Les indés sont les grands artisans de la préservation du jeu vidéo
Sans les développeurs indépendants, de nombreux genres seraient aujourd’hui totalement oubliés, voire auraient cessé d’exister.
Récemment, j’ai commencé à jouer à Loco Motive, un jeu d’aventure Point & Click avec des graphismes pixel art qui m’a rappelé avec délice les heures passées à jouer à Monkey Island 2: LeChuck's Revenge et Day of the Tentacle sur PC, ou encore Operation Stealth sur Amiga.
Loco Motive rend en effet un hommage énamouré au jeu d’aventure du début des années 90, et tout particulièrement aux classiques Lucasfilm Games / LucasArts. Des titres qui se démarquaient par leur décontraction cartoonesque ainsi que leurs histoires loufoques, riches en animations soignées et en situations abracadabrantes.
Mais là où les jeux de la saga Monkey Island pouvaient faire la couverture des magazines papier de l’époque, aujourd’hui le genre “aventure Point & Click” ne vend plus autant, et n’existe que grâce à la scène indé.
Le genre est devenu “niche”, pour reprendre l’expression consacrée.
Et c’est uniquement grâce à la passion de minuscules équipes, comme celle de Robust Games, composée des frères Adam et Joseph Riches, que l’on peut encore avoir la chance de jouer à un Loco Motive et ainsi redécouvrir la saveur unique d’un genre ayant régné sur les années 90.
Comme le plaisir…
de fouiller un écran de jeu comme s’il s’agissait d’une pièce d’Escape Game
d’associer des objets improbables en espérant obtenir la clé d’un puzzle ou une réaction méta, voire condescendante du jeu
de suivre la trame d’une enquête dont les rebondissements feraient hausser les sourcils de Fred Vargas
d’interroger des personnages clichés, davantage pour s’amuser des dialogues déclenchés que pour récolter des indices susceptibles de nous faire progresser
ou simplement d’avoir la sensation d’être au coeur d’une aventure dont on déroule l’intrigue à son rythme, à force de tâtonnements, de déductions, et d’expérimentations amusées
Le joueur incarne dans Loco Motive un avocat gaffeur qui finira accusé du meurtre d’une richissime aristocrate. A vous de l’aider à trouver le vrai coupable parmi une galerie de suspects hauts en couleur ! Les animations du jeu sont aussi délicieuses que ses dialogues (en anglais).
Le pire, c’est que le Point & Click est loin d’être l’un des genres les plus mal lotis.
Quelques vétérans de l’époque Lucasfilm Games, comme Ron Gilbert (Thimbleweed Park, Return to Monkey Island) et Tim Schafer (Broken Age) ont effet assuré au fil des années et de leur carrière la pérennité du genre, voire de séries cultes, et ce bien au-delà des habituels remasters et autres remakes.
Plus encore qu’un remake, qui permet à un nouveau public de découvrir un classique d’un genre oublié, un jeu comme Loco Motive est le garant de la survie du genre. Pour la simple raison qu’il lui apporte du sang neuf, et donc une vitalité le détachant du simple appel de la nostalgie.
Et Loco Motive, comme beaucoup d’autres, n’existerait pas sans l’énergie et la volonté de la scène du jeu indépendant…
Ce jeu d’aventure est né en 2020 à l’issue d’une game jam de deux semaines appelée AdvXJam, soit le diminutif de Adventure Expo. Il s’agit d’une convention dédiée au jeu vidéo narratif, qui comporte des conférences, des streams et donc… une game jam !
Le prototype de Loco Motive développé lors de cet événement, et qui servira de base au jeu sorti le 21 novembre 2024, est toujours téléchargeable gratuitement sur le site itch.io.
Sortir un remaster, voire même un remake, d’un classique issu d’un genre oublié n’est pas la même chose que d’accueillir un nouveau jeu à part entière.
C’est la différence entre débarquer dans un Musée pour revêtir un squelette de dinosaure d’une peau artificielle, et ouvrir une nouvelle aile pour accueillir un nouveau dinosaure bien vivant !
De nombreux autres genres, perdus entre deux générations de consoles, restent vivants grâce au travail des studios indépendants et peuvent ainsi être expérimentés pour la première fois par de nouvelles générations de joueuses et de joueurs.
Comme le shoot’em up par exemple ! Avec, entre autres, l’incroyable DRAINUS créé par le studio japonais Team Ladybug.
Ou encore Andro Dunos II, sorti lui aussi il y a quelques années et auquel j’ai récemment pu jouer à l’occasion du Retro Game Summit qui s’est tenu à Tokyo fin novembre. Une convention express où amateurs et amatrices vendaient leurs créations (jeux, fanzines, manga, goodies, CDs audio, etc.).
Quelques vétérans ont également fait une apparition, comme Yuzo Koshiro, qui venait présenter… un shoot’em up ! Le jeu s’appelle Earthion et sortira sur Mega Drive (!) et de multiples plates-formes en 2025.
Pour vous donner une idée de l’état moribond du genre shoot’em up, le dernier et cinquième volet officiel de la série culte Gradius de Konami, est sorti il y a… 20 ans, sur PS2 !1 Heureusement que la scène indie est là pour maintenir en vie, tant bien que mal, ce “proto-genre”.
Le shoot’em up, comme le jeu de plates-formes (cf. article sur BZZZT), sont en effet les genres fondateurs et les piliers sur lesquels s’est érigée l’industrie du jeu vidéo. Ce sont aussi les ancêtres des FPS et autres TPS…
Le fait qu’ils puissent continuer à exister dans leurs formes originelles n’est pas seulement important d’un point de vue historique, mais l’est également pour des raisons purement vidéoludiques.
Comme nous l’avons vu dans une récente newsletter consacrée à R4 : Ridge Racer Type 4, au jeu de course arcade des années 90 et à ses descendants indie, ces genres oubliés se démarquent souvent de leurs évolutions modernes par une simplicité et une efficacité rafraîchissantes.
Et puis parfois, les indés s’emportent et proposent des expériences complètement folles se rapprochant des “jeux Musée” de Digital Eclipse, comme Atari 50: The Anniversary Celebration ou Llamasoft: The Jeff Minter Story…
Je parle bien sûr de UFO 50 !
Je suis très certainement la 10000ème personne à faire ce jeu de mots (je gagne quelque chose du coup ?!), mais UFO 50 est un véritable OVNI vidéoludique…
Non content de proposer 50 jeux (!) appartenant à une multitude de genres différents, UFO 50 s’amuse à replacer ces titres dans un univers alternatif, où ils auraient tous été créés par le studio UFO Soft. sur une console fictive sortie dans les années 80.
Ces 50 titres sont donc des jeux complets et parfois connectés de subtile façon par leur “origine commune” ! Des suites sont ainsi présentes, et il semblerait même que la qualité des jeux évolue au fil du temps, un peu comme si les développeurs gagnaient en expérience au fil des années !
Les développeurs derrière UFO 50 sont peu nombreux - 6 en tout - et sont tous indépendants. En fait, certains sont des stars de la scène indie, comme Derek Yu (Spelunky), qui a initié le projet aux côtés du designer de jeux de société Jon Perry (Air, Land & Sea) et du compositeur Eirik Suhrke (Hotline Miami), avant d’être rejoint par Ojiro Fumoto (Downwell), Tyriq Plummer (Catacombs Kids) et Paul Hubans (Night Manor).
Avec ses 50 jeux, UFO 50 peut certainement être vu comme un aboutissement (un rien jusqu’au-boutiste !) de cette démarche - parfois intentionnelle, parfois fortuite - de préservation des genres oubliés.
Non content de proposer un dungeon crawler, un jeu d’aventure “Point & Click”, des shmups ou encore des jeux de plates-formes - autant de genres gardés vivants grâce à la scène indie - UFO 50 va jusqu’à reproduire l’époque durant laquelle ces genres se sont épanouis !
Nous sommes gâté(e)s. Cette année 2024 a été une nouvelle fois marquée par la sortie d’innombrables jeux indépendants d’une qualité ébouriffante. Qu’ils émulent des genres du passé pour les garder vivants, tout en rendant un hommage direct à de vieux classiques, comme le fait Loco Motive… Ou qu’ils proposent au contraire des hybridations et des concepts novateurs, les jeux indie sont une source inépuisable de satisfaction vidéoludique.
Pour en savoir plus sur UFO 50, je vous encourage à écouter l’un des derniers épisodes du podcast montréalais Le Grand Rattrapage. Et ne ratez pas les émissions hebdomadaires d’Origami grâce auxquelles j’ai pu découvrir Loco Motive et bien d’autres perles indés venues allonger ma pile of shame !
PS : Les images et vidéos de Loco Motive, DRAINUS et Teenage Mutant Ninja Turtles : Shredder's Revenge ont été capturées par mes soins à partir de versions commerciales des jeux sur Switch. Le visuel d’intro de Loco Motive provient de son site officiel et le screenshot de la version prototype de 2020 de son site itch.io. Enfin, les images de Return to Monkey Island et UFO 50 sont tirées de leurs sites officiels respectifs, celle de Legend of Grimrock de sa page Steam, et les couvertures des magazines Génération 4 et Joystick du site Abandonware Magazine.
Je considère que le dernier Gradius est Gradius V, sorti en 2004, et non Gradius ReBirth, développé par M2 et sorti en 2008 sur WiiWare, qui est plus proche d’un remix que d’un véritable nouveau jeu…
Mais il a l’air très sympathique ce Loco Motive ! Ça va être un bon petit jeu pour les vacances de noël !
21 ! Je vous laisserai l'amusement de deviner à quoi correspond ce nombre – allez, indice pour celles / ceux qui ont connu Nolife : Ni oui ni non ni... 😁
Super article ! Plus encore que pour les (souvent excellentes) recommandations, j'ai toujours grand plaisir à lire ta newsletter, chaque vendredi matin, avant d'aller au boulot. Merci !