Super Mario Bros. Wonder : plus qu’un jeu vidéo, une comédie musicale !
Quand les NEW Super Mario ont commencé à sentir un chouille le rassis (they got OLD!), Nintendo a mis le versant 2D de sa franchise au placard… pendant 11 ans ! Jusqu’à aujourd’hui.
C’est avec stupeur que j’ai découvert quelques jours après le Nintendo Direct de juin dernier au cours d’une discussion entre amis, qu’une annonce comme celle de Super Mario Bros. Wonder pouvait laisser de marbre. Le haussement d’épaules généralisé auquel j’ai assisté en mentionnant le jeu avec un débordement de joie enfantine m’a réellement pris au dépourvu. A quel moment une licence (surtout lorsque l’on parle de Mario 2・2,5D) finit par s’éventer, comme une bouteille de soda laissée trop longtemps ouverte ? Sans doute à force d’itérations sans conséquence, où l’on se contente de reproduire les mêmes schémas sans jamais réellement chercher à modifier ou remettre en question l’édifice construit… après tout, il s’agit d’une cathédrale non ?! Et pourtant…
Le post-it “passage à vide” peut être placé sur la frise Mario 2D avec une grande précision : le 21 août 2012, le jour de la sortie de New Super Mario Bros. 2 sur DS. De 2006 à 2012, 7 Super Mario (2D et 3D) se sont enchaînés. Du jamais vu dans l’histoire de la franchise. En l’espace de 6 ans, 4 jeux de plates-formes Mario ont même porté la petite mention NEW avant le SUPER habituel... Autant dire qu’elle a vite perdu de son sens pour au contraire se voiler d’une involontaire ironie.

En concentrant leurs efforts et leur créativité sur la conception des niveaux sans toucher aucun autre aspect de la franchise (on parle toujours ici des titres 2・2,5D), Nintendo s’est tiré un Bullet Bill dans le pied. La série des NEW, malgré ses indéniables qualités et l’ajout du coop’ à 4, a fini par s’épuiser. Elle s’est conclue en 2012, avec le très bon New Super Mario Bros. U, le premier platformer Mario HD. Et depuis, plus de nouveau Super Mario 2D si l’on omet les Mario Maker. Autrement dit, rien depuis 11 ans ! En fait, pour beaucoup, les Maker et leurs dizaines de millions de niveaux créés par des joueurs avaient “tué” toute velléité de sortir un Mario 2D chez Nintendo. Ce qui est totalement logique lorsque le seul input créatif du géant japonais depuis des années était justement de ne créer “que” de nouveaux niveaux.
Mais en fait, c’est tout le contraire qui s’est passé. Mario Maker a forcé le studio à innover et dépoussiérer - enfin - sa formule 2D.

“Les développeurs ont la parole”* est une passionnante série d'interviews réalisées en interne chez Nintendo, et l’une des rares opportunités d’entrevoir les coulisses d’un studio réputé pour sa culture du secret. Le dernier entretien en date est bien sûr consacré à Mario Wonder et nous permet d’en apprendre plus sur les intentions de départ du vétéran Takashi Tezuka, qui a commencé à réfléchir à un nouveau Mario alors qu’il travaillait sur Mario Maker 2 : “À l'époque, des journalistes et des joueurs disaient qu'après Super Mario Maker, il n'y avait plus besoin d'autre titre Mario en 2D. Je répétais que le jeu Mario suivant allait être complètement différent (…) et qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Avec le recul, ce genre de déclarations m'a peut-être motivé à réfléchir à ce jeu.” Autrement dit, ce sont les joueurs qui ont revêtu le costume de la mouche du coche et poussé Takashi Tezuka et son équipe à sortir de leur zone de confort ! “Cette fois, (nous avons voulu offrir) un grand nombre de surprises qui nous semblaient amusantes. À vrai dire, je voulais ajouter dans chaque niveau un élément qui surprendrait les joueurs ou qui les amuserait.”



Takashi Tezuka, qui travaille tout de même sur la licence Mario depuis 39 ans, et qui sait clairement de quoi il parle, voulait tout simplement rendre au Mario 2D sa folie d’antan, comme l’explique très bien Shiro Mouri, l’un des directeurs du jeu : “En me rappelant la première fois à laquelle j'ai joué au jeu Super Mario Bros. original, je me souviens d'avoir pensé qu'il y avait plein de surprises cachées et de merveilles. Des pièces sortaient quand vous frappiez les blocs et votre corps grandissait grâce aux super champignons. À l'époque, tout était nouveau et débordait de joies inattendues. Mais, maintenant que les joueurs pratiquent les jeux Super Mario depuis tant d'années, c'est devenu ordinaire. C'est pour ça que l'objectif de M. Tezuka consistait à créer des moments que même les joueurs actuels trouveraient surprenants et merveilleux.”
Dès les premiers niveaux il apparaît évident que le légendaire producteur a été non seulement écouté, mais totalement compris par ses équipes. Comme si elles s’étaient toutes ralliées derrière cet appel à la joie pour produire le contenu le plus “what the f**k” jamais vu dans un Mario, 2D comme 3D. La première fois où l’on voit Mario rentrer dans un tuyau si vite que sa casquette reste derrière lui à flotter dans les airs un 10ème de seconde, avant que son bras ne ressorte pour la rattraper aussi sec… La première fois aussi (puis la seconde, la troisième…) où l’on se saisit d’une Graine Légendaire pour voir soudainement le niveau tout entier prendre vie et danser devant ses yeux… autant de moments de pure magie. Comme si Tezuka et son équipe avaient chantonné les niveaux avant de les concevoir, à la manière de la marraine et bonne fée de Cendrillon dans le dessin animé éponyme de Disney !
Lorsque l’on joue à un jeu de plates-formes, vous ne trouvez pas que l’on a souvent la sensation que la musique colle parfaitement au rythme de nos sauts, comme si Koji Kondo, secrètement planqué à l’intérieur de notre canapé*, composait en live la musique juste pour nous ? Le jeu de plates-formes a toujours été affaire de rythme et de flow, et Nintendo plus qu’aucun autre développeur peut-être, a toujours expérimenté avec la musicalité de ses jeux. On pense à tous ces niveaux où l’apparition des plates-formes est synchronisée à la musique. Comme Beat Block Galaxy dans Super Mario Galaxy 2 ou Beep Block Skyway dans Super Mario 3D World par exemple… Wonder propose lui aussi son lot de niveaux rythmiques, comme Jump! Jump! Jump! (et sa version secrète 5 étoiles) ! Mais là où le petit dernier de la famille Mario 2D se distingue réellement, c’est en jouant à fond la carte Broadway, comme l’avait fait Super Mario Odyssey, le temps d’un niveau, avec ce qui restera sans doute l’un des plus beaux moments de l’histoire de la franchise : A Traditional Festival!, lorsque les façades des immeubles de New Donk City se transforment en niveaux 2D durant le concert de Pauline.
Super Mario Wonder est autant une comédie musicale qu’un jeu de plates-formes. A chaque fois que l’on avale une Graine Légendaire, le niveau tout entier commence à se déhancher. Dans certains cas (assez nombreux en fait), on a littéralement droit à des numéros musicaux. Comme dans le niveau Parade Piranha, où les plantes poussent soudainement la chansonnette, tandis que le passage en mode auto-scrolling du level rappelle immédiatement ces long traveling typiques des classiques de la comédie musicale ! On passe ainsi de La Petite Boutique des Horreurs à Chantons sous la Pluie, sans oublier le Rocky Horror Picture Show (Bowser n’a jamais été aussi me(n)tal !!).


Mario Wonder respire également la joie de vivre inhérente à la comédie musicale. Combien de fois finit-on un niveau avec un sourire jusqu’aux oreilles, comme si l’on venait de voir Chantons sous la Pluie pour la première fois ! On parlait des nouvelles animations de Mario, mais que dire de celles où il doit squeezer son popotin à l’intérieur d’un tuyau lorsqu’il est transformé en éléphant. Et comment ne pas s’amuser de toutes ces fleurs qui lâchent un petit commentaire, un encouragement ou une blagounette lorsque l’on passe à côté d’elles. Osez me dire que vous n’avez jamais essayer d’atteindre l’une de ces fleurs perchées à un endroit improbable juste pour voir ce qu’elle avait à dire ! Mario Wonder émerveille par sa folie, sa musicalité, cette multitude de détails dont regorgent les niveaux, mais aussi par ses petits… twists.
Si comme moi vous avez grandi avec les Mario 2D, vous connaissez la grammaire de ces jeux comme votre poche. Et c’est là où Nintendo assène son dernier coup de génie. Non content de séduire un nouveau public, qui a potentiellement découvert la franchise Mario avec le récent film d’animation 3D, le studio parvient aussi à surprendre ses fans de longue date en jouant avec leurs attentes et automatismes. Comment ne pas être surpris lorsque l’on se déplace pour la première fois librement sur la World Map, ou que l’on aperçoit cette variation du Bill Dozer (Chargin' Chuck) qui pousse certains tuyaux pour tenter de nous écraser ! Les tuyaux eux-mêmes peuvent parfois être déplacés et emboîtés pour révéler des passages cachés.



Des twists, donc, mais aussi une tonne de nouveautés. Super Mario Wonder propose de nouveaux ennemis, de nouvelles transformations, de nouvelles mécaniques de jeu… Ces dernières étant habilement mises en valeur par l’ajout des Badges à débloquer, et que l’on peut choisir d’équiper ou de changer en début de niveau. Un badge peut prendre la forme d’un coup de pouce : on commence avec un champignon; d’un modificateur de gameplay : la casquette qui freine sa chute; voire d’un défi : jouer en étant… invisible !
Cette fraîcheur vient en partie de la décision de Nintendo de s’inspirer des Mario 3D, qui se réinventent à chaque nouvelle version. Mais il ne faut pas négliger l’impact de Mario Maker, les joueurs étant souvent radicaux dans leur approche du level design (!), ni l’influence des rom hacks façon Kaizo Mario, qui se ré-approprient depuis des années Super Mario World (entre autres) pour le transformer en expériences à la fois uniques et… terrifiantes. Il suffit de voir tous ces speedrunners et superplayers trentenaires spécialisés dans le Mario 2D découvrir en live sur Twitch, YouTube & Cie ce nouveau Mario avec des étoiles dans les yeux, pour achever de se convaincre que ce Wonder propose vraiment quelque chose de spécial.
Outre les nombreuses qualités mentionnées préalablement, Mario Wonder, fait montre de l’exigence propre au jeu de plates-formes made in Nintendo : des contrôles à la réactivité optimale; un framerate à 60 images par seconde, assurance d’une expérience de jeu fluide; des musiques mémorables (cf. extrait ci-dessous); un sound design incroyable, embrassant encore plus le côté musical du jeu (la charge au sol s’accompagne désormais d’un roulement de tambour suivi d’une percussion de cymbales !); un multijoueur local toujours aussi fun et chaotique même s’il aurait gagné à approfondir les options d’accessibilité proposées (cf. le très bon article de la newsletter Crossplay, pour les parents anglophones !); et enfin, Wonder est à n’en pas douter l’un des plus beaux jeux de la Switch. Il y aura un avant et un après Super Mario Wonder, comme il y a eu un avant et un après Super Mario World.
30 secondes de l’une de mes musiques préférées du jeu, située dans les Mines Fongiques du Monde 5 !
Si ce n’est pas déjà évident après avoir lu cet article, à la question : “alors, tu as aimé Super Mario Wonder ?”, ma réponse ne peut être que : “bah, c’est un peu comme si vous me demandiez si j’avais aimé la dernière tarte aux pommes fraîchement sortie du four de ma maman, qui s’avérerait être qui plus est chef pâtissière et l’inventrice de la première pâte feuilletée !!”. La réponse est ‘oui’ bien sûr. 1000 fois oui ! J’ai grandi avec ces tartes et ce sont toujours les meilleures au monde ;-)
* “Les développeurs ont la parole” est une série d’interviews qui reprend le concept de la série “Iwata demande”, mise en place par le regretté Satoru Iwata, président de Nintendo de 2002 à 2015.
* Oui, le (compositeur) “secrètement planqué à l’intérieur de notre canapé” est bien une référence à Frank dans la série TV : It’s Always Sunny in Philadelphia ! ;-)
PS: les photos, ainsi que les images et vidéos illustrant cet article ont été prises par mes soins, et capturées à partir d’une version commerciale de Super Mario Bros. Wonder. Seules exceptions : l’image de New Super Mario Bros. U Deluxe, tirée du site officiel; la photo du producteur Takashi Tezuka, en provenance de son interview sur le site Nintendo; ainsi que celle de Gran Poo World 3, dont je vous invite à regarder le trailer d’annonce !
Ton enthousiasme est contagieux. Je suis en train de jouer à Sea of Stars, donc je m’étais dit que j’allais attendre Noël pour Mario Wonder. Ça va être dur!
Bon banco ! Je vais aller l'acheter de ce pas pour y jouer avec les enfants !
Quel VRP ce Thierry ! ^^