Quand Mario enfile son costume de troll !
Vous avez trouvé Super Mario Bros. Wonder un peu trop facile ? J’ai une solution pour vous : le Kaizo Mario ! Les spectateurs et spectatrices sont également les bienvenu(e)s !
Si ça vous dit (une fois n’est pas coutume), un petit sondage pour commencer ?
J’ai découvert le Kaizo Mario il y a quelques années seulement en commençant à suivre certains streamers et/ou créateurs YouTube. Curieusement, ce n’est pas Mario qui m’a amené à cette découverte, mais Hadès. Le chef d'œuvre de Supergiant Games m’a en effet attiré dans son orbite de “jeu parfait à la rejouabilité infinie” pour progressivement m’amener à m’intéresser à la scène speedrunning liée au jeu. Par rebond, c’est à travers la chaîne du YouTuber américain Haelian, qui a créé sa communauté autour d’Hadès, que je découvre d’autres speedrunners, dont GrandPooBear, grâce aux vidéos duquel je m’expose pour la première fois… au Kaizo Mario. Et je tombe alors dans un véritable “rabbit hole” pour reprendre l’expression anglaise consacrée ! Comment, en effet, ne pas se sentir dans la peau d’Alice en découvrant cet écosystème étrange où plus la difficulté est élevée, plus on rit !
Avez-vous déjà entendu parler du Kaizo Mario, qui vient du japonais 改造マリオ et se traduit littéralement par : “Mario ré-arrangé” ? Ce sous-genre très populaire chez les speedrunners se fait également appelé “Asshole Mario” pour une raison que vous allez vite comprendre… Ce sont en fait des “ROM hacks”, soit la modification d’une copie informatique de la puce ROM d’une cartouche de jeu Super Nintendo (par exemple), qui contient les fichiers du jeu. Une ROM est tout simplement le fichier que l’on utilise pour lancer un jeu via un émulateur. Sauf qu’ici, elle aura été patchée afin de proposer une version “modifiée” du jeu émulé. Les ROM hacks sont apparus très tôt, en 1987 (grâce au logiciel Tonkachi), mais ce n’est qu’autour de 2007, toujours au Japon, que le terme Kaizo Mario a été popularisé. Si vous souhaitez en savoir (beaucoup) plus sur l’histoire du genre, je vous conseille le long et très détaillé papier du streamer / speedrunner / Kaizo maker GlitchCat7 !
Le Kaizo Mario “originel”, joué par le streamer Thabeast721 !
C’est donc en 2007 que “Kaizo SMW 1” a été créé par un mystérieux fan japonais de Super Mario World appelé Mr. Takemoto. L’idée ? Troller son ami Mr. Kiba. Ce dernier s’enregistrera en train d’essayer de finir ce jeu “impossible” ainsi que ses deux suites, et postera ces vidéos sur l’ancêtre japonais de YouTube : Nico Nico Douga, où elles rencontreront un grand succès. La popularisation de ces ROM hacks à travers l'essor des réseaux sociaux a clairement énormément joué dans la décision de Nintendo de sortir Super Mario Maker en 2015 sur Nintendo Wii U et sa suite sur Nintendo Switch en 2019.
Après avoir épuisé - si une telle chose est possible - le potentiel de rejouabilité de classiques absolus tels que Super Mario Bros. 3 ou Super Mario World, une communauté de hardcore gamers, speedrunners et apprentis level designers s’est ainsi fédérée autour de ces classiques pour les réinventer et se les réapproprier en mode masochiste. Les Kaizo Mario sont des versions ULTRA difficiles de ces vieux classiques, où chaque saut doit être exécuté avec un timing au pixel près absolument ridicule, et les niveaux s’avèrent être des successions de pièges à même de faire perdre la raison aux plus patients des joueurs. Regarder quelqu’un jouer pour la première fois à un Kaizo Mario (le fameux “blind run”) revient à regarder une compilation de fails. Car l’idée ici EST de se planter en beauté. Jouer à un Kaizo Mario tient de l’exercice de funambule. Le joueur doit parvenir à maintenir un équilibre précaire sur des plates-formes généralement mouvantes, plus improbables les unes que les autres ! Les plates-formes de Kaizo Mario peuvent ainsi être des dauphins, des “disco shells”, des scies circulaires, des ennemis, des projectiles, ou encore une carapace que l’on aura soi-même attrapée en vol et jetée contre un mur, afin de pouvoir immédiatement rebondir sur elle et ainsi atteindre des plates-formes autrement inaccessibles : les fameux “shell jumps”.
Une petite vidéo explicative du “shell jump” (Saut Carapace), une technique requise pour qui souhaite se confronter au Kaizo Mario, qui consiste à utiliser une carapace comme une plate-forme d’appoint ! Oui, cette technique était / est tout à fait réalisable dans le Super Mario World “vintage” !
Les level designers derrière les meilleurs Kaizo Mario, comme Grand Poo World ou Super Ryu World (des noms souvent dédiés à des Kaizo runners connus, ici GrandPooBear et Ryukhar), étant eux-mêmes des speedrunners, ils détournent, réinventent et complexifient avec génie les mécaniques de jeu mises en place par les game designers Nintendo. Et surtout, ils jouent avec les réflexes imprimés dans la mémoire musculaire de joueuses et de joueurs ayant fini et speedrunné des milliers de fois les jeux de plates-formes Mario. Car une ROM hack réutilise le gameplay du jeu original ! Seuls les niveaux, musiques et parfois les assets graphiques changent. De petits twists peuvent être incorporés bien sûr (on parlera ici de versions “chocolate”, en opposition aux versions “vanilla”, très proches du jeu original), mais rien qui viendra fondamentalement changer la manière dont on joue. Jouer à une ROM hack de Super Mario World revient à jouer à Super Mario World… mais en mode monstrueusement difficile.
Les Kaizo Mario sont spécifiquement conçus pour challenger mais aussi pour “troller” les joueurs, et regorgent par exemple de Kaizo Blocks, soit des blocs invisibles qui n’apparaissent que lorsque le joueur bute la tête la première dans l’un d’eux, ce qui entraîne dans 99,9% des cas une mort immédiate. Les level designers forcent ainsi des trajectoires de saut spécifiques et obligent les joueurs à se soumettre à une chorégraphie précise, où chaque “improvisation” est punie de la plus expéditive des façons… Jouer à un Kaizo Mario c’est se soumettre à la dictature d’un chorégraphe sadique, qui punira le moindre faux pas (le moindre input superflu). Le concept même du “die and retry” est ici exacerbé jusqu’au ridicule, au grand dam des joueurs (quoique…), mais pour le plus grand plaisir des spectateurs. Ces Kaizo Mario sont en effet de vrais spectacles, à mi-chemin entre la compétition de sport extrême et le jeu télévisé à la Takeshi’s Castle.
Regarder un speedrunner découvrir un Kaizo Mario revient à observer un rat de laboratoire immortel coincé dans un labyrinthe conçu pour le faire mourir de façon répétée et inattendue. Le spectateur, lui, assiste à un fascinant et souvent hilarant duel asynchrone entre le level designer et le Kaizo runner. Après avoir été victimes d’innombrables Kaizo trolls, comme ces morts éclairs provoquées à quelques encablures d’un checkpoint par un ennemi tombé du ciel, les joueurs en mode “Kaizo PTSD” ne cessent d’anticiper le pire (et ont raison de le faire la plupart du temps), ce qui conduit à des moments de pure comédie non sensique à la Stephen Chow (réalisateur du génial Crazy Kung-fu) ! Pour reprendre les mots de ChrisG__, créateur de Super Hark Bros. 2 recueillis par Polygon en 2021, la plupart du temps, les créateurs de Kaizo Mario veulent avant tout que : “(...) le joueur rie. J’essaie de rendre les trolls évitables, donc le joueur finit par se troller lui-même la plupart du temps. (...) Je pense que c'est beaucoup plus drôle si vous conduisez le joueur à se faire quelque chose qu’il aurait pu éviter”.
Le Kaizo Mario c’est ça, des Mario réinventés par des level designers sadiques, empruntant autant à l’inventive cruauté du Jigsaw Killer qu’au sens du timing des grands maîtres de la comédie “physique” comme Jacques Tati ou Buster Keaton. Mais ce sont aussi des leçons de level design, les créateurs faisant preuve d’une inventivité folle dans leur capacité à créer des situations inédites en manipulant le contenu des jeux (cultes) originaux. Ce sont aussi d’incroyables leçons de patience, de contrôle de soi et de persévérance. Des leçons d’autant plus humaines qu’elles sont streamées en live par des joueuses et des joueurs FANTASTIQUES, souvent au bord de la crise de nerf, mais néanmoins déterminé(e)s à relever ces challenges injustement punitifs. Personnellement je suis littéralement tomber en pâmoison devant ces performances pour finalement m’attacher à cette communauté.
Pour vous donner une petite idée et vous introduire en tant que spectatrices et spectateurs à ces Kaizo Mario, je vais maintenant vous re-partager une playlist YouTube, destinée aux anglophones et aux personnes qui n’ont pas peur d’être exposées à un langage… fleuri (!!), que j’avais créé pour le numéro #33 du podcast Pixel Bento, dont voici un petit extrait.
Cette playlist, que vous pouvez trouver ici : https://www.youtube.com/@pixelbento/playlists, contient donc 21 vidéos, à regarder dans l’ordre donné, centrées sur un seul (mais excellent) Kaizo Mario : Grand Poo World 2. Sortie en 2018, cette ROM hack de Super Mario World a été créée par Barb, un streamer / speedrunner pour son pote GrandPooBear. Comme vous pouvez l’imaginer, GrandPoo est lui aussi un streamer / speedrunner, et Barb lui avait déjà “offert” son Kaizo Mario en 2017 avec Grand Poo World 1, qu’il avait créé à l’aide du logiciel Lunar Magic parce qu’il se sentait limité créativement parlant par Super Mario Maker, sorti quelques années auparavant. Grand Poo World 2 est une véritable célébration de la communauté Kaizo Mario, les portraits de (très) nombreux streamers étant dissimulés dans le jeu. Comme je le précise dans l’extrait partagé du podcast Pixel Bento, cette playlist contient trois grands volets :
Le Blind Run de GrandPoo, soit 17 vidéos d’environ 30mn chacune où il découvre, en même que nous, un à un les niveaux du jeu
Les compilations de réactions montées par Barb, soit 3 vidéos d’une heure environ, où l’on pourra apprendre à connaître cette communauté unique et partager leurs pires échecs mais aussi leurs plus grands triomphes. Une suite de vidéos absolument hilarantes, qui s’apprécie 100 fois plus après avoir appris à connaître le jeu niveau par niveau aux côtés de GrandPoo
Et enfin, le spectaculaire speedrun live de MitchFlowerPower lors de la SGDQ (Summer Games Done Quick) 2019, dont la performance prend une dimension unique, quasi surréaliste, lorsque l’on a conscience de tous les pièges invisibles qu’il évite en plaisantant nonchalamment avec les commentateurs !
En tout, cela nous fait tout de même plus de 13 heures de vidéo ! Mais cette playlist se dévore comme une véritable série télé. Épique, émotionnelle, hilarante, pleine de surprises et de révélations. Une aventure humaine à part entière !
Et sachez que vous aurez bientôt la possibilité de suivre en live “la saison 3” de cette série, la sortie de Grand Poo World 3 ayant été annoncée et récemment confirmée pour le 17 novembre prochain ! J’ai hâte de suivre ça sur la chaîne de GrandPoo ou d’un autre streamer !
Pour conclure, si vous vous sentez capable de vous confronter au Kaizo Mario manette en mains, sans avoir à passer par toutes les manipulations nécessaires au lancement des ROM hacks sur un PC, sachez que le Super Mario Maker 2 sorti sur Switch en 2019 contient un nombre incalculable de niveaux “Kaizo”, et un bon nombre d’entre eux ont été créés par les mêmes streamers qui dévorent les ROM hacks sur leur chaîne Twitch ou YouTube !
Voici un petit exemple de niveau Kaizo créé avec Super Mario Maker ! Le niveau s'appelle Pit of Panga: P-Break et a été créé par le streamer speedrunner PangeaPanda !
Merci d’avoir lu cet article et surtout n’hésitez pas à partager vos réactions dans les commentaires, particulièrement si vous avez eu l’envie et le temps de jeter un oeil à ma Playlist YouTube dédiée à Grand Poo World 2 !
© Nintendo. Une petite image tirée du manga Super Mario Kun “Special Selection” publié en 2023.
PS: les images et photos illustrant cet article ont été capturées ou prises par mes soins, à l’exception des images du manga Super Mario Kun (© Nintendo) et de la SGDQ 2019 en provenance de leur site officiel (@Games Done Quick LLC by Angel, Nolan Slinkler & Nick Taylor).
Si le Kaizo Mario et les ROM Hacks en général vous intéressent :
la chaîne YouTube de Barb
la chaine YouTube de GrandPooBear
le site de GlitchCat7
le site SMW Central qui contient les ROM hacks et leur mode d’emploi
Salut
Comme je le disais sur BlueSky, il y a un Kaizo Mario spécialement fait pour apprendre les techniques utilisées dans les Kaizo.
Très pratique pour les gens comme moi qui sont impressionnés par les Kaizo mais qui ne savent pas passer 2 niveaux : là, on peut s'entraîner.
Ça s'appelle Learn 2 Kaizo, un mod de Mario World évidemment :
https://www.romhacking.net/hacks/3676/
sseb22