The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom n’est pas une suite, c’est une révolution ! - PARTIE 1/2
Des pouvoirs qui font “all in” sur l’autonomie du joueur
Avec la sortie de Breath of the Wild en 2017, Nintendo s’est pleinement approprié et a revitalisé la formule “open world” en mettant tout simplement l’accent sur l’autonomie du joueur et sa capacité à se fixer ses propres objectifs. Au cœur d’un genre dont la popularité n’est plus à démontrer et a contribué aux succès de nombreuses séries, se situe la notion de liberté bien sûr, mais aussi du plaisir lié à la découverte. David Sheff, auteur de l’excellent livre Game Over : How Nintendo conquered the World, rapporte ainsi les propos de Shigeru Miyamoto sur les inspirations derrière le premier The Legend of Zelda, sorti sur NES en 1986 : "When I was a child, I went hiking and found a lake. It was quite a surprise for me to stumble upon it. When I traveled around the country without a map, trying to find my way, stumbling on amazing things as I went, I realized how it felt to go on an adventure like this". Ces petits moments d’émerveillement sont les briques avec lesquelles fut construit le monde de Breath of the Wild et sur lesquelles son succès repose. Mais le ciment utilisé pour assembler ces briques est un mélange de l’ensemble des règles physiques qui sous-tendent les écosystèmes du jeu : que ce soit le réalisme du fonctionnement des éléments naturels tels que le feu, l’eau, l’électricité, le vent, et les manières avec lesquelles ces derniers se répondent et interagissent, mais aussi les « pouvoirs (runes) » donnés au joueur.
Ces pouvoirs (Cinetis/Stasis, Polaris/Magnesis, Remote bomb et Cryonis) plaçaient le joueur dans un rôle jusqu’alors inédit dans la série Zelda, celui d’un alchimiste, voire d’un magicien, à même de manipuler les éléments du jeu en détournant à son profit les règles physiques du monde. Il devenait alors possible de figer un court instant dans le temps n’importe quel objet, un rocher par exemple, pour ensuite le charger en énergie cinétique en le frappant à l’aide d’une arme, pour le voir décoller et voler à travers l’environnement une fois que le temps reprenait son cours ! Avec l’essor des plates-formes de streaming et d’hébergement vidéo telles que YouTube et Twitch, le jeu vidéo a depuis longtemps brisé les chaînes qui le cantonnait à l’intimité des foyers pour s’épanouir sur une scène online dont la taille et la forme ne cessent de croître et d’évoluer. Le simple fait que Breath of the Wild soit un jeu open world lui assurait une place significative sur la scène Internet, mais la présence de ces pouvoirs fit du jeu un terrain d’expérimentation idéal qui lui assura une pérennité inédite (pour la série Zelda) sur les réseaux sociaux. Des années après sa sortie, les joueurs découvraient de nouvelles manières de jouer avec les systèmes du jeu pour le speedrunner ou simplement tester ses limites. Cette pérennité n’a pas échappé à Nintendo. Avec Tears of the Kingdom, l’éditeur japonais a fait “all in” sur la capacité du joueur à s’approprier les systèmes du jeu et à façonner une expérience qui lui soit unique.
On parle souvent des jeux open world comme de buffets d’activités dans lesquels les joueurs peuvent picorer. Mais là où la plupart de ces buffets se cantonnent à faire du joueur un client gourmand, Tears of the Kingdom lui colle aussi la toque du chef cuisinier sur la tête !
Les nouveaux pouvoirs donnés au joueur sont absolument stupéfiants et surpassent en tout point ceux de BOTW.
. Infiltration (Ascend en anglais - on notera en passant l’étrangeté des noms français/トーレルーフ en japonais) est sans doute l’un des plus surprenants. Il ressemble en effet à s’y méprendre à un outil de développement (de debug) ultra commun, qui permet aux développeurs de naviguer dans les environnements du jeu sans contraintes. Le joueur se voit ainsi doté de la capacité de passer à travers les plafonds, si ces derniers sont à une distance raisonnable. Autant dire que l’impact de cette mécanique sur le level design du monde a dû être un vrai casse-tête et atteste de la volonté des développeurs de donner aux joueurs des outils inédits. Avec ce pouvoir, Nintendo leur confie une clé absolument unique en termes de navigation et prouve une fois de plus la confiance qu’il place en nous.
. Emprise (Ultrahand/ウルトラハンド), permet au joueur de manipuler dans les airs et d’amalgamer des objets ensemble à l’aide de points de glue. Il peut ainsi créer des ponts en collant des planches par exemple, ou encore des véhicules à l’aide d’éléments plus complexes, tels que des roues, un volant ou des ventilateurs, qu’il peut trouver dans l’environnement ou acheter dans des gachapon spéciaux (oui, oui, Zelda est définitivement un jeu japonais !). Ce pouvoir est en quelque sorte une version surboostée de Polaris (Magnesis en anglais), qui dans BOTW permettait de déplacer un objet métallique dans les airs. Nintendo renoue ici avec son ADN de fabricant de jouets (Ultra Hand, ウルトラハンド en japonais, étant également le nom d’un jouet créé par Gunpei Yokoi en 1965 !) pour faire de ce nouveau Zelda un bac à sable rempli de LEGO avec lesquels les joueurs peuvent tester les limites de leur imagination.
Cette main magique est un “game changer”, une révolution. Sa présence seule assure à Tears of the Kingdom une identité unique et fait du jeu un jalon aussi important, voire plus, dans l’histoire de la série que le fut Ocarina of Time. En ajoutant ce nouveau pilier de gameplay, Nintendo a profondément modifié l’ADN de la série Zelda, qui en ressort à jamais changée. Le Royaume d’Hyrule n’est plus uniquement un monde à explorer et le réceptacle de puzzles à résoudre, il devient un vrai terrain de jeu et d’expérimentation. En incorporant un véritable jeu de construction à la BESIEGE (un jeu à la physique réaliste où l’on fabriquait des machines de siège médiévales), Nintendo bouleverse la formule Zelda bien plus que BOTW ne l’avait fait en 2017. Ce n’est plus seulement le monde qui est ouvert, c’est le cœur même du jeu.
. Amalgame (Fuse/スクラビルド) est sans doute l’un des pouvoirs les plus “élégants'' du jeu. Il répond à la fois à l’une des critiques les plus communes de BOTW - les armes qui cassent - en augmentant leur durée de vie et en encourageant le joueur à expérimenter; joue avec les systèmes physiques sur lesquels repose le monde de BOTW et sa suite (feu, glace, etc.); et accompagne logiquement la nouvelle approche DIY du jeu. En autorisant la fusion de n’importe quelle arme ou bouclier avec des matières premières ou des objets croisés dans l’environnement, le joueur peut modifier leur fonctionnement et augmenter leur pouvoir. Une arme brisée devient ainsi une nouvelle opportunité d’essayer une combinaison inédite, limitant ainsi la frustration d’une partie des joueurs. Brillant.
. Rétrospective (Recall/モドレコ), qui permet au joueur de remonter brièvement le temps pour un objet en mouvement, et ce faisant d’inverser sa trajectoire, est une évolution majeure du Cinetis/Stasis de BOTW. Il est à la fois utilisé pour la résolution des puzzles du jeu, mais aussi pour les combats et la navigation.
. Et enfin, Duplicata (Autobuild/ブループリント), l’un des derniers pouvoirs débloqués, répond à un besoin créé par Ultrahand en permettant de sauvegarder les plans de ses créations et de débloquer de nouveaux schémas de construction. Le tout repose sur un écosystème assez fin, destiné aux plus bricoleurs, composé de matières premières uniques (que l’on peut transformer dans des mines/usines à découvrir), d’éléments complexes que l’on débloque au fil de son exploration, et d’un système de batteries portables que le joueur doit apprendre à manager.
Avec l’ensemble de ces pouvoirs, Nintendo a su totalement réinventer la manière dont on interagit et évolue dans l’open world.
Découvrez ici la suite et conclusion de cet article, ainsi que les raisons qui font de Tears of the Kingdom, un reboot bien plus qu’une suite (ou un DLC étoffé) !
PS: toutes les photos, images et vidéos illustrant cet article ont été prises ou capturées par mes soins, à partir d’une version commerciale de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom.