Tunic : l'habit ne fait pas le moine
Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli... Je suis un renard, dit le renard, et j’adore Zelda.
Tunic trônait, bien en évidence, au sommet de ma “pile of shame”, abordée dans un précédent article. Il faut dire que ce jeu d’action / aventure sorti en 2022 a beaucoup fait parler de lui.
Microsoft lui a déroulé un tapis rouge, Tunic étant d’abord sorti exclusivement sur Game Pass, et il a été accueilli par une presse en liesse, ou tout du moins sous le charme (85% sur Metacritic). Il faut avouer que le design de son petit héros, un renardeau en cosplay de Link, est absolument irrésistible
Aujourd’hui, deux ans après sa sortie, il est rentré dans le cercle très fermé des “indie darlings”, aux côtés de pointures comme Hyper Light Drifter, FEZ, Hollow Knight ou Shovel Knight par exemple. Au point qu’il n’est pas rare de tomber sur des commentaires absolument dithyrambiques tels que : “Tunic est le meilleur Zelda de ces 10 dernières années !”.
Oui, c’est ce que l’on appelle une “hot take” !
Alors, je n’irais pas jusque là, mais il est évident que Tunic, et son développeur solo, Andrew Shouldice, ont su capter le truc qui a envouté plusieurs générations de joueurs et de joueuses avec la série The Legend of Zelda.
Il serait d’ailleurs intéressant d’explorer un jour l’aura de la saga Nintendo, qui est sans doute la plus influente de l’histoire du jeu vidéo.
Tunic a su capturer ce petit supplément de magie, lié en grande partie à un level design de haute volée et une exploration non guidée, qui est présente dans la série The Legend of Zelda depuis ses débuts en 1986. Une exploration où joueuses et joueurs sont libres de ressentir cette émotion unique, faite de stress et de joie, qui accompagne le plaisir de la découverte… tout simplement.
Là où Tunic trouve son identité, c’est en intégrant non pas une carte (en tout cas pas seulement) mais un manuel de jeu complet dans son monde !
Un manuel d’instructions à l’ancienne, dont on récupère les pages dispersées à travers les environnements au fil de notre aventure, et qui s’avère être rempli d’annotations laissées par un précédent joueur. Un peu comme s’il s’agissait d’un jeu loué dans un magasin !
Ce manuel est essentiellement écrit dans une langue inconnue (que l’on peut s’amuser à décrypter), ce qui nous rappelle d’autres titres tels que FEZ et Hyper Light Drifter (deux inspirations majeures de Tunic), ou le récent Chants of Sennaar.
Cette idée d’un manuel à reconstituer est intimement liée aux souvenirs d’enfance du développeur. Il a ainsi partagé dans de nombreuses interviews l’anecdote suivante, traduite ici du site Pure Xbox :
Quand j’étais tout petit, j’adorais décortiquer les manuels ou “notices d'instructions” comme ils se faisaient parfois appeler. J’aime toujours les lire aujourd’hui bien sûr, mais à l’époque, c’étaient des objets très mystérieux. Je me rappelle avoir été chez mes voisins alors qu’ils jouaient à Metroid 2 sur Game Boy. Cet écran se prêtait mal à une vision partagée par dessus l’épaule, ce qui fait que j’ai du me contenter de feuilleter le manuel.
Un manuel qu’il ne pouvait même pas lire, car il était encore trop petit !1
Ce mélange de fascination et de confusion, mais aussi cette sensation d’avoir entre les mains les clés d’un monde mystérieux, sans avoir le début d’une idée quant à la manière de les utiliser, ont accompagné Andrew Shouldice lorsqu’il développait Tunic, seul, durant 7 longues années.
Il est déconcertant (mais compréhensible, Game Pass oblige) que Tunic soit d’abord sorti uniquement en version numérique, alors qu’il rend clairement hommage au jeu vidéo en tant qu’objet physique. Le lancement d’une version boîte Collector chez Fangamer en mars 2023 fut donc accueilli avec une immense joie par les fans !2
Outre son design volontairement abscons, ce manuel in game rempli d’annotations en mode gribouillis et de croquis raturés, est indubitablement une invitation à la prise de notes.
Car si les traces d’une partie précédente existent dans le manuel in game, notre parcours est lui aussi pris en compte. Des encoches sont ainsi ajoutées sur les listes de certaines pages et une icône représentant le joueur, apparaît en temps réel sur les cartes des différentes zones du jeu.
Comme le chef d’oeuvre FEZ, auquel il rend constamment hommage, Tunic est un jeu qui possède deux visages.
Les 10 premières heures sont ainsi consacrées à l’exploration d’un monde inconnu et à la compréhension de ses règles. La présentation en 3D isométrique du jeu permet de dissimuler d’innombrables raccourcis et passages secrets, pour proposer une agréable navigation “puzzlesque”, à la manière d’un Monument Valley ou d’un Captain Toad: Treasure Tracker.
Le système de combat, lui, renvoie aux classiques de FromSoftware.
Vie, Stamina et Magie sont par exemple les trois jauges de Tunic. Et on peut esquiver, bloquer, contrer… en privilégiant le combat au corps à corps, même si quelques armes magiques et une poignée d’objets (bombes, etc.) sont accessibles.
Il faudra également faire preuve de patience et apprendre les patterns des boss pour espérer avancer (des options d’accessibilité sont disponibles pour faciliter la progression).
Le fait de sauvegarder / se reposer devant un autel entraîne comme il se doit un respawn de tous les ennemis. Et si le joueur meurt, il perd un peu d’argent, qu’il peut récupérer en retrouvant son fantôme. Une approche plus rigoriste que celle d’un Zelda donc, mais moins punitive que celle d’un Dark Souls !
Après ces 10 premières heures dédiées à l’exploration et au combat, les 10 suivantes (à la louche, le temps nécessaire à la résolution d’énigmes étant des plus variables), sont dédiées à la partie Puzzle de Tunic.
Ces puzzles, qui nécessitent de décrypter certaines parties du manuel, constituent pour moi tout le sel du jeu, son supplément d’âme. Ils permettent en effet de redécouvrir Tunic sous un nouveau jour, comme si nos yeux s’étaient soudainement ouverts, et de débloquer une seconde fin, bien plus douce que la première.
C’est grâce à ces puzzles que le jeu est entré dans le panthéon des meilleurs indés. Et s’ils rendent souvent un hommage appuyé au jeu FEZ, au point que leur résolution sera parfois grandement facilitée si vous avez joué au classique sorti en 2012, on lui pardonnera volontiers cet excès de révérence. Après tout, le lancement de FEZ remonte à plus de 10 ans !
Tunic est donc un jeu sous influences.
Mais le mix proposé est bien suffisant pour satisfaire, voire enthousiasmer les fans des Zelda 2D ou du récent remake Switch de The Legend of Zelda: Link’s Awakening, dont il partage l’approche kawaii. On notera que Andrew a tout de même fait des choix artistiques assez drastiques, avec des effets de lumière conférant au jeu une atmosphère… irréelle (?), qui sied plutôt bien à Tunic et contribue à le distinguer.
Que l’on y joue 10 ou 20 heures, Tunic est un jeu à faire pour tout fan de la série The Legend of Zelda, de puzzle game… et de prise de notes !
Quand un jeu m’invite à sortir papier et crayon pour griffonner fiévreusement des schémas, il réveille l’amateur de chasses aux trésors que j’étais étant enfant. Et je suis certain de ne pas être le seul dans ce cas…
Après tout, comment résister à ce petit renard qui s’imagine en Link avant de se prendre pour Sherlock Holmes !
PS : Toutes les images illustrant cet article ont été capturées par mes soins à partir de versions commerciales de Tunic et FEZ sur Nintendo Switch. L’artwork ouvrant cet article provient quant à lui du compte X (Twitter) officiel du jeu.
Une info donnée dans de nombreuses interviews dont celle publiée sur le site Rock Paper Shotgun en 2021.
Mais du coup, comme le manuel arrive “en entier” (les annotations en moins) dans cette édition physique, et non page par page comme dans le jeu, je vous conseille de ne le regarder qu’après l’avoir entièrement débloqué dans votre partie !
Cette sensation unique des "knowledgevania". Quand ça "click" dans notre cerveau et qu'on comprend une chose qui était devant nos yeux depuis le début. Quand on y réfléchi toute la journée, nous obsède la nuit, que l'on noirci les feuilles d'un carnet afin de tester des théories etc. Au même titre que Fez ou Outer wilds et autres jeux de ce style, Tunic restera gravé dans ma mémoire. J'ai même gardé mes notes comme une sorte de relique ;D
Très content que tu aies enfin trouvé le temps d'y jouer !
Hop, il file dans ma liste des jeux à acheter dès que je le trouve 🥰 merci pour le déclencheur ♥️