BZZZT : un jeu de plates-formes bien huilé
Dont presque personne ne parle... Et qui mérite pourtant d'être connu et joué ! Ça tombe bien, il vient tout juste d'être (superbement) adapté sur Switch.
Vous avez terminé Astro Bot à 100% et sauvé ses 305 petits potes cosplayers ? Besoin urgent d’un jeu de plates-formes aussi efficace et précis à contrôler ? BZZZT est le jeu qu’il vous faut.
Vous l’aurez sans doute déjà deviné, vu la relative fréquence des articles que je poste ici sur les Super Mario et le genre en général, mais j’ai un GROS faible pour les jeux de plates-formes. Un genre avec lequel j’ai grandi, et que l’on peut qualifier de “primitif” dans le sens archéologique du terme !
Un proto-genre en quelque sorte, qui a régné sur les années 70/80 aux côtés du shoot’em up.
BZZZT est un jeu de plates-formes indie qui rend hommage à ces vénérables reliques vidéoludiques en embrassant leur simplicité, mais aussi leur pureté, qu’elle soit esthétique (2D pixel art) ou conceptuelle.
KO_DLL, de son vrai nom Karel Matejka, est un vétéran de l’industrie du jeu vidéo. C’est aussi un développeur aux multiples casquettes, dont celle de talentueux artiste du pixel. Et c’est en solo qu’il a développé en République tchèque, sur une période de 4 ans, cette petite merveille de gameplay !
Un jeu de plates-formes en forme de “lettre d’amour à tous les jeux avec lesquels j’ai grandi” pour reprendre les mots - maintes fois entendus - du communiqué de presse. Du coup, j’ai eu envie d’en savoir plus et Karel a eu la gentillesse de répondre à mes questions par email.
Ma première expérience de jeu a été Manic Miner1, un jeu de plates-formes tout simple développé sur ZX Spectrum par Jonathan Smith. C’était peut-être l’un des premiers jeux de plates-formes de précision jamais créés. Ensemble, avec mon frère et mes parents, nous avons essayé de le finir, et après plusieurs jours de douce souffrance, on y est parvenu ! Et ce fut un moment aussi incroyable que gratifiant ! Pendant que je développais le prototype de BZZZT, j’ai eu l’idée de partager ce souvenir et de tout faire pour reproduire ce que j’ai ressenti durant cette époque 8-bit.
Ce sentiment de satisfaction est définitivement l’une des grandes qualités de BZZZT, mais nous y reviendrons. Si vous aviez déjà entendu parler de ce jeu, c’est normal, il est sorti sur Steam fin 2023. Et après avoir été annoncé sur Switch et présenté sur la console Nintendo lors du dernier BitSummit, le voilà enfin disponible depuis le 19 septembre, dans une adaptation impeccable, qui tourne en 60 images par seconde et aux temps de chargement quasi inexistants !
Oui, notre héros sait nager ! Et sachez que lorsque l’on perd le “flow” et que l’on rate un saut ou un boulon bonus, il est possible de relancer immédiatement une nouvelle partie en faisant exploser son petit héros ! Le speedrun est un art barbare !!
Le jeu nous propose d’incarner un petit robot fraîchement sorti d’usine appelé ZX 8000 (en hommage au micro-ordinateur 8-bit ZX Spectrum, la première machine de Karel Matejka !). Mais alors qu’il passe ses premiers tests en compagnie des scientifiques qui l’ont créé, tout se grippe au moment où Badbert, un savant fou très inspiré du Dr. Wily de la série Mega Man, vient jeter des clés à molette dans les rouages des machines d’entraînement.
Si la série culte de Capcom a inspiré BZZZT, elle n’est pas la seule, loin de là !
Au fil de la production du jeu, j’ai commencé à inclure de plus en plus de références et d’influences de mon enfance. Vous pouvez trouver, par exemple : Donkey Kong, Mario, Arkanoid, Mega Man, R-Type, Flashback, et bien d’autres références à des films et des livres des années 80 / début 90. C’était un peu comme inventer une machine à remonter le temps pour apprécier ces jeux encore une fois.
Et en créant sa machine à remonter le temps, Karel n’a pas fait les choses à moitié. Il a ainsi déclaré avoir dessiné plus 10,000 sprites, passé plus de 2000 heures à tout animer, 2500 heures à peaufiner la jouabilité… Bref, il a créé son jeu comme les Jonathan Smith (Manic Miner), Shigeru Miyamoto (Donkey Kong), Keiji Inafune (Mega Man), Bill Hogue (Miner 2049er) et autres David Crane (Pitfall!) l’on fait dans les années 802. Même le personnage central, l’adorable ZX 8000, n’a pas échappé à une approche résolument eighties dans son design.
Dans les vieux jeux pixel art, il était habituel que les personnages principaux remplissent un sprite carré autant que possible. Mario et Dizzy3 sont d’excellents exemples. Avec leurs grosses têtes et leurs petits bras, leurs créateurs ont donné énormément de caractère à ces mini-héros. Et en plus, cet aspect carré permettait aux joueurs de contrôler leur personnage avec plus de clarté et de facilité. Je pourrais dire que j’ai suivi tout un tas de règles et une science rigoureuse en créant ce personnage principal, et que j’ai dû réviser son design encore et encore, mais la vérité est tout le contraire. J’ai dessiné ZX 8000 spontanément, en 5 minutes, et j’étais tellement satisfait de ce design initial que je ne l’ai jamais retouché.
BZZZT, en débarquant sur Switch, est venu avec les derniers ajouts de la version PC, mise à jour cet été. En plus des 52 de base, 24 niveaux supplémentaires sont désormais accessibles, sans oublier une dizaine de “jetons de défi” cachés, et de nouveaux modes de difficulté.
En Normal, ZX 8000 explose au premier choc. Mais il est aussi possible de jouer en mode Histoire (5 vies par niveau, avec moins d’ennemis et de pièges) ; en Facile (3 vies par niveau) ou en Vraiment Abusé4 (permadeath avec 7 vies pour finir tout le jeu).
Et je peux vous garantir une chose… quel que soit le niveau de difficulté choisi, vous allez vous surprendre à avoir envie de recommencer un niveau juste parce vous aurez l’intime conviction de pouvoir faire mieux ! Que ce soit pour récupérer tous les boulons dispersés dans chaque niveau, réaliser un meilleur temps, ou les deux à la fois afin d’obtenir la plus haute récompense possible pour un niveau : la mention ”run impeccable” !
J’ai pris un plaisir fou à finir le jeu à 100% (en Normal) en obtenant la mention “Run impeccable” (Flawless run en anglais) sur tous les niveaux. Et puis comme je n’avais pas envie de lâcher le jeu, j’ai refait une passe sur tous les niveaux pour gagner quelques dixièmes de seconde et ainsi gravir le classement en ligne de la version Switch !
Oui, BZZZT est un jeu que l’on a naturellement envie de speedrunner. Et ça, c’est la marque des grands jeux (de plates-formes ou non) !
Si le jeu pousse joueuses et joueurs à améliorer leur temps pour débloquer les badges “speedrun supersonique” et “run impeccable”, et ainsi gravir les classements en ligne intégrés au jeu, tout est évidemment optionnel. Il est possible de progresser et de débloquer les niveaux sans se soucier de son temps. Pourtant… Qu’il est difficile de résister à l’appel du “retry” rapide ! Mais pourquoi ?!
En faisant le design des niveaux, j’ai suivi quelques règles. Tous les ennemis et tous les pièges devaient être synchronisés sans le moindre changement. Comme ça, les joueurs peuvent facilement trouver leur rythme et leurs habitudes de progression. Chaque niveau se présente comme un puzzle de speedrunning qui nécessite de trouver la bonne combinaison d’actions pour être pleinement récompensé.
Au départ, j’ai essayé de faire des niveaux plus longs et moins linéaires, mais je me suis rendu compte que cela ne faisait que créer de la confusion et beaucoup de frustration chez les joueurs durant les playtests. J’ai donc modifié et souvent raccourci les niveaux de manière à ce que les finir avec tous les boulons et le chrono idéal soit hyper satisfaisant. Quand on termine un niveau, il y a une énorme différence entre : “Oui, oui, oui !!! Je l’ai fait ! Je suis le meilleur !!!” et “Ah enfin, c’est fait. Je peux passer au suivant.” Et ça n’aurait pas été possible sans des contrôles ultra précis, que j’ai peaufinés pendant plus de six mois.
Si on peut faire et refaire un même niveau sans rager (ou presque !), c’est que l’on a la certitude de pouvoir faire mieux. Et ce sentiment n’est pas dû au hasard, loin de là ! Il a été patiemment étayé au cours de la production du jeu.
Des jeux comme Celeste et Super Meat Boy pour la 2D, ou Astro Bot et Super Mario Galaxy pour la 3D, respectent également les règles énoncées par Karel Matejka. Des niveaux compacts et lisibles, des ennemis aux comportements prévisibles, des pièges placés de manière à respecter le rythme d’un “run impeccable”, une animation en 60 images par seconde, et surtout, surtout… des contrôles simples qui répondent au quart de tour.
Lorsque ZX 8000 explose, c’est toujours de notre faute, et on le sait.
Notre petit héros gagne très vite de nouveaux pouvoirs, mais ces derniers restent limités au strict minium : saut, double saut, dash. Point. Deux autres améliorations viennent se greffer à ce core gameplay mais elles nécessitent l’utilisation d’éléments de décor particuliers.
L’un des pouvoirs temporaires à débloquer sur certains niveaux permet de diriger “l’âme” de notre petit robot, un peu comme la bulle de Celeste. Mais contrairement à Celeste, le dash peut s’utiliser ici sans restriction !
Je pense que les jeux ne peuvent pas tricher avec ce qu’ils sont. Si un jeu tourne autour du tir, le feeling lié à la mécanique de tir doit être 100% satisfaisant5. Et c’est la même chose pour les jeux de plates-formes. Lorsque le mouvement, le saut et les interactions avec l’environnement ne sont pas funs, ça ne marche pas. Ensuite, il est important d’implémenter quelque chose de frais qui n’a jamais été vu auparavant, comme un pouvoir spécial ou une mécanique de jeu unique. La troisième chose qui peut rendre un jeu de plates-formes inoubliable est son cadre, sa ‘vibe’ ou son histoire. Bien choisis, ces derniers peuvent attirer beaucoup de joueurs.
Pour illustrer cette recette, Karel cite 5 jeux de plates-formes 2D, ses préférés : Hollow Knight, VVVVVV, FEZ, Rayman Legends et Broforce. Vous noterez que certains de ces titres débordent du genre “plates-formes” pour aller embrasser celui du Metroidvania, qui intègre des mécaniques de jeu supplémentaires comme le tir, l’exploration ou le puzzle.
On va malheureusement devoir conclure cet article sur une note un peu triste.
Aussi bien accueilli fut-il, BZZZT n’a pas rencontré le succès qu’il mérite, ce que reconnaît son auteur à demi-mot. Si les retours critiques sont exceptionnels, ils sont aussi rares… Sur l'agrégateur de notes Metacritic, le jeu a la note vertigineuse de 91% sur PC ! Mais BZZZT n’a obtenu que 8 notes de la presse classique (en comptant celles de la version Switch !) contre 133 pour Astro Bot par exemple, ou 76 pour Celeste.
Il est très difficile d’attirer les joueurs d’aujourd’hui avec des expériences un peu rétro. Les jeux de plates-formes ont besoin de quelque chose de frais et de profond pour espérer le succès. C’est pourquoi les Metroivanias sont encore si populaires. La majorité d’entre eux apportent encore de nouvelles façons de jouer, et l’exploration est une particularité attrayante du genre. A l’opposé, ces derniers temps je sens un intérêt moindre pour les jeux de plates-formes arcade plus classique. C’est peut être le bon moment pour se lancer dans un Metroidvania !
Alors je ne dis clairement pas non à un futur Metroidvania (l’un des mes genres préférés - ne passez pas à côté du dernier Prince of Persia : The Lost Crown, qui vient d’ailleurs d'accueillir un DLC), surtout s’il propose une jouabilité aussi agréable et précise que celle de BZZZT !
Mais si vous aimez le jeu de plates-formes dans sa forme la plus épurée (saut, double saut, dash !) ; avec une 2D pixel art aussi colorée qu’attractive ; des musiques entraînantes en diable et définitivement eighties (composées par Martin Linda) ; des niveaux au level design forgé dans la dopamine, mais aussi taillé pour des parties express ; sans oublier un héros - ZX 8000 - absolument adorable… Alors ne passez pas à côté de ce BZZZT sur Switch ou sur PC !
Une démo gratuite peut être téléchargée sur itch.io et Steam pour essayer le jeu. Et BZZZT, vendu 15 euros, est à -50% jusqu’au 13 octobre sur Steam. Voilà, vous savez tout.
PS : Toutes les images et les vidéos de BZZZT ont été capturées par mes soins à partir d’une version Nintendo Switch fournie par le producteur du jeu. Les artworks proviennent du site Presse de l’éditeur Cinemax. La capture de Miner 2049er a été réalisée à partir d’une version commerciale Switch de Atari 50 The Anniversary Celebration. Un grand merci à Lukas Macura pour avoir fait passer mes questions, et à Karel Matejka (KO_DLL) pour y avoir répondu en mode speedrun ! L’interview a été réalisée en anglais et par email, le 30 septembre 2024.
Manic Miner est un classique du jeu de plates-formes sorti en 1983. Et il est inspiré de… Miner 2049er, dont une capture d’écran illustre le début de cet article ! Les années 70/80 étaient autant les années des pionniers que celles du clonage industriel !
Enfin… comme dans les années 80 ou presque ! BZZZT a en effet nécessité 4 ans de boulot, là où le développement d’un jeu se comptait généralement en semaines dans les années 80 !
Dizzy est un oeuf anthropomorphique ! Et le héros de la série éponyme éditée par Codemasters. Elle a été créée à la fin des années 80 sur ZX Spectrum et Amstrad CPC par les frères Andrew et Philip Oliver.
“Vraiment Abusé” est l’authentique traduction française du niveau de difficulté “Insane” en anglais ! Je n’ai rien inventé !
Comment ne pas penser ici à DOOM, le classique absolu du FPS sorti en 1993 ! Le plaisir lié à la simple manipulation des armes (le shotgun ! la tronçonneuse !) était au coeur du design du jeu, comme John Romero l’a expliqué dans sa récente autobiographie : DOOM GUY.
Mais quelle merveille, ce jeu !
Ce qui m’impressionne le plus, c’est la façon dont il a réussi à proposer la bonne balance entre être un peu difficile mais accessible. Quand on échoue, on sait pourquoi et réussir le niveau ne paraît pas insurmontable.
Un grand bravo au développeur et merci Thierry de partager cette perle au plus grand nombre !
Ce jeu part en wishlist sur Switch tout simplement et sera acheté dans quelques jours/semaines (Zelda Echoes of the Wisdom monopolise mon très très faible temps de jeu actuellement).
Merci pour cette petite decouverte d'une pepite indé. C'est là aussi toute la force de l'ecrit par rapport à la video qui souvent doit exister dans l'immédiateté (actualités, rentabiliser rapidement le nombre de vue après 24h de mise en ligne afin d'evaluer le succès d'une vidéo).
Le jeu est sortit il y a quelques jours/ semaines et tu as pris le temps d'en faire un test.
Sincèrement merci pour la découverte.