The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom n’est pas une suite, c’est une révolution ! - PARTIE 2
Une révolution en forme de reboot
La première partie de cet article était consacrée au choc que fut The Legend of Zelda: Breath of the Wild à sa sortie en 2017, et au passage en revue des nouveaux pouvoirs de sa suite directe : Tears of the Kingdom. Des pouvoirs qui mirent en exergue la volonté des développeurs Nintendo à mettre entre les mains du joueur des outils inédits (voire “interdits” jusque-là) leur octroyant une liberté surprenante dans la résolution des puzzles proposés ou leur capacité à explorer le Royaume d’Hyrule.
Avec ces nouveaux pouvoirs, Nintendo a osé totalement réinventer la manière dont on interagit et évolue dans l’open world. On se sent en terrain inconnu, et ce malgré le fait que cette suite utilise la même carte que BOTW. Une carte néanmoins modifiée via l’ajout d’une constellation de grottes par exemple, qui abritent toutes une créature translucide qui contient en elle une gemme dont un drôle de personnage est friand ! La topographie générale du Royaume d’Hyrule a également été quelque peu bouleversée par la chute de pierres et d’énormes édifices tombés du ciel après le réveil de Ganon et le cataclysme qui accompagna cet événement. Mais surtout, la carte du jeu a été largement étoffée par l’ajout de deux nouvelles “couches” à explorer : le Ciel et les Profondeurs de la Terre (Depths en anglais).
Ces 3 couches ont été pour Nintendo l’occasion de peaufiner et d’enrichir l’une des plus principales qualités du premier jeu : le plaisir lié à la navigation. Le paraglider (une espèce d’aile à l’aide de laquelle Link peut planer) fait ainsi son retour et les mécaniques de vol et de plongeon (épaulées par la présence de véhicules aériens) prennent une place centrale dans le gameplay du jeu. La première fois que l’on quitte la couche céleste pour littéralement plonger la tête la première à travers les nuages et découvrir la topographie familière d’Hyrule est inoubliable. Et le fait que l’on puisse réaliser un énorme plongeon du Ciel jusque dans les Profondeurs de la Terre sans temps de chargement visible est réellement épatant pour une console comme la Switch (la tortue des consoles de salon, pourtant bien loin devant - commercialement parlant - les lièvres next gen que sont les PS5, Xbox Series X et autres Steam Deck) et un testament de l’ingéniosité des programmeurs.
Après plus de 200 heures à arpenter cette nouvelle carte tri-surfaces, la vertigineuse verticalité de l’exploration s’est imposée comme l’un de mes aspects favoris de Tears of the Kingdom. Le regard du joueur était déjà l’outil sur lequel les designers Nintendo se focalisèrent pour créer la carte d’Hyrule. Notre regard était le compas avec lequel on décidait de la direction à emprunter dans une aventure qui n’en devenait que plus organique et personnelle. Une aventure sans icônes pour nous pousser à coups de coude insistant à droite et à gauche dans la direction des quêtes les plus proches. Le regard du joueur était lui seul le juge et le déterminant du repère qu’il pouvait poser sur la carte pour jaillir sous la forme d’un trait lumineux dans le monde du jeu. Une tour aperçue au loin, un agencement insolite d’arbres dont les silhouettes se découpent au sommet d’une colline… La curiosité du joueur était le principal moteur de gameplay. Le Royaume d’Hyrule était devenu une intrigue à résoudre pas à pas.
Avec cette suite, le regard du joueur est encore plus sollicité. Nos gaulois nationaux en auraient des frissons dans le dos. Suite au Grand Cataclysme, le ciel nous est littéralement tombé sur la tête ! Et des blocs de pierre continuent d'atterrir violemment sous nos yeux, que l’on lève alors pour entrevoir les contours des îles flottantes desquelles ils se sont délogés. Difficile ici de ne pas songer à la fin épique du Château dans le Ciel de l’immense Hayao Miyazaki. Les nuages ne sont désormais que le voile d’un nouveau monde à explorer, à balayer du regard à la recherche des indices qui viendront nourrir notre insatiable appétit d’aventures.
Et au Ciel s’adjoint les Profondeurs de la Terre, un nouveau monde souterrain, gigantesque, plongé dans une obscurité qu’il faudra percer du regard avant de pouvoir en briser l’opacité à l’aide de racines et de plantes luminescentes. Il est facile de se perdre dans ce nouveau Zelda, dans cette version “upgradée” de l’Hyrule de Breath of the Wild. Une plongée dans les Grandes Profondeurs, à la recherche d’un simple PNJ, peut aisément se transformer en une épopée de plusieurs heures, où notre survie ne tient qu’à un fil, ou plutôt à une poignée de coeurs rognés par les miasmes toxiques qui recouvrent cette terre hostile. Cette richesse et cette variété dans la nouvelle topographie offerte par Tears of the Kingdom nécessite une nouvelle lecture de la carte (la vraie, celle que l’on ouvrira à l’aide de la tablette de Pru'Ha - Purah Pad en anglais). Une couche inférieure (les Profondeurs de la Terre) et une couche supérieure (le Ciel) s’ajoutent à la carte que l’on connaît, et on peut switcher de l’une à l’autre, comme si l’on soulevait des calques superposés. Ces 3 cartes sont en fait 3 couches connectées les unes aux autres par des passages et autres passerelles prenant diverses formes. Certaines zones des Profondeurs de la Terre ne peuvent être atteintes qu’en empruntant des trous (abîmes) situés en surface, et parfois dissimulés dans des grottes. Tandis que la plupart des îles flottant dans le Ciel ne sont accessibles qu’après avoir activé l’une des Tours du jeu, qui agissent comme des canons nous propulsant dans les airs.
Dans Tears of the Kingdom, naviguer d’un point à un autre est une aventure vertigineuse faite d’envols et de plongeons. Ce Zelda est d’ailleurs une solide simulation de skydiving en soi (surtout avoir débloqué - via une série d’épreuves - l’armure dédiée à cette activité); un pilier sur lequel, je l’espère, continuera de construire Nintendo à l’avenir. En conclusion, on peut dire qu’avec Tears of the Kingdom, Nintendo fait “all in” sur les joueurs comme rarement un studio a osé le faire jusque là, en leur confiant les clés d’Hyrule comme jamais auparavant. L'inébranlable confiance donnée aux joueurs fait écho à celle de Zelda pour Link. Jamais je ne me suis senti aussi libre dans un jeu vidéo, open world ou non. Cette liberté, déjà présente dans BOTW, prend ici une forme plus profonde, plus radicale, plus folle aussi.
Est-ce la meilleure suite de l’histoire du jeu vidéo ? Non parce que les suites dans le jeu vidéo, contrairement au cinéma, sont souvent supérieures à leur prédécesseur, et que la concurrence est sévère. S’agit-il d’un gros DLC camouflé du fait de la réutilisation de la carte d’Hyrule et du retour “tel quel” de nombreuses composantes de Breath of the Wild : comme la plupart des personnages; les différents peuples composant Hyrule (les Hyliens, ainsi que les Zoras, Gorons, Gerudos et Piafs); le cycle des lunes de sang faisant régulièrement respawner les monstres du jeu; les armes et les armures; les dragons aux écailles si précieuses; les fées qui améliorent les armures à l’aide d’embrassades de plus en plus chaleureuses; les Koroks dont la découverte sert toujours à élargir son inventaire; sans oublier le bestiaire ennemi - assez chichement étoffé il faut bien l’avouer - qui marque, entre autres, le retour des éternels Talus et toujours aussi effrayants Lynels… Si les premières heures de jeu à la surface d’Hyrule laissent comme un léger arrière goût de déjà vu - ce qui a contribué à générer pour moi un petit laps de temps avant d’atteindre le niveau d’émerveillement provoqué par Breath of the Wild - l’évidence ne tarde pas à s’imposer : non seulement ces similarités rappellent la base incroyablement solide sur laquelle Tears of the Kingdom a été construit, mais sans elle, il aurait été plus difficile, sinon impossible, de proposer des pouvoirs aussi radicaux, étonnamment semblables aux outils de création utilisés par les designers. Placés entre les mains des joueurs, ces outils (pouvoirs) ont pour vocation de “débloquer” les joueurs. Nintendo nous a tous “Level Up” dans notre potentiel de créativité ! Alors est-ce que Tears of the Kingdom est la suite parfaite ? Non, peut-être pas, mais ce n’est pas non plus un DLC++.
En fait, cette suite est une révolution - à la limite du reboot - de la formule Zelda. Une étape clé dans l’histoire de la série et un pas majeur dans une direction inédite et pourtant logique pour un studio comme Nintendo, aux racines profondément ancrées dans l’industrie du jouet. Si Nintendo a débuté en créant des cartes (Hanafuda), il les abat aujourd’hui pour dévoiler une quinte flush royale qui redéfinit ce que l’on peut attendre d’un jeu Zelda.
Retrouvez les impressions de la team Pixel Bento au grand complet, dans le Pixel Bento #36 : Les sorties de Zelda et Mario vues du Japon !
PS: toutes les photos, images et vidéos illustrant cet article ont été prises ou capturées par mes soins, à partir d’une version commerciale de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom.