au contact de groupes et d’associations spécialisées dans le jeu d’arcade.
PS: Toutes les images des jeux Super Hydorah et Gaurodan illustrant cet article ont été capturées par mes soins à partir, respectivement, d’une version commerciale Switch et d’une version gratuite PC. Les flyers des jeux d’arcade R-Type, Ghost’ n Goblins, Commando et Rampage sont issus du site The Arcade Flyer Archive. Les crayonnés préparatoires de Gaurodan ont été scannés par Locomalito. Un grand merci à lui pour avoir accepté de les partager, et de répondre à mes questions ! Son interview a été réalisée par email, traduite de l’anglais par mes soins, et très légèrement retouchée pour des raisons de lisibilité. Le visuel de Rodan issu du film Les Envahisseurs attaquent est tiré du site Wikizilla.
Merci d’avoir lu cet article de Pixel Bento par Thierry Falcoz ! Inscrivez-vous, si ce n’est déjà fait, pour recevoir automatiquement les prochains et merci pour votre soutien.
Merci pour cette découverte. Quand j'ai vu l'image, j'ai tout de suite imaginé un jeu à la Rampage que j'avais adoré en arcade à l'époque puis plus tard sur master system.
je vais aller voir ce jeu de plus près.
PS: J'espère que ta plume est prête pour le projet d'Alex Pilot. ;) J'ai hâte qu'il aboutisse.
Merci pour cette découverte. Quand j'ai vu l'image, j'ai tout de suite imaginé un jeu à la Rampage que j'avais adoré en arcade à l'époque puis plus tard sur master system.
je vais aller voir ce jeu de plus près.
PS: J'espère que ta plume est prête pour le projet d'Alex Pilot. ;) J'ai hâte qu'il aboutisse.
Ah une excellente découverte, je vais l’installer de ce pas dans ma borne pour y jouer comme il se doit. Merci