Les ninjas ne seraient pas un peu masochistes sur les bords ?
À moins que ce ne soit nous ?! Non mais c’est nous en fait… Un article pour se préparer à l'Été des ninjas (oui !), avec une interview du créateur de Cyber Shadow.

“Ninjas !!” Dans ma tête, à chaque fois que je prononce ce mot, c’est avec le timbre surexcité d’un adolescent d’une pub des années 80, ou la voix caverneuse d’un narrateur de bandes-annonces de nanars.
L’Été des ninjas ? Mais oui !!
Fin juillet sort Ninja Gaiden: Ragebound, un nouvel épisode 2D (et pixel art) de la série culte Tecmo, développé par le studio espagnol derrière les Blasphemous, et fin août c’est au tour de la saga Shinobi de s’offrir un nouveau titre avec Shinobi: Art of Vengeance du studio français Lizardcube (Wonder Boy: The Dragon’s Trap, co-développeur de Streets of Rage 4).
Un été historique ! Qui ressuscite en 2D ( ô joie !) deux séries emblématiques des années 80, mais aussi des consoles 8-bit concurrentes de Nintendo et Sega : la NES et la Master System.


On vous prépare donc pour cet été un podcast Pixel Bento spécial “Ninjas !!”, où l’on reviendra sur ce personnage emblématique du jeu vidéo, qui doit davantage à la pop culture qu’à l’histoire féodale du Japon.
C’est aussi la raison pour laquelle j’ai récemment craqué et acheté Cyber Shadow, qui me faisait de l’oeil depuis quelques années déjà !
Ce jeu indie créé par le développeur solo finlandais, Aarne - MekaSkull - Hunziker, sorti en 2021, est l’illustration parfaite de plusieurs faits avérés :
le ninja est toujours aussi populaire aujourd’hui qu’il l’était dans les années 80
un ninja au ciné ça rime souvent avec “nanar”, alors qu’un ninja dans le jeu vidéo est la promesse d’un personnage ultra classe mais aussi (et souvent) d’une expérience punitive !

Lorsque Aarne Hunziker s’est lancé dans le développement de Cyber Shadow, il avoue pourtant que rien ne le prédestinait à embrasser la grande tradition 80s du jeu de ninja…
Le choix du genre et du personnage principal s’est fait plutôt au hasard. J’avais dessiné quelques croquis d’un ninja pour le fun, et lorsque j’ai voulu apprendre à faire des jeux vidéo par moi-même j’ai utilisé ce que j’avais sous la main pour créer un prototype. Des années plus tard mon projet d’entraînement a gonflé hors de proportion pour devenir un vrai jeu. Le personnage est alors passé par plusieurs étapes itératives et différentes couleurs.
Le fait que le personnage principal de son premier jeu soit un ninja et non un ersatz “sooo eighties” d’Arnold ou Sylvester est donc un heureux hasard, ce qui n’est pas le cas en revanche du choix d’orner le cou de son héros d’une écharpe rouge flottant au vent.
Les ninjas sont de toutes les couleurs, mais lorsque leur écharpe est rouge, ça veut dire qu’ils ne sont pas là pour rigoler. Et puis les tâches de sang ne l’abîmeront pas ! (En fait) l’écharpe rouge est surtout là pour être sûr que le personnage ne se perde pas dans le décor 😬

Cyber Shadow ressemble à un jeu NES, se joue comme un jeu NES (deux boutons seulement !), et possède la difficulté d’un jeu NES !
Si les premiers chapitres du jeu ne sont pas trop difficiles, les choses se corsent rapidement pour imposer un challenge qui requerra autant de patience que de résilience. Et il faudra régulièrement faire appel à son “moine zen intérieur” pour ne pas broyer sa manette entre ses mains (ou du moins essayer) avant de la piétiner au sol à pieds joints, tel un(e) maniaque…
Le chemin d’un ninja est difficile. Leurs outils seuls n’ont rien de folichons, mais les utiliser avec adresse et précision est ce qui les rend si efficaces. C’est quelque chose qui se traduit bien dans un jeu vidéo et la difficulté est aussi là pour faire de vous un ninja en surmontant un challenge extrême.
Ok, ok. Il faut souffrir pour devenir un vrai ninja. C’est donc l’une des leçons à tirer de cette expérience “neo-rétro”. Parce que si Cyber Shadow possède les atours d’un jeu NES, il n’en assume pas moins sa modernité en proposant les mécaniques de jeu attendues d’un jeu de plates-formes / action post-Super Meat Boy. Wall jump, Double jump, Dash… Toute la panoplie est là pour à la fois corser la difficulté et fluidifier l’action.
Si Cyber Shadow démarre avec le rythme “pépère” d’un vieux Ninja Gaiden, la jouabilité s’électrise aussi vite que les niveaux (littéralement !) pour devenir nerveuse et aérienne à l’image de celle d’un Shinobi PS2. On finit par pouvoir profiter du dash pour découper ses ennemis à la chaîne, “dash & slice style”, pour ne toucher le sol que lorsque la gravité se rappelle à nous !
On ne s’étonnera pas que le jeu ait été repéré par le studio derrière Shovel Knight, qui finira d’ailleurs par l’éditer. Cyber Shadow est aussi devenu un titre relativement apprécié des speedrunners, ce qui a toujours tendance à mettre un sérieux bémol à la certitude d’être face à un jeu “impossible” à la difficulté totalement “abusée” 😅
Mais les origines de cette approche sans merci du challenge - au-delà de l’hommage aux années 80, du niveau de difficulté souvent élevé des productions indés, et du bagage inhérent à la figure du ninja - peuvent aussi être retracées aux premiers pas de Aarne dans le développement…
Cyber Shadow est un jeu d’inspiration 8-bit parce que c’est ce qu’il y avait de plus familier pour moi. J’ai appris le pixel art à un jeune âge en expérimentant avec mes premières ROM hacks. Ces dernières étaient pour moi une façon de passer le temps et de voir mes créations visuelles apparaître dans un jeu vidéo. C’était vraiment magique. Je ne pensais pas du tout à une carrière de développeur de jeu à ce moment là.
Avoir débuté dans le développement en passant par la case ROM hacks - ces vieux jeux “modifiés” qui accueillent, entre autres, les fameux Kaizo Mario à la difficulté légendaire - a peut être contribué au penchant sadique de Cyber Shadow !

Mais pourquoi se punir ainsi ?
Pourquoi jouer à un Cyber Shadow, un Celeste, un Cuphead ou un Hollow Knight, lorsque l’on pourrait jouer à A Short Hike ou un autre jeu “cozy” à la difficulté aussi douce qu’une brise de printemps ? Pourquoi ?
Pour la même raison qu’il est difficile de résister à un pad thaï bien trop épicé, parce que c’est délicieux ! Tester ses limites, sa patience, sa capacité à persister malgré l’adversité, font aussi partie du plaisir de jouer. Quel bonheur lorsque l’on vient à bout d’obstacles qui nous paraissent injustes, que ce soit un checkpoint placé bien trop loin ; d’interminables séquences de plates-formes où la moindre chute est synonyme de mort immédiate ; voire l’arrivée inopinée d’un ennemi au pire des moments, clairement placé là pour nous assassiner !

Soulagement et satisfaction entremêlées forment une puissante émotion. Mais bien sûr, ce n’est pas ce que tout le monde recherche dans un jeu. Loin de moi l’idée de faire ici l’apologie rétrograde d’un jeu vidéo élitiste qui serait avant tout définit par sa difficulté. Le fumet nauséabond que dégagent les commentaires à la “get good” n’est là que pour flatter les narines de la frange la plus imbécile des “gamers”.
Nous avons toutes et tous une façon personnelle d’apprécier le jeu vidéo, et c’est aussi ce qui rend ce média aussi attractif : il est capable de prendre les formes les plus diverses pour satisfaire tout le monde, avec ou sans challenge !
Personnellement, avec le temps, j’ai appris à me connaître, y compris en tant que joueur. J’adore me confronter à des challenges relevés, tout particulièrement lorsqu’ils sont rétros et solos. Et pester devant ma télé comme un gamin est une façon de revivre la douce agonie d’une enfance jalonnée de game over sur des shoot’em up tels que Nemesis (Gradius), River Raid ou Knightmare. Les jeux vidéo à la Cyber Shadow font aussi office de défouloirs. Insister sur un passage difficile pour faire du “die & retry” son nouveau mantra, alors qu’il suffirait de poser la manette pour le franchir facilement plus tard, à tête reposée, est… fun ! Non ?
Et lorsque le jeu a clairement été fait avec amour et repose sur une jouabilité “aux petits oignons”, progresser malgré la difficulté est une récompense en soi. Avec ses superbes musiques chiptune composées par Enrique (Pentadrangle) Martin (Nuclear Blaze, Lords of Exile) ; son scénario un peu ridicule à la Mega Man ; ses inspirations 80s un rien ostentatoires (Akira, Dragon Ball, Metroid, Contra) ; ses nombreux passages secrets ; son option “Filtre CRT” avec la sous-option “CRT déglingué” qui vient ajouter un petit halo rouge (!) ; sa jouabilité évolutive avec un dash qui bouleverse notre façon de naviguer les niveaux… Cyber Shadow séduit jusque dans ses maladresses et s’impose comme un valeureux hommage aux jeux de ninjas avec lesquels Aarne - MekaSkull - Hunziker a grandi (Teenage Mutant Ninja Turtles sur NES, The Last Ninja, Shadow of the Ninja alias Blue Shadow en Europe, et Ninja Gaiden bien sûr).

J’adore également la structure des niveaux, interconnectés, avec téléporteurs et passages à la difficulté encore plus épicée rendus accessibles par le truchement de nouveaux pouvoir, metroidvania style !
Cyber Shadow est un jeu généreux, aux glorieux graphismes 8-bit, que je ne peux recommander qu’à celles et ceux qui aiment se faire chahuter par un level design punitif (le jeu est vraiment difficile). D’ailleurs, je vous recommande vivement de ne pas hésiter à utiliser la “monnaie” du jeu pour activer les bonus que peuvent octroyer les checkpoints. Que ce soit pour faire le plein de vie, d’esprit (pour utiliser shurikens et cie) ou débloquer une arme spéciale provisoire, il suffit de dépenser son argent une fois pour que le checkpoint octroie ces bonus pour toujours.
Je vous dirais dans notre futur podcast sur “l'Été des ninjas” si j’ai finalement réussi à finir le jeu (je suis au dernier chapitre) et j’ai hâte de continuer à parler de cet incroyable personnage. Parce qu’au-delà des classiques des années 80, la scène du jeu indépendant est riche en ninjas d’exception, avec des titres devenus des classiques comme The Messenger, Mark of the Ninja ou plus récemment Shadow of the Ninja: Reborn, voire l’étonnant autant que méconnu Ninja or Die.
Et si vous avez un jeu de ninja qui vous tient particulièrement à cœur, n’hésitez pas à le partager en commentaire pour qu’on ne l’oublie pas dans le prochain podcast !
Petite info en passant, Cyber Shadow a eu une actualité il y a quelques mois avec la sortie fin février chez Super Rare Games de plusieurs éditions physiques du jeu (en boîte !). La version PS5 est épuisée mais la Switch est toujours disponible au moment où j’écris ces lignes.
PS: Un immense merci à Aarne - MekaSkull - Hunziker pour avoir accepté de répondre à mes questions par email ! Toutes les images et vidéos de Cyber Shadow illustrant cet article ont été capturées (avec le filtre CRT activé) à partir d’une version commerciale du jeu sur Switch 2. Les captures d’écran de Shinobi: Art of Vengeance et Ninja Gaiden: Ragebound proviennent de leurs sites officiels Sega et Dotemu.
Katana zero ça compte ?
Merci pour l'article ! Sekiro, j'ai le droit ? Un Shinobi c'est un Ninja ? Ok ce n'est pas du pixel art, et c'est en 3D, mais je retrouve totalement ce que tu évoque dans l'article : ce mélange de masochisme et d'abnégation, cette fureur de vaincre, et cette joie de surmonter les obstacles ! Tu t'est essayé à Sékiro ?