Le charme discret du minimalisme vidéoludique
Le jeu vidéo eighties, celui des salles d’arcade enfumées, est de retour ! J’ai l’impression de le voir partout ! Sous la forme d’un lapin qui explose des taupes mangeuses de carottes par exemple...

J’ai découvert Murtop par hasard, en papillonnant sur Internet au gré d’une brise de news retrogaming (merci le mag MO5 !).
S’il a retenu mon attention, c’est d’abord grâce à l’impact nostalgique de son pitch : “Dig Dug rencontre Bomberman” ! Deux classiques absolus, deux de mes jeux préférés, deux madeleines de Proust.
L’un est sorti dans les salles d’arcade en 82 et l’autre sur les micro-ordinateurs japonais de 83. Dans un cas comme dans l’autre, ces titres renvoient à une époque où les “mondes” des jeux vidéo n’étaient définitivement pas “ouverts”, pour être plutôt confinés à un unique écran !

Cette époque était aussi celle où l’on pouvait expliquer un jeu en une phrase ou deux : « bah tu vois, tu creuses, tu exploses les taupes en patrouille en posant des bombes ou en les écrasant sous des rochers, et t’essayes de ramasser un max de carottes pour les points”. Voilà.
À la fin des années 70 / début des années 80, les mécaniques de jeu étaient limpides. Il suffisait généralement de regarder la partie de quelqu’un par dessus son rôle pendant 30 secondes pour savoir comment jouer. Les mécaniques de jeu s’appuyaient généralement sur des concepts simples, des variations autour des notions de destruction, de poursuite (le joueur étant généralement l’objet de la traque), et de collecte d’objets (pac-gommes, drapeaux, carottes, etc.).

J’adore cette petite phrase de Raph Koster tirée de son livre A Theory of Fun :
“(...) le cerveau humain est avant tout un consommateur vorace de motifs (patterns), une espèce de Pac-Man potelé et gris gorgé de concepts. Les jeux ne sont rien d’autres que des motifs exceptionnellement délicieux à dévorer.”1

Lorsque sous l’impulsion libératrice d’un scrolling (à la Super Mario Bros.) ou d’un simple changement d’écran (à la The Legend of Zelda), notre personnage a pu soudainement échapper au confinement de son écran fixe, nous nous sommes senti(e)s libres. Mais cette liberté éparpilla ces fameux “motifs” aux quatre vents. Portés à des distances folles grâce à des bourrasques 8, 16, 32-bit, jusqu’aux actuels multiples de “64-bit”, ces motifs ont depuis servi à construire des cathédrales comme Elden Ring, Breath of the Wild ou Red Dead Redemption 2.
Lorsque pris d’un élan rétro on relance un classique tel que Pac-Man (1980), on ne peut que s’émerveiller devant le chemin parcouru par le jeu vidéo en l’espace de 45 ans.
Je ne sais pas pour vous, mais il m’arrive de me demander quel effet aurait eu sur moi la découverte d’un The Legend of Zelda: Breath of the Wild à l’âge de 6-7 ans… Quand je pense à l’impact sismique de la découverte de Pong à cet âge là, comment mon “Pac-Man potelé et gris” aurait bien pu digérer un tel festin de “motifs” ?!
Le jeu vidéo est aujourd’hui devenu gargantuesque ; un loisir dévorant notre temps avec la voracité d’un ogre insatiable.

Retourner sur un jeu néo-rétro inspiré des eighties tel que Murtop, fait un peu l’effet de s’asseoir dans un minuscule jardin zen…
Murtop fait partie de cette vague de jeux ayant décidé d’enclencher la marche arrière pour revenir aux mondes contenus dans un écran fixe ou une petite poignée tout au plus. Des jeux résolument typés “arcade eighties”, dont j’ai d’ailleurs pu parler auparavant (que ce soit ici ou dans le podcast), comme Raindrop Sprinters, Satryn DX ou Gaurodan par exemple.
Comme souvent, Murtop a été créé par un développeur solo, avec l’aide de Valen Haralambidis pour les bruitages et les musiques. Connu sous le pseudonyme Hiulit et membre de la vibrante communauté indie espagnole, il travaille actuellement sur un portage NES de son jeu, c’est dire à quel point il aime officier dans le passé !
Dès que l’on prend le contrôle de Murti (c’est le nom du lapin), on sent que l’on a changé d’époque. Tout est “réduit” ! 256 niveaux (c’est pas mal en fait…) ; 1 minute pour finir un niveau ; 1 stage bonus tous les 5 niveaux, où l’on doit attraper des carottes tombant du ciel en slalomant entre des rochers (météorites ?) ; 4 carottes par écran à collecter pour les points ; et 3 types d’ennemis !

L’objectif ? Éliminer toutes les taupes !
Et on ne peut que se déplacer dans 4 directions pour creuser et poser une bombe derrière soi (une à la fois), l’explosion de celle-ci nous étant également fatale.
Un jeu dans la lignée de ses références donc (Dig Dug, Boulder Dash et Bomberman) mais qui par la proximité de son concept avec ces grands classiques embrasse aussi la tendance de l’époque à produire une invraisemblable quantité de clones.
Le résultat est tout aussi impeccable qu’imparable, et regorge de petites subtilités. Pour gagner plus de points et gravir le classement mondial en ligne (via un système de QR codes que l’on obtient à la fin de chaque partie), on peut finir un niveau en moins de 15 secondes ; conserver ses vies pour le bonus de décompte ; ou éliminer plusieurs ennemis d’un coup en posant ses bombes dans le bon timing ; voire s’arranger pour ne jamais être repéré par les taupes roses armées d’une pelle, celles-ci rapportant plus de points si elles sont éliminées “par surprise” !

Mais là où Murtop surprend et se distingue le plus de ses aînés, c’est par son choix de créer des boucles de 5 niveaux (se concluant par un stage bonus assez facile). Autrement dit, la difficulté n’augmente pas progressivement sur 256 niveaux mais augmente sur chaque série de 5 niveaux, celle-ci se concluant par l’apparition de l’ennemi le plus dangereux du jeu (la taupe moustachue !).
Le rythme créé par ce choix est aussi unique que déconcertant au départ. Il dilue en effet la difficulté “sur la longueur” pour requérir du joueur autant de patience que de concentration (à priori il faut environ 45mn pour atteindre le niveau 50). Évidemment, si l’idée ici est d’abord de s’offrir une pause rétro sans prise de tête et de mettre en jeu ses réflexes une petite dizaine de minutes, on continuera à jouer pour scorer !

La carotte Arcade a toujours été le highscore. Mais celle-ci était à l’époque mitigée par une difficulté souvent ridicule visant à limiter votre temps de jeu. Ce n’est pas le cas ici, Murtop n’étant pas très difficile et sa boucle de progression plutôt permissive. En revanche, il faudra rester concentré (longtemps) et minimiser ses erreurs pour scorer plus efficacement ! Une qualité autant qu’un défaut, une partie à “haut score” pouvant donner la sensation de s’éterniser…
Mais malgré ce bémol, je me suis beaucoup amusé avec Murtop ! Retrouver le minimalisme des grands classiques de l’arcade de la fin des années 70 / début des années 80 est toujours une expérience rafraîchissante. C’est ça le charme discret du minimalisme vidéoludique 😀 Et le jeu ne coûte que 5 euros !
Si vous avez des recommandations dans le genre, n’hésitez surtout pas à les partager dans les commentaires ci-dessous :)
PS: Toutes les images ainsi que la vidéo de Murtop ont été capturées par mes soins à partir d’une version commerciale sur Switch 2. Les photos prises dans les salles d’arcade sont aussi de mon cru, tout comme les captures de Dig Dug et Galaga (réalisées à partir de Namco Museum) ainsi que celle de The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Enfin, l’artwork des protagonistes de Murtop provient du site officiel du développeur Hiulit.
Voici la version originale de la citation de Raph Koster dans A Theory of Fun, que je trouve joliment écrite : “Based on my reading, the human brain is mostly a voracious consumer of patterns, a soft pudgy gray Pac-Man of concepts. Games are just exceptionally tasty patterns to eat up.”

