Faut-il mettre le jeu vidéo au régime ?
Curieux ce débat sur la longueur et la taille des jeux vidéo… Je me rappelle d’une époque pas si lointaine où la “durée de vie” était dans tous les pavés de notes.
Pendant longtemps la durée de vie fut un critère sur lequel la qualité d’un jeu était jaugée. Plus le jeu était long, mieux c’était. Plus nombreuses étaient les activités proposées, plus riche et engageant il était.
On avait même consacré à ce sujet une grosse partie du podcast Pixel Bento #25 en 2022 (un extrait est en fin d’article !).
Cependant, avec la récente sortie de Final Fantasy VII Rebirth, une critique latente s’est faite entendre avec plus de force. Les titres des derniers articles du site américain Polygon dénotent ainsi une certaine aigreur envers la taille jugée excessive de son monde ouvert : “FF7 Rebirth noie son excitant hommage dans un monde ouvert bouffi” ; “Combien de temps dure FF7 Rebirth ?” ; ou encore “Des jeux comme FF7 Rebirth ne sont pas viables et les licenciements chez Sony sont là pour le prouver”.
Ce reproche latent sur la taille gargantuesque de certains jeux vidéo s’est déjà fait entendre à maintes reprises, dans les tests des mondes ouverts à la Assassin’s Creed d’Ubisoft par exemple. Il faut dire que ceux-ci ont pendant longtemps semblé vouloir doubler leur taille à chaque itération, quitte à avoir ensuite un mal de chien à “remplir” d’activités suffisamment ludiques ces espaces de jeu démesurés.
Une “course à la dimension” qui explique la prolifération de ce que l’on appelle les quêtes Fedex, qui tentent désespérément de faire de ces distances… une mécanique de jeu.
Au-delà de la dilution du potentiel ludique de ces mondes ouverts dans leur désir maladif de voir toujours plus “grand”, c’est le concept même de Triple A (qui est au jeu vidéo ce que le blockbuster est au cinéma) qui est ici remis en cause à un niveau purement économique. Sony a ainsi questionné la rentabilité de ses blockbusters vidéoludiques, comme Spider-Man 2, qui aurait explosé son budget et pris plus longtemps que prévu à sortir. L’ardoise finale est estimée autour des 300 millions d’euros. Un jeu “monstre” qui a bien vendu, mais dont le retour sur investissement aurait été bien inférieur à celui de son prédécesseur.
Le résultat de ce constat possède un coût humain absolument dramatique, comme expliqué dans cet article de l’infolettre américaine Dead Game.
La taille de ces Triple A, qui proposent souvent des mondes ouverts, voire empruntent le modèle “GaaS” (jeu service), vise un objectif clair : satisfaire le joueur bien sûr, mais aussi le maintenir aussi longtemps que possible dans l’écosystème du jeu. Parfois (souvent) à des fins commerciales : l’idée étant que plus longtemps on reste dans un jeu, plus on a de chance d’être tenté d’acheter des “bonus” (équipements spéciaux, animations, aides de jeu, etc.) ou du contenu supplémentaire (DLC…).
Résultat : le jeu vidéo a depuis plusieurs années une tendance à “se faire monstre”, pour chercher à gratter davantage de temps de jeu, quitte à abuser de l'hospitalité des joueur-euse-s.

Mais à partir de quand un jeu est-il “trop gros” ? A partir de quel moment peut-on dire qu’il “en fait de trop” ?
Déjà, évacuons l’évidence : si l’équipe de développement doit en souffrir et sacrifier leurs weekends, leur vie de famille / personnelle et leur santé (tant physique que mentale), alors le jeu est trop gros. Ça n’est pas plus compliqué que ça. Si la taille d’un monde ouvert se décide non pas en fonction des besoins du jeu mais afin d’obtenir une bonne accroche marketing, le jeu EST trop gros. Ensuite, je pense qu’une règle avec laquelle tout le monde sera d’accord, est qu’un jeu se doit de respecter ses invités et par extension : leur temps.

Le temps est devenu un enjeu majeur de nos vies culturelles. Avec le déploiement insensé des offres vidéo et streaming liées à des plates-formes comme YouTube, Twitch, Netflix, Disney + et j’en passe… Nous n’avons d’autres alternatives que de faire des choix drastiques ou de renoncer à une partie de notre âme en regardant films et séries TV en vitesse accélérée !
J’ai connu une époque, à la fin des années 70 / début des années 80, où l’écran télé n’accueillait que trois chaînes : TF1, Antenne 2 et FR3 ! Aujourd’hui, sans même parler de chaînes TV ou de services de streaming, il est facile de passer un weekend complet, sans une once de sommeil, à uniquement “binger” le contenu d’une seule créatrice YouTube ou à suivre le playthrough en temps réel d’un seul streamer sur le gros jeu du moment !
Le jeu vidéo doit donc batailler pour notre temps libre comme jamais auparavant. Le média lui-même, au delà du temps de jeu requis, est assommé par des volumes de sorties absolument historiques. La plate-forme PC Steam a ainsi accueilli pas moins de 14 000 jeux en 2023, soit 39 nouvelles sorties par jour ! Un chiffre ahurissant, à faire tourner la tête…
Du coup, face à cette offre pléthorique, insensée même, la taille d’un jeu est devenue un enjeu à part entière. Ce qui le place dans une position plus que difficile… Historiquement, le jeu vidéo a en effet évolué en agglomérant sans cesse de nouveaux genres, comme un blob ou un Kirby psychopathe !
Prenons pour exemple le Zelda de la NES et ceux de la Switch… Les deux appartiennent au genre aventure mais ils n’ont plus grand chose à voir l’un avec l’autre ! The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom intègre un “triple” monde ouvert (terre, ciel et sous-terrain) ; un jeu de construction ; une simulation de chute libre ; des cours de cuisine ; et une myriade d’activités qui se sont agglomérées petit à petit au fil des nouvelles versions du jeu. Comme la plupart des franchises de jeu vidéo, The Legend of Zelda n’a jamais cessé de grossir.

Est-ce que cela en fait un moins bon jeu que la version NES ? Je ne pense pas non.
Est-ce que le jeu requiert plus de temps pour être terminé ? Oui, clairement.
Perso je ne l’ai pas fini à 100% et j’ai pourtant passé 235 heures dans le monde ouvert de Tears of the Kingdom ! Est-ce que Nintendo en a trop fait ? Est-ce que Rockstar en a trop fait avec Red Dead Redemption 2 (je n’ai pas pu vérifier mais clairement plus de 200h), ou FromSoftware avec Elden Ring (160), Sony avec God of War Ragnarök (90), Supergiant Games avec Hadès (365), ou encore Square Enix avec Final Fantasy VII Rebirth (50h et je n’ai pas fait la moitié du jeu) ?

Si l’on se fie au feedback de l’industrie la réponse à toutes ces questions est très claire : “non, ces jeux n’en font pas de trop”.
Tous les titres que je viens de citer ont été nommés ou été dans la conversation pour remporter le GOTY (prix du jeu de l’année).
Tous ont fédéré autour d’eux des communautés qui ont créé des milliers d’heures de contenu (au pif, difficile d’obtenir ce type de data) - pour des centaines de millions de vues ! - sur les plates-formes de streaming, les réseaux sociaux et les wiki de tout poil. Un site comme Polygon, qui a beaucoup critiqué le monde ouvert “bouffi” de Final Fantasy VII Rebirth, a ainsi produit plus de 30 articles sur le jeu et ses activités sous la forme de guides !
Il est évident qu’il n’est pas possible de faire plus d’un ou deux jeux de cette taille par an, à moins de sacrifier d’autres activités, de renoncer au sommeil, ou de devenir ermite ou Hikikomori.
Il faut donc faire des choix. Ce qui est tout de même un luxe quand on y réfléchit un peu. Mais cela rend d’autant plus frustrant les jeux qui cherchent à se faire gros sans en avoir la carrure, ou pour l’esbrouffe.
La taille d’un monde, mais aussi sa densité, doit répondre à un besoin précis. Que ce soit pour…
créer un sentiment d’immersion unique, comme c’est le cas pour Elden Ring ou Red Dead 2
offrir un terrain de jeu afin d’expérimenter avec une mécanique de jeu pour la maîtriser et en tester les limites (systèmes de combat de God of War et FF7 Rebirth ; recherche du “build” optimal de Hadès ; jeu de construction de Zelda TOTK…)
en apprendre plus sur le monde et ses personnages (la fameuse quête du “lore”)
faire plaisir aux fans en respectant leurs attentes et / ou en multipliant les clins d’oeil (yep, FF7 Rebirth)
jouer avec les systèmes de jeu dynamiques offerts, comme les étoiles de GTA : un système qui permet de transformer à tout moment le jeu en une énorme simulation de course-poursuite à la Blues Brothers !
ou tout simplement offrir à ceux et celles qui le désire un challenge relevé, basé sur des activités à faire en solo ou en groupe, et dont on peut moduler la difficulté afin d’en affiner les récompenses (points d’expérience, rareté du loot, etc.)

Le jeu vidéo devient “trop” gros lorsqu’il néglige de répondre à l’une de ces nécessités. La taille et la variété des activités proposées ne peuvent être décorrélées des besoins créés par sa boucle de gameplay, sa proposition scénaristique, son world building, et les attentes que ces piliers génèrent. Si un jeu vidéo parvient à être à la fois cohérent, satisfaisant et honnête, alors sa taille restera une qualité, mais aussi une récompense pour les joueurs.
Ceci dit, nul n’est parfait. Et il est clair que même les meilleurs “gros” jeux peuvent parfois confondre gourmandise et… facilité. Final Fantasy VII Rebirth, par exemple, reprend certains “tics” des mondes ouverts à la Ubisoft (l’une des références citées par les développeurs étant Horizon Zero Dawn, qui doit beaucoup à la franchise Far Cry). On retrouve ainsi les tours à escalader pour faire apparaître certaines activités sur la carte ou encore des interactions que l’on pourrait juger inutiles, voire répétitives, comme le fait de relever un panneau pour débloquer les “arrêts de bus” pour Chocobo”, qui servent de points de déplacement rapide.

Peut être serait-il temps d’envisager pour ces jeux gourmands en termes de temps un mode “light”, comme il existe un mode “easy” ? Autrement dit un mode “à la carte” qui permettrait d’éliminer ce que le joueur pourrait considérer comme du “gras” afin de se concentrer sur ce qui l’intéresse vraiment. Un premier pas à d’ailleurs été effectué dans ce sens par certains studios avec l’inclusion d’un mode Histoire, permettant de faire l’impasse sur la complexité d’un système de combat par exemple. Je pense qu’il existe encore de la place pour ce type d'expérimentation. La diététique vidéoludique est possible !
Et puis même si une offre moins chronophage, plus “légère”, est bel et bien là grâce aux studios indépendants, il est évident qu’il existe encore de la place pour des expériences de jeu plus courtes. Les 5 heures d’un Lords of Exile, les 8 d’un Cocoon ou les 15 d’un Chants of Sennaar, font définitivement du bien !
Même les gros éditeurs pourraient expérimenter avec ce modèle, comme Ubi a pu le faire avec le dernier Prince of Persia par exemple. Des jeux plus compacts pourraient même permettre aux équipes de développement de souffler un peu entre deux “Triple A”... et nous aussi par la même occasion !
Allez, je retourne explorer à dos de Chocobo mon bon “gros” FF7 Rebirth !
Retrouvez la team Pixel Bento au grand complet autour du vaste sujet : “La durée de vie, un concept qui a la vie dure !”, dans l’épisode #25 du podcast, dont voici un petit extrait !
PS : Toutes les photos et les captures d’écran illustrant cet article ont été prises par mes soins à partir d’une version commerciale de Final Fantasy VII Rebirth sur PS5, et de The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom sur Switch. Sauf les images de Spider-Man 2 et Helldivers 2, prises sur le site officiel Insomniac et celui de Sony PlayStation. Et merci à Arnaud pour m’avoir aiguillé sur les chiffres Steam !
Je suis tellement d'accord. Il y énormément de bons jeux et on ne peut pas tout faire. En ce qui me concerne la durée d'un jeu fait maintenant partie des critères de sélection. (Je parle surtout des jeux solo, pas de multi, services etc. C'est un autre sujet)
Si un jeu m'intéresse, je passe systématiquement par le site https://howlongtobeat.com/
Ça me permet de prioriser en alternant les expériences pour ne pas s'essouffler en enchaînant les "gros" jeux.
Je ne vois pas du tout le problème, je n'en suis qu'à 395 heures de jeux sur Zelda TOTK. 😭
(je savais bien qu'il fallait pas que je regarde)