Prince of Persia, une série à l’épreuve du temps
Ubisoft Montpellier vole dans les plumes du Simorgh et se réapproprie la Perse antique pour livrer une vision très “japanime” du Prince, ainsi qu’un virevoltant hommage au Metroidvania.
Du sablier retourné par l’ignoble Jaffar dans la version originelle de 1989, qui laissait au joueur une petite heure pour sauver la Princesse d’un mariage forcé ; au fameux “rewind” de la trilogie des Sables du Temps ; en passant par la main tendue d’Elika dans le reboot de 2008, qui permettait au joueur de remonter le temps pour être tout bonnement immunisé contre le Game Over, la série Prince of Persia a toujours affiché une forte dépendance à la notion de Temps.
Et du temps, il en aura fallu à la franchise de Jordan Mechner (acquise par Ubisoft en 2001) pour sortir des sables mouvants dans lesquelles elle était enlisée depuis maintenant… 14 ans ! Oui, si l’on omet les versions mobiles et autres remakes, nous n’avions pas eu de nouveau Prince of Persia depuis 2010 et Les Sables Oubliés (qui porte bien son nom1). Si vous avez lu Replay : Mémoires d’une famille, la formidable BD autobiographique de Jordan Mechner, vous savez que plusieurs projets furent développés à Montpellier ces dernières années, mais n’ont malheureusement jamais abouti. Du moins, jusqu’à aujourd’hui ! Début 2024 a en effet accueilli un tout nouveau Prince of Persia: The Lost Crown !
Prince of Persia est une série chère à mon coeur.
J’ai découvert le premier jeu peu après sa sortie en 1989, l’année suivante pour être précis, sur Amiga 500. Plus d’une décennie plus tard, en 2003, j’étais aux premières loges pour assister au renouveau de la franchise dans les locaux d’Ubisoft Montréal, en réalisant le making of de Prince of Persia: Les Sables du Temps (et plus tard sa suite) pour la chaîne TV Game One.
En 2008, enfin, j’écrivais une critique très personnelle du second reboot de la franchise sur la chaîne TV Nolife, où je m’inquiétais du virage tout public du jeu, qui confondait à mes yeux “accessibilité” et “atrophie du challenge”. En 2015, en rejoignant Ubisoft, j’ai également eu l’opportunité de travailler sur la franchise aux côtés de Jordan Mechner. En découvrant le premier trailer de The Lost Crown, j’ai immédiatement été séduit, mais ce n’est qu’en jouant à la démo que j’ai finalement été happé.
Imaginez un peu ma joie lorsque j’appris que Mounir Radi, le directeur du jeu, était de passage à Tokyo pendant quelques jours pour la promo de ce nouveau POP ! J’ai donc saisi cette opportunité pour discuter avec lui du projet et réaliser son interview pour cet article et un prochain podcast Pixel Bento !
Mounir Radi travaille au sein des studios d’Ubi Québec depuis quelques années lorsque le producteur Abdelhak Elguess lui propose en 2020 de revenir à Montpellier et de développer une nouvelle adaptation de Prince of Persia dans le studio où il a longtemps travaillé.
“Lors des premiers échanges sur le jeu nous n’avons pas essayé d’accoler à un genre mais plutôt de bien comprendre ce qu’était la série en rejouant aux premiers épisodes (...). Et en rejouant au Prince of Persia originel, je me rappelle que ça a réveillé un truc assez particulier en moi. Des sensations comme la peur que je ressentais en jouant enfant à POP, mais aussi cette sensation d’isolement, et le fait que je devais faire l’effort de comprendre par moi-même. Naturellement, ces souvenirs m’ont rappelé le genre du Metroidvania. Même si le premier Prince of Persia n’était pas un Metroidvania, il avait pas mal d’atomes crochus avec le genre. Ça, couplé avec l’expérience d’Ubisoft Montpellier dans les jeux de plates-formes, et l’amour que l’on a pour le genre en tant que joueurs, nous a mené naturellement à la décision de faire de The Lost Crown, un Metroidvania.”2
“Metroidvania” est un mot valise composé de Metroid et Castlevania, deux classiques absolus du jeu vidéo, dont la simple mention suffit à faire frétiller le gamer comme une carpe koï à l’approche d’une mie de pain. On leur attribue la naissance d’un genre hybride mêlant plates-formes et combat, avec un fort accent mis sur l’exploration et la revisite de niveaux préalablement traversés via l’acquisition de nouveaux “pouvoirs” (le plus connu étant le double saut). Il n’est pas rare aussi que le Metroidvania corse sa dimension exploration via l’ajout de puzzles.
La quintessence du genre est souvent conféré au Castlevania: Symphony of the Night de Konami (sorti sur PlayStation en 1997), un autre exemple, plus récent, de réussite absolue dans le genre étant Hollow Knight (2017).
En effet, le premier Prince of Persia est quelque part un Metroidvania avant l’heure, totalement épuré, et réduit à sa substantifique moelle : une exploration acrobatique basée sur un level design tortueux.
Et comme le précise Mounir, le studio Ubi Montpellier a une longue histoire avec le jeu de plates-formes, même si la sortie de l’excellent Rayman Legends remonte maintenant à plus de 10 ans (ce qui ne nous rajeunit pas…) ! Personne ne sera donc véritablement surpris en découvrant que ce nouveau POP est, avant toute chose, un très bon jeu de plates-formes, dont les “3C” ont fait l’objet d’un soin maniaque. Les 3C sont les 3 “C” de : Camera, Control et Character.
“Ils définissent en fait la manipulation du personnage principal et à quel point il est agréable de le prendre en main”.
Ils sont donc les garants du plaisir lié au contrôle du perso incarné. Un jeu avec de bons 3C est tout bonnement un jeu avec un gameplay aux petits oignons fris dans de l’huile de truffe. C’est grâce à eux que l’on peut parvenir à l’obtention du flow qui définit les grands jeux orientés Action et la plupart de ces fameux “jeux que l’on ne peut pas s’empêcher de relancer”, auquel j’ai récemment consacré un article !
Des jeux comme Celeste et Hollow Knight, d’ailleurs cités par Mounir lors de notre entretien, ou des classiques plus anciens tels que Super Mario World ou Super Meat Boy, possèdent tous ce que l’on pourrait appeler : “un personnage hameçon”. Dans le sens où le contrôle du personnage est tellement plaisant qu’il “accroche” le joueur tel un poisson au bout d’une ligne.
Et pour le Metroidvania, un genre qui nous invite à faire des allers-retours et ré-explorer les niveaux à l’aide des nouvelles capacités débloquées (double saut, dash, grappin, etc.), l'importance de ces 3C en est encore renforcée. Dans certains cas, ils sont même le garant de notre capacité à endurer et persévérer lorsque l’on est confronté à un pic de difficulté ou l’une de ces “poches de challenge” facultatives qui viennent teaser notre ego et tester notre maîtrise des derniers pouvoirs obtenus.
Histoire de compliquer encore un peu les choses, il est fréquent (voire même nécessaire) qu’un nouveau pouvoir soit en fait une mécanique de jeu “couteau suisse”. Je m’explique… Ou mieux encore, je vais laisser Mounir expliquer ! Et décrire également le travail de longue haleine qui fut nécessaire au fignolage des 3C et donc du gameplay de ce nouveau POP.
“Pendant un bon moment Sargon (le héros) n’était à l’écran qu’une gélule, un tic-tac ! Il fallait d’abord s’assurer qu’il réponde au doigt et à l’oeil. (...) On a itéré dessus de sorte à obtenir un personnage super réactif, et c’est uniquement à partir de là que l’on a commencé à lui donner une forme (un modèle 3D) et à ajouter des animations ainsi que des FX (effets visuels). (...) Une fois que l’on a obtenu le coeur de notre perso, le coeur de notre déplacement, on a petit à petit greffé les nouvelles attaques, les nouveaux pouvoirs aussi; et on voulait que tout soit assez horizontal. C’est à dire qu’à chaque fois que l’on donne une nouvelle compétence au joueur, celle-ci doit absolument se combiner de manière à pouvoir servir tous les compartiments du gameplay. Comme on parle ici d’un Metroidvania, (...) en récupérant une nouvelle compétence le joueur se voit offrir de nouvelles options en combat, mais aussi de nouvelles manières de se déplacer et de résoudre des puzzles. C’était très important.”
Mais la réussite de ce nouveau Prince of Persia ne tient pas uniquement à ses 3C et sa compréhension des nécessités propres au genre Metroidvania. Elle tient aussi à sa capacité à se réinventer sans trahir l’identité de la série, en proposant par exemple un tout nouveau héros, Sargon…
Et même toute une équipe de super guerriers, en mode Super Saiyans ou… “My Prince Academia” !
“On voulait à la fois avoir des éléments très familiers, les piliers de la série, mais aussi surprendre nos joueurs. Et pour y parvenir on s’est posé des questions assez simples comme : ‘Et si cette fois on n’incarnait pas le Prince mais que nous devions le sauver ?’ ; ‘Et si le héros faisait parti intégrante d’un groupe ?’ ; ‘Et si pour une fois les fameux pouvoirs du Temps étaient entre les mains du méchant ?”... Ces questions nous ont permis de définir les contours de ce nouveau jeu et notamment de Sargon qui est un des nouveaux membres de cette équipe d’immortels.”
En jouant à Prince of Persia: The Lost Crown, on ne peut que s’étonner du mariage réussi entre la limpidité et la noblesse inhérentes au jeu originel, une Perse Zoroastrienne plus réaliste (notamment dans son approche des environnements et de mythes volontairement éloignés des contes des 1001 nuits), et ses influences “japanime”.
Le design, l’animation, la mise en scène et les effets visuels employés lors de l’utilisation de certains contres ou coups spéciaux ont été inspirés par les anime japonais. Mounir est en effet un enfant du Club Dorothée et a grandi avec des séries comme Les Chevaliers du Zodiaque (Saint Seiya) ou Dragon Ball Z. Comme il aime le préciser avec un petit sourire, Sargon “est plus un Vegeta qu’un Son Goku” !
Mounir revendique tout particulièrement l’influence du nekketsu, un genre qui englobe bon nombre de shōnen (manga pour ado) et se distingue par l’ascension fulgurante mais néanmoins semée d’embuches (et de tournois) de son personnage central vers le statut de héros, le tout avec une bonne débauche de rage. Car après tout, nekketsu est composé des kanji 熱血, qui signifient “chaud” et “sang” !
“Il y a notamment un animateur très particulier que l’on a observé, qui s’appelle Yutaka Nakamura, et qui est incroyable... Pour tous les amateurs d’anime, à chaque fois que vous voyez de petites étoiles sur vos séries préférées, que ce soit du One Piece, du My Hero Academia, etcetera… bah c’est lui.
Il a aussi travaillé sur des séries Bones comme Space Dandy et Cowboy Bebop, ce mec est incroyable et on a beaucoup regardé son animation pour essayer de comprendre comment il jouait avec le temps. Car c’est quelqu’un qui a un sens réel de l’impact et qui triche avec le temps. Pour marquer les impacts notamment, on va avoir des personnages soudainement ralentis alors que ses fringues et d’autres éléments accélèrent. Et lorsque l’on parle du temps, on parle de Prince of Persia. On a donc réutilisé ces astuces afin de créer quelque chose d’unique.”
Avec The Lost Crown, l’équipe de Montpellier démontre non seulement sa connaissance du genre, mais également son amour pour lui.
Si ce nouveau Prince of Persia ne révolutionne pas le Metroidvania, il se hisse au niveau des meilleurs pour finalement faire repartir la franchise sur des piliers solides et décorés avec une surprenante variété ! Animation japonaise pour l’impact visuelle et les animations ; grands jeux indépendants (Celeste, Braid, Hollow Knight) pour les influences gameplay ; mais aussi la mythologie Perse (on peut même jouer en farsi !)… Toutes ces influences donnent au jeu une saveur unique. Comme le déclare Jordan Mechner sur son blog :
“Je suis particulièrement heureux que The Lost Crown ait une saveur perse aussi authentique (...). Des éléments intemporels de la culture perse que je veux depuis longtemps voir dans un Prince of Persia, tels que le Simorgh, le mont Qaf ou encore l'Athra, sont élégamment intégrés au gameplay et à la trame narrative.3”
Adoubé par le créateur de la série, accueilli avec les louanges de la presse, encensé par les fans et les streamers, ce Prince of Persia: The Lost Crown est présenté par beaucoup comme “la première pépite de 2024” !
Perso, je ne peux qu’apporter ma contribution à l’enthousiasme général, ne lui reprochant finalement qu’une poignée de bugs mineurs, un certain classicisme, et un bruitage envahissant (celui qui accompagne notre respawn après avoir touché des pics ou chuté dans le vide, ce qui arrive souvent dans les séquences platforming les plus ardues du jeu !).
En tant que fan absolu du genre Metroidvania et de la série Prince of Persia , je suis ravi de voir la série renaître de ses cendres, tel un Phénix perse invoqué par un groupe de héros hétéroclite composé de Rayman, Vegeta, Alucard, Samus, le Chevalier de Hallownest, Madeline et même le Simorgh !
PS : les images du jeu Prince of Persia : The Lost Crown qui illustrent cet article ont toutes été capturées par mes soins à partir d’une version PlayStation 5 fournie par l’éditeur. Idem pour le screenshot de Hollow Knight, mais à partir d’une version commerciale du jeu sur Switch. L’image de My Hero Academia de Yutaka Nakamura provient de son compte X (Twitter).
On notera ici que la version Wii de Prince of Persia : Les Sables Oubliés n’a rien à voir avec la très décevante version HD éponyme sortie sur PS3 et X360, et s’est avérée être une très belle surprise !
Cette interview de Mounir Radi (Game Director sur Prince of Persia: The Lost Crown) a été réalisée à Tokyo, lors de son passage éclair en Janvier pour la promotion du jeu. Par soucis de concision et de clarté, elle a été légèrement retouchée. La version intégrale de cette interview sera diffusée dans un prochain épisode Hors Série du podcast Pixel Bento ! Je remercie Mounir pour sa gentillesse et sa disponibilité, ainsi qu’Emmanuel Carré chez Ubisoft, sans qui je n’aurais pas appris que Mounir était de passage au Japon !
Jordan Mechner a créé le jeu Prince of Persia originel sorti en 1989. Je vous conseille de lire son blog pour suivre son actualité et aussi de lire sa formidable BD autobiographique, Replay : Mémoires d’une famille, aux éditions Delcourt, où il revient entre autres sur son travail sur Prince of Persia, y compris les projets qui n’ont malheureusement pas abouti lorsqu'il a déménagé à Montpellier pour rejoindre Ubisoft.
Super article, merci!
J'avais déjà craqué pour le jeu et ça faisait longtemps que je n'avais pas autant accroché à un metroidvania... et c'est bel et bien le deplacement du perso et la plateforme pure que j'apprecie le plus (inspiration celeste comme tu dis).
Je suis moins emballé par les combats pour l'instant ( 8h de jeu) mais j'espere etre agreablement surpris pour la suite.
En tout cas ça me donne envie d'enchainer à un bon jeu de plateforme 2d des que je l'aurai fini!
Superbe article ! Très plaisant à lire comme d’habitude !
Il me fait de l’œil ce POP !!