J’ai été hypnotisé par un chat !
Une patte de chat en fait… qui n’aime pas l’eau et s’avère être la star improbable d’un jeu indie japonais : Raindrop Sprinters.
Le but du jeu ? Traverser une minuscule cour d’immeuble un jour de pluie en essayant, littéralement, de passer entre les gouttes ! Car comme tout le monde le sait, les chats n’aiment pas être mouillés.
J’ai découvert ce jeu d’arcade minimaliste grâce à un post de Derek Yu (développeur star de la scène du jeu vidéo indépendant, derrière des succès comme UFO 50 et Spelunky), qui le recommandait vivement sur le réseau social Bluesky.
Raindrop Sprinters est l’exemple parfait de la pépite cachée ! Je l’ai récemment relancé pour checker mon score et je me suis finalement retrouvé à jouer pendant des heures jusqu’à ce que je l’ai battu. L’appel du “encore une partie” est extrêmement fort.
Après l’avoir installé pour me retrouver moi aussi scotché à mon écran, en train de passer des heures à slalomer entre les gouttes de pluie, je peux vous confirmer qu’il est très difficile de lâcher ce jeu.
Son concept, d’une diabolique simplicité, vous demande simplement d’avancer ou de reculer, et d’appuyer avec parcimonie sur un (et un seul) bouton !
Avec ce bouton, vous pouvez ralentir le temps, et tenter ainsi d’échapper à une goutte de pluie sans vous arrêter. Et si vous la frôler, tant mieux ! Cela vous rapporte des points ! Car il va de soit que la pluie tombe vite plus drue, jusqu’à devenir un véritable déluge.
D’où le nom du jeu : Raindrop Sprinters. Parce qu’il est nécessaire d’aller vite, très vite, pour espérer pouvoir traverser la cour un nombre suffisant de fois et déclencher la “fin” du jeu.

Comme tout bon jeu d’arcade, la fin n’est ici qu’une étape, l’idée étant avant tout d’obtenir le meilleur score possible et de hisser son nom dans les classements, tel un étendard à la gloire de son skill !
Si Raindrop Sprinters est à ce point enraciné dans la culture des salles d’arcade ou du “game center” à la japonaise, c’est que son développeur solo, est un immense fan de cette dernière.
Je suis un grand adorateur des jeux d’arcade des années 80, comme Mario Bros. (Nintendo), Dig Dug (Namco) ou Pooyan (Konami), et je reste fasciné par la simplicité de leur structure et la profondeur de leur gameplay. Alors naturellement, les jeux que je créé emprunte ce style, et je reste persuadé qu’il existe toujours une place pour eux de nos jours. Le plus simple sont les contrôles d’un jeu, le mieux c’est, j’en suis convaincu. Alors j’utilise juste un stick et un bouton.



C’est ainsi que Shuhei Miyazawa, alias room_909, se présente dans les carnets de développement de Raindrop Sprinters publiés sur la page Steam du jeu. Ce développeur solo vivant à Kyoto est très transparent sur ses expériences et son parcours en tant que créateur de jeux.
Né en 1977, il a d’abord connu le jeu vidéo par procuration, en jouant chez un ami et dans un magasin de bonbons faisant aussi office de salle d’arcade. Ses parents ont en effet refusé de lui acheter une Famicom (NES), même s’il a fini par obtenir plus tard un ordinateur MSX21 (un Panasonic FS-A1mkII) qui a éveillé chez lui le goût de la programmation et l’envie de devenir plus tard développeur de jeu vidéo.
Je suis un descendant direct de ce que l’on appelle la génération NES. Mais j’ai toujours adoré les jeux d’arcade Namco des années 80 et rêvé de pouvoir un jour créer des jeux de ce type. Mes compétences étaient limitées à un peu de programmation Javascript, quelques bases en pixel art, ainsi que quelques notions en composition pour avoir par le passé jouer du jazz au piano. J’étais pourtant sûr de pouvoir créer un jeu intéressant pour peu que j’ai une idée !
Et cette idée, il l’a eu en 2020, en pleine pandémie.
Bien décidé à se tirer de sa torpeur, il a annoncé son intention de développer un jeu vidéo en un mois avec GameMaker à tous ses amis game designers, en leur demandant de ne pas l’épargner s’il ne parvenait pas à relever le défi !
Motivé comme jamais, malgré son expérience très limitée dans la création de jeu vidéo, il s’est lancé bille en tête pour finalement approcher de la date limite avec bien peu de choses à montrer.
Histoire de ne pas se taper la honte devant ses amis, il a laissé tomber l’embryon de jeu sur lequel il bossait, pour se lancer dans le développement d’un nouveau titre qu’il pourrait terminer… en une journée !
Et ça a donné Raindrop, le prototype de ce qui allait devenir Raindrop Sprinters après moult itérations et ajouts. On pourrait presque dire que Shuhei Miyazawa s’est auto-imposé le format express d’une game jam pour pouvoir parvenir au résultat épuré souhaité. Et il précise, toujours dans ses carnets de développement, que le concept de Raindrop Sprinters lui a été inspiré par un jeu auquel il s’adonnait dans les couloirs de son école en primaire !

Lorsqu’il parle de son jeu, sorti il y a un peu plus d’un an (en décembre 2023), Shuhei “name drop” les classiques de l’arcade des années 80 avec autant de passion que de révérence. Il cite The Tower of Druaga (Namco) pour le système de badges ; Guwange (Cave) pour la mécanique de slowmo ; Omega Fighter (UPL) pour le système de scoring ; Sky Kid (Namco) et Bubble Bobble (Taito) pour la manière dont les bruitages sont utilisés afin de guider et récompenser le joueur ; ou encore Atlantis no Nazo (Sunsoft) pour la qualité rassérénante des jingles joués lorsque l’on traverse avec succès la cour d’immeuble.
L’ouverture des coffres au trésor dans le jeu de plates-formes Atlantis no Nazo, sorti en 1986 sur Famicom, a inspiré les électrisant jingles de Raindrop Sprinters.
Le bruitage des gouttes de pluie qui s’écrasent au sol pour former une mélodie aléatoire rythmant nos traversées ; les jingles qui ponctuent chacune de celles-ci tels des hymnes victorieux et des encouragements à continuer ; les sons qui accompagnent chaque étoile saisie ou goutte évitée de justesse… Tout contribue à créer une bulle sonore au coeur de laquelle le jeu nous enferme.
Un enfermement volontaire, complice même, qui nous permet de déployer une concentration gagnant sans cesse en acuité, alors que la pluie tombe de plus en plus vite, jusqu’à devenir un rideau de gouttes, un bullet hell humide.
La joueuse ou le joueur entre alors en état de transe, tandis que le score explose à une vitesse exponentielle. L’arcade, dans sa primale pureté, est la plus addictive des expériences vidéoludiques. Une expérience quasi religieuse, où nous sommes soudainement connecté(e)s au jeu comme Neo à la matrice à la fin du premier film.
Plus le temps passe, plus le niveau monte… Et c’est alors que tout s’affole, que les bruitages s’emballent afin de créer une véritable farandole de sons. (cette vidéo est un vrai pince-coeur… si proche et si loin à la fois !)
Tout ça pour dire, que j’ai un mal de chien (un comble lorsque l’on incarne un chat) à lâcher ce jeu !
Raindrop Sprinters ne propose qu’un seul et unique écran de jeu, comme Pac-Man, Bubble Bobble ou Galaga. Mais à l’image de ces classiques des années 80, il possède lui aussi une profondeur insoupçonnée. Un système de badges permet ainsi de modifier légèrement le gameplay à son avantage, en cours de partie, en réalisant des actions précises, comme franchir un certain nombre de fois la ligne d’arrivée sans s’arrêter. Des succès peuvent aussi être débloqués, ainsi que des modes de jeu supplémentaires modifiant parfois les règles de façon drastique (le chat est brûlant, et il faut le refroidir avec les gouttes d’eau !).

Malgré ses qualités, un accueil Presse positif, et les louanges de nombreuses personnalités connues de la scène indie, telles que Derek Yu, déjà mentionné, mais aussi Terry Cavanagh (VVVVVV, Super Hexagon) et Toby Fox (Undertale), Raindrop Sprinters s’est peu vendu. La faute, sans doute, a un prix un peu trop élevé (8 euros ou 1260 yens).
Shuhei Miyazawa, fidèle à lui même, est totalement transparent sur le sujet, auquel il a consacré un article (en japonais et en anglais) fin 2024 sur le site Note : Pricing of games is difficult, isn't it? - A story about a game I made that didn't sell very well.
Perso, je suis heureux d’avoir acheté ce jeu, mais je peux comprendre que son prix puisse faire tiquer.
Et vous ? Qu’en pensez-vous ? Après avoir lu cet article et vu les vidéos, seriez-vous prêt à l’acheter en dehors d’une période de promo ?
PS: Toutes les images et vidéos illustrant cet article ont été capturées à partir d’une version commerciale de Raindrop Sprinters sur Nintendo Switch. La vidéo du jeu Atlantis no Nazo a également été capturée par mes soins sur la chaîne Famicom du service Switch Online. Les déclarations de son développeur ont été traduites de l’anglais à partir des notes de développement publiées sur la page Steam du jeu, et de nombreuses informations (ainsi que sa photo et l’illustration d’intro) reprises de son site perso. Les jaquettes des jeux d’arcade sont tirées du site The Arcade Flyer Archive.
Le MSX est une tentative de lancement d’un nouveau standard de micro-ordinateurs lancés par le Japon au milieu des années 80. Canon, Sony, Philips… de nombreuses marques ont lancé leur version du MSX, dont certaines ont atteint la France ! Ma première machine fut ainsi un MSX Canon V20 :)
Merci pour cet article, très intéressant comme toujours ! Pour ma part, je trouve ça délirant qu'aujourd'hui, on en arrive à considérer que 8 euros pour un jeu, c'est cher... Faut il blâmer le mobile, où la gratuité est la norme ? Le jeu service, où la gratuité n'est qu'une apparence ? Je n'en ai aucune idée, mais ce que je sais c'est que cette tendance ne me plait pas :(
Comme d’hab texte très agréable à lire mais pour le coup, malgré ton enthousiasme, l’enrobage du jeu ne m’attire absolument pas mais j’admire le parcours du créateur. C’est assez inspirant en fait. En plus il a une bonne bouille. As-tu pu le rencontrer ?