Merci Monsieur Toriyama !
Son oeuvre forme l’un des visages les plus reconnaissables et les plus accueillants de la culture japonaise. Akira Toriyama nous a quitté le 1er mars, bien trop tôt, à l’âge de 68 ans.
On m’a récemment demandé durant une interview si je pensais que Final Fantasy avait joué un rôle dans mon désir de m’installer au Japon. Je ne pense pas que ce soit le cas. L’oeuvre de Akira Toriyama, en revanche…
C’est une question qui mérite d’être posée ! L’environnement culturel joue forcément dans notre envie de vivre quelque part. Et certaines oeuvres ont tout particulièrement contribué à façonner notre perception d’une culture étrangère, voire notre amour pour celle-ci.
Le Japon, pour moi, c’est un bouillonnement permanent d’images en mouvement. Un énorme tourbillon culturel, formé au confluent des médias les plus divers (jeu vidéo, ciné, manga, littérature…), duquel émergent des noms dont la simple mention suffit à provoquer une forte réponse émotionnelle. Des noms comme Akira Kurosawa, Hayao Miyazaki, Shigeru Miyamoto, Kenji Misumi, Katsuhiro Otomo, Osamu Tezuka, Isao Takahata, Takeshi Kitano, Satoshi Kon, Joe Hisaishi, Ryu Murakami, Hiroyuki Imaishi… et tellement d’autres !
Mais si je devais choisir UN nom pour définir à travers une oeuvre mon amour pour la culture japonaise, alors ce serait probablement celui de Akira Toriyama.
Ce mangaka et scénariste de génie possède un trait instantanément reconnaissable. Il suffit de crayonner à la hâte sur un coin de nappe un visage rond, deux gros sourcils et une chevelure aux épis géants pour immédiatement reconnaître Son Goku. Comme les silhouettes de Mickey ou de Mario, celle du héros de Dragon Ball est à jamais imprimée dans notre mémoire.
Les personnages de Akira Toriyama transpirent une ingénuité qui les rend immédiatement sympathiques et attachants.
On a envie de partager leurs aventures et d’être à leur côté ! On a envie d’être leurs meilleur(e)s ami(e)s. Les héros de Toriyama sont l’incarnation la plus sincère et la plus familière des “héros au coeur pur”. Qui n’a jamais désiré être capable, comme Son Goku, de filer à toute berzingue à travers le ciel, juché sur son nuage magique ?
Que ce soit Son Goku (Dragon Ball), Aralé (Dr Slump) ou Beelzébub (Sand Land), tous sont entourés d’une galerie de personnages autrement moins bien intentionnés, dont les vices sont d’une évidence le plus souvent hilarante. Les anti-héros de Toriyama sont aussi transparents et manipulables que ses héros ! Mais à force d’être exposés à leur sincérité dénuée de tout faux semblants, ces anti-héros finissent par être conquis et expier (au moins en partie) leurs pires travers.
Même les méchants dans les histoires de Toriyama ont droit à une certaine forme de rédemption, à moins qu’ils ne soient totalement et indécrottablement stupides, ce qui peut aussi arriver ! Dans ce cas, il est facile de les prendre en pitié ou de se moquer de leurs mésaventures. L’un des plus beaux “méchants” créés par Toriyama est sans doute l’un des premiers grands adversaires de Son Goku : Piccolo.
Piccolo est l’incarnation même de l’ennemi juré, de la Nemesis du héros. Un personnage de peu de mots, parfaite représentation du cliché du pistolero silencieux échappé d’un western italien, qui est habité par la haine et obsédé par la victoire à n'importe quel prix. Un stéréotype auquel Toriyama, qui était féru de cinéma et fan de Clint Eastwood, a forcément été exposé.
Mais même Piccolo finira par être gagné par le dévouement, le sens de l’honneur et l’abnégation de Son Goku, pour finalement devenir lui aussi l’un des héros les plus emblématiques et populaires de la franchise DB… sans oublier le plus impliqué et le plus dévoué des “tontons” pour le fils de Son Goku !
Akira Toriyama a su créer des héros aux vertus contagieuses. Ce sont les héros et aspirations dont nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais, alors que les Freezer du monde entier semblent gagner en puissance.
Tous ces personnages possèdent aussi un appétit pour la vie et l’aventure incroyablement communicatif. Un trait idéal pour en faire le protagoniste parfait d’un jeu vidéo !
Toriyama s’est aussi rapidement démarqué pour avoir mis son style au service de multiples médias : le manga bien sûr, mais aussi l’animation et le jeu vidéo. Et quelle contribution ! Dragon Quest est l’une des séries les plus prolifiques et les plus aimées au monde ! Une véritable institution au Japon, où le Slime pourrait prétendre au même titre que Godzilla, Mario, Gundam ou Hello Kitty au statut de “mascotte du Japon”.
Estampillé quoi que ce soit du sceau Dragon Quest au Japon revient à toucher le jackpot. Cette franchise est PARTOUT. Lorsque je suis arrivé à Tokyo en mai 2018, j’ai participé avec des amis et mes futurs co-chroniqueurs du podcast Pixel Bento à un matsuri (un festival) Dragon Quest sur l’île d’Odaiba !
Il existe ici un parc d’attractions ; un jeu de rôle massivement multijoueur (Dragon Quest X) en fonctionnement depuis 2012 ; des boutiques dédiées ; des jeux de cartes ; un café / musée (le Luida's Bar)... Et quasiment chaque année depuis 1986, un nouveau jeu de rôle Dragon Quest, l’un de ses nombreux spin-offs (Monsters, Builders, Slime, The Adventure of Dai, etc.) ou un remake / remaster sort dans le commerce.
Dragon Quest est pour le Japon ce que Star Wars est au reste du monde : une institution. Il est inimaginable de parcourir du regard un étal de jouets ou de figurines en vrac dans une boutique de seconde main sans tomber sur un Slime ou un quelconque personnage créé par Toriyama. La série Dragon Quest possède même son “petit nom” au Japon, où elle est affectueusement appelée : ドラクエ (doraqwé) !
Vivre au Japon, c’est un peu vivre au pays de Toriyama ! Mais sa participation ne se limite pas à Dragon Quest et touche aussi l’un des jeux de rôle japonais les plus universellement aimés : Chrono Trigger, sorti sur Super Nintendo en 1995, et dont l’aura ne peut être rivalisée que par une poignée de titres, comme Final Fantasy VII et Pokémon. Tout ce que Akira Toriyama a touché semble s’être transformé en or. Il est un peu l’alchimiste multimédia du manga. Le poster qui était présent dans la boîte américaine du jeu Super Nintendo a longtemps orné les murs de ma chambre, puis de mon premier appartement, pour finalement m’accompagner une bonne partie de ma vie d’adulte.
Le monde de Chrono Trigger et ses héros inoubliables ont été dépeints en une poignée d’illustrations par Akira Toriyama avant d’être transformés en pixels. Mais ces illustrations portent en elles un souffle épique absolument unique, qui a su résonner avec moi mais aussi des millions de joueuses et de joueurs.
C’est l’une des forces de l’auteur : sa capacité à nous inviter de la plus naturelle des façons dans des mondes familiers, dont on reconnaît aisément le style et les archétypes de personnages.
Cette familiarité a fait des personnages de Dragon Ball, Dragon Quest, Dr Slump, Sand Land… des proches. Et par extension, Toriyama lui-même, qui se mettait souvent en scène dans ses mangas, est devenu un ami de longue date sur les épaules duquel on pouvait se reposer.
Se reposer, certes, mais rire aussi ! Car l’oeuvre de Toriyama est aussi exaltante qu’hilarante… A la fois pleine de malice et au premier degré assumé. Tourner les pages d’un de ses mangas est l’assurance de voir apparaître sur son visage un sourire en coin, et ce quelque soit l’humeur du moment.
Ses histoires sont une invocation à aller de l’avant, à se relever quelque soit le choc encaissé, à redoubler d’effort pour faire face à l’impossible, à s’entourer aussi d’amis, afin d’apprécier les choses simples en bonne compagnie, comme un bon repas ou une graine Senzu !
L’oeuvre de Akira Toriyama est intemporelle, comme le prouvent le retour en force de son manga Sand Land (dont la sortie remonte à 2000 !) ; l’arrivée prochaine du jeu Dragon Quest XII (2025 sans doute), auquel il a eu le temps de participer ; ou encore la longévité de Dragon Ball, qui accueillera une nouvelle série animée, Dragon Ball Daima, en fin d’année. Si l’auteur nous a quitté cette année, son oeuvre continuera à croître et à nous accompagner, nous et les générations à venir, pendant encore longtemps. Cette pensée est suffisante pour me rendre heureux et accepter le départ prématuré de cet immense artiste.
Si vous désirez en savoir plus sur Sand Land, cité plus haut, j’avais consacré un article au manga et à son actualité récente (film, jeu vidéo, etc.) !
Et pour rentrer dans les détails de la carrière de Akira Toriyama, retrouvez la team Pixel Bento au grand complet, dans le Pixel Bento #26 : Géniale ou Ninjas, les tortues sont là !
PS : Toutes les photos illustrant cet articles ont été prises par mes soins. Les images de Dragon Quest sont tirées de l’édition japonaise du livre Akira Toriyama : Dragon Quest Illustrations - 30th Anniversary (Bird Studio / Shueisha - 2016). Les images des mangas Dragon Ball et Dr Slump sont tirées du site officiel DB ; celles de Chrono Trigger du site officiel dédié au jeu ; et celle de DQ Monsters The Dark Prince du site presse Square Enix.
Bravo et merci pour ce bel hommage, il fait parti, avec quelques rares autres, des artistes qui façonnent chez les gens une passion, une vocation voir même une vie. Merci pour tout Mr Toriyama, votre oeuvre restera à jamais dans nos coeurs.
Belle plume pour un bel hommage.
Je ne me rendais pas compte que Dragon Quest était une telle religion au Japon.
Je suis curieux de savoir comment cet évènement a été vécu là bas.
Y a-t-il eu une reaction ou un hommage particulier de la part du gouvernement japonais ?