Le respect dû aux Ninjas (Gaiden)
Pas facile de faire un nouveau jeu dans une série culte et de trouver le juste équilibre entre respect et innovation… Heureusement que les ninjas sont des funambules nés !

Certains jeux vidéo possèdent un pouvoir unique.
Comme une lampe magique que l’on frotte pour faire apparaître un génie, leurs noms invoquent des souvenirs si puissants qu’ils se matérialisent devant nos yeux en déchirant la toile du temps. Mega Man, Sonic, Super Mario Bros., Final Fantasy, Castlevania, Metroid, Dragon Quest, Prince of Persia, The Legend of Zelda… Ces franchises découvertes dans les années 80 - ou plus tard, en 3D, pour les plus jeunes d’entre vous - possèdent le pouvoir de raviver les souvenirs de notre enfance.
Le Ninja Gaiden de Tecmo, sorti sur Famicom en 1988, fait partie de ces franchises immortelles.



Un jeu culte, dont la légendaire difficulté a contribué à entretenir sa réputation de génération en génération, et qui fait encore aujourd’hui régulièrement l’objet de speedrun et autres vidéos Let’s Play en mode flex total !
Un jeu qui a accueilli pas moins de deux suites sur NES, et qui a été adapté sur de multiples plates-formes 8 et 16-bit avant de passer avec succès par la case 3D sur Xbox en 2004. Mais après Ninja Gaiden 3 en 2012 sur Xbox 360 et PS3, et le spin-off à la sauce zombie Yaiba: Ninja Gaiden Z en 2014… Plus rien, jusqu’en 2025.
Et cette année ce n’est pas un, mais bien deux nouveaux jeux qui vont sortir (sans compter le remaster Ninja Gaiden 2 Black disponible depuis janvier) : un jeu 2D développé par le petit studio espagnol The Game Kitchen ainsi qu’un jeu 3D co-créé par la Team Ninja de Koei Tecmo et PlatinumGames.

Eh oui, ce n’est pas pour rien si une grosse partie du prochain podcast Pixel Bento (le numéro #57, prévu pour courant août) sera dédié aux ninjas !
Le jeu qui nous intéresse aujourd’hui est le 2D, Ninja Gaiden: Ragebound, disponible sur toutes les plates-formes en 60fps, sauf sur Switch où il tourne à 30fps (croisons les doigts pour qu’une vraie version Switch 2 en 60fps sorte plus tard).
Il se présente sous la forme d’un hack’n slash à l’ancienne, où l’on incarne non pas Ryu Hayabusa, le héros historique de la série Ninja Gaiden, mais son élève Kenji Mozu. C’est à lui qu’il incombe de repousser les hordes de démons qui fondent sur leur village, au moment où Ryu est forcé de quitter le Japon.
Après avoir atteint la brèche d’où s’échappent les démons, il est contraint à l’issue d’un combat difficile de fusionner avec Kumori, une ninja piégée comme lui… Sauf que celle-ci est une Araignée Noire, un clan de ninjas en conflit historique avec les Hayabusa !
L’âme de l’ennemie jurée confère à Kenji des pouvoirs magiques et la capacité de puiser dans une jauge de ki. L’ombre de Kumori se découpe ainsi derrière la silhouette de Kenji pour lancer des kunais et autres armes magiques, et elle peut se “libérer” afin d’exécuter des attaques surpuissantes, voire même quitter provisoirement le corps de son hôte récalcitrant pour se déplacer durant un temps très limité dans une autre dimension.
La paire de ninjas devra apprendre à s’accepter, collaborer, mais aussi se respecter, en traversant le Japon pour tenter de venir à bout de la menace qui plane au dessus du Mont Fuji.

Ninja Gaiden: Ragebound est un peu le Ninja Gaiden IV qui n’est jamais sorti sur les plates-formes 16/32-bit.
Un titre au pixel art étincelant, comme la lueur meurtrière dans les yeux d’un ninja, développé par des spécialistes du genre, à qui l’on doit les deux Blasphemous.


Le projet a été porté par l’éditeur français Dotemu, qui s’est fait une spécialité du jeu néo-rétro depuis la sortie de Wonder Boy: The Dragon's Trap en 2017. Leur stratégie, consistant à récupérer les droits d’une licence culte (souvent japonaise) pour la confier à des studios indépendants sélectionnés avec soin, a payé plus d’une fois avec des succès comme Streets of Rage 4 et Teenage Mutant Ninja Turtles: Shredder's Revenge.
Pour Ninja Gaiden, l’objectif numéro un des équipes de The Game Kitchen était de… finir le jeu dans les temps bien sûr ! Mais à l’image des niveaux de Ragebound, les développeurs avaient aussi des défis cachés à relever : garder l’esprit de la série ; son identité visuelle ; les spécificités de sa jouabilité ; et sa difficulté « arcade », sans pour autant aliéner joueuses et joueurs qui n’avaient aucunement signé pour devenir speedrunner en achetant le jeu !
Dans un récent article nommé “Les ninjas ne seraient pas un peu masochistes sur les bords ?”, j’ai abordé l’appétence de cet anti-héros pour le hard mode. Et cette réputation de “jeux impossibles à finir” est en grande partie imputable aux Ninja Gaiden, les 2D comme les 3D. Il était donc impensable pour l’équipe de The Game Kitchen de trahir cet héritage. Après tout, les développeurs aussi ont grandi (et souffert !) avec la franchise !
Cette difficulté est néanmoins éparpillée, comme les clous lâchés derrière lui par un ninja vicieux. En ligne droite sans se poser de question, le jeu est très accessible. Pas de knockback1, pas de vies ou de continues limités, des checkpoints à gogo et ces derniers restaurent même notre vie ! Mais on apercevra très vite en bas de l’écran l’apparition de pop-up avec un texte rayée de rouge nous signifiant que nous n’avons pas su relever tel ou tel défi…
La difficulté du jeu est en effet optionnelle. Elle est là, mais il faut aller la chercher.
En relevant les 3 défis attachés à chaque niveau par exemple ; ou en allant chercher dans les décors des bonus plus ou moins cachés ou difficiles d’accès ; en essayant d’aller le plus vite possible pour obtenir un bon chrono et une bonne “note de fin” ; en faisant les niveaux optionnels (Opérations Secrètes) à la difficulté étoilée (de 1 à 5) ; en équipant des talismans qui peuvent nous handicaper (fini les checkpoints !) afin d’obtenir une note supérieure à S ; et bien sûr en débloquant le mode Difficile (qui va jusqu’à modifier les niveaux du jeu et les attaques ennemies).

Une façon élégante et moderne de préserver la difficulté de la série sans pour autant l’imposer à tout le monde.
Cette difficulté diluée dans la structure même du jeu, façon Poupée Russe, confère également à Ninja Gaiden: Ragebound une excellente rejouabilité. Si le jeu peut se terminer sur une première sauvegarde en 6-7h sans trop forcer, le finir à 100% nécessitera beaucoup plus de temps (et de persévérance).
Et si vous êtes comme moi, il vous sera difficile de résister à l’envie de le faire à 100% !
Pourquoi ? Mais parce si dans une dimension parallèle la série 2D ne s’arrêtait pas avec Ninja Gaiden III sur NES en 1991 mais avait continué sur SNES, voire NeoGeo ou Saturn, et bien ce jeu s'appellerait Ninja Gaiden: Ragebound.
Moi qui suit en plein trip « la crème de la crème » des jeux néo-rétro 2D, ce titre tombe à pic et prouve que les éditeurs japonais devraient TOUS confier leurs franchises remisées dans l’armoire poussiéreuse d’un vieux salary man à des studios indépendants comme The Game Kitchen, Lizardcube, Tribute Games, Guard Crush, Inti Creates, ou Brace Yourself !
Néo-rétro est ici le mot clé.
Ragebound est “néo” dans son ajout d’une myriade de petites touches modernes : un système de combos ; des talismans à équiper pour se faciliter ou se compliquer la vie ; une jouabilité plus aérienne s’appuyant sur un panel de mouvements étoffé (rebonds sur les ennemis, roulades, etc.)… Mais il est aussi “rétro” dans le sens où il fait preuve d’une grande simplicité, tout en manifestant pour la franchise un respect qui va plus loin que le clin d’oeil et le fait de puiser dans les ennemis, le level design, la musique, le scénario (avec ses trahisons et mystérieux agents de la CIA) ou les mécaniques clés des jeux qui l’ont précédé.

Ce nouveau Ninja Gaiden va jusqu’à reproduire le rythme à la fois fébrile et exigeant des Ninja Gaiden 2D ! On doit et on a ENVIE d’aller vite, les niveaux étant conçus pour être traversés à la vitesse de l’éclair, mais il faut aussi savoir patienter. Pas longtemps, juste une seconde, pour s’assurer de pouvoir trancher en deux un ennemi plus coriace que le démon moyen !
80% des ennemis s’éliminent d’un seul coup de katana ou d’un seul jet de kunai, mais une poignée de brutes nécessite plusieurs attaques. Ces dernières peuvent cependant être étrillées en un seul mouvement grâce à l’Hyper Charge. On obtient ce coup spécial en abattant un ennemi dont l’aura est visible afin d’absorber provisoirement sa force, ce qui nous permet de hacher menu tout ce qui nous bloque le passage dans la seconde qui suit.
Cette mécanique repose sur des ennemis judicieusement placés par les développeurs et pousse joueuses et joueurs à ne pas matraquer les boutons d’attaque. Car si on frappe dans le vide après avoir obtenu son Hyper Charge, elle est perdue !

Ninja Gaiden: Ragebound est une belle réussite, qui parvient à innover (un peu) et surtout à libérer la franchise de ses chaînes “pré-Dark Soulsiennes” sans pour autant négliger les speedrunners et autres masochistes du JV. Mais toute licence vient forcément avec des contraintes. Le poids des règles et de l’Histoire d’une franchise a un prix… N’attendez pas de Ragebound l’inventivité, l’irrévérence ou le jusqu’au-boutisme d’autres jeux de ninja comme les superbes indies The Messenger et Cyber Shadow.
On est ici en terrain connu. Un terrain labouré par les pas légers de plusieurs générations de ninjas auxquelles Ragebound rend à la fois hommage et justice.
Et dire que dans un mois un certain Shinobi: Art of Vengeance nous attend (sa démo est d’ailleurs tombée hier !)...
On est quand même gâté niveau ninjas cet été !

Vous avez encore faim de ninjas après cet article ?!
Alors ne manquez pas le podcast Pixel Bento qui sera diffusé en août ! Et si vous êtes passé(e)s à côté, j’ai écrit deux autres articles sur le sujet, l’un consacré à Shadow of the Ninja: Reborn 👇
Et l’autre à Cyber Shadow 👇
PS: Toutes les images illustrant cet article ont été capturées par mes soins à partir d’une version Steam de Ninja Gaiden: Ragebound fournie par son éditeur, Dotemu ; et celles du Ninja Gaiden originel sur Famicom l’ont été à partir de la chaîne rétro accessible aux abonné(e)s Switch Online. Les images du futur Ninja Gaiden 4, de Blasphemous et du manuel de Ninja Gaiden NES dessiné à la main proviennent de leurs sites officiels respectifs.
Le “knockback” était une mécanique de jeu ultra punitive typique des années 80, fortement associée aux séries 8-bit Castlevania et Ninja Gaiden. Il correspond au fait de perdre le contrôle de son personnage alors qu’il est projeté en arrière après être rentré en contact avec un ennemi ou un projectile. Généralement cette “projection arrière” s’accompagne d’une chute dans un trou et de la perte d’une vie !
Merci pour cette belle critique. J’ai toujours été de l’école shinobi étant un enfant de Sega.
Je suis heureux de revoir la 2D au devant de la scène. J’aimerai tellement que des licences comme sonic ou Mario est le même traitement. Un beau dessin avec une animation cut et des décors pastel. Yoshi Island est l’une de mes références dans le genre.
Et pourquoi pas un retour des shoot en 2D aussi. Un thunder force à l’allure d’un film macross.
J'avais testé la démo de ce Ninja Gaiden sur Steam, ça m'a super bien chauffé, encore plus avec ton article !
Et pour avoir testé aussi le Shinobi à la Japan Expo, on va être bien question shurikens cet été