Et si on parlait de manga ?
J’ai été invité par le podcast KANPAI! récemment, et j’ai un peu bloqué lorsqu’ils m’ont demandé si j’avais des manga à conseiller. Du coup je me rattrape ici !
Je n’ai pas réussi à conseiller autre chose que Dragon Ball 😅 dans le podcast KANPAI!, dans lequel je parle de mon parcours professionnel, de cette newsletter ou encore de mon rapport au Japon, et que vous pouvez écouter en cliquant ici.
Ça doit être les 40 ans de la franchise, le traumatisme de la mort encore récente d’Akira Toriyama, ou peut-être même la présence d’un Son Goku gonflable géant sur le dernier Tokyo Game Show… Quoiqu’il en soit, Dragon Ball a oblitéré d’un kamehameha cérébral mes autres manga favoris !
Parmi eux, Amer Béton, un manga de l’immense Taiyō Matsumoto, également connu pour la série Ping Pong.
Amer Béton est initialement sorti au Japon entre 1993 et 1994 en 3 volumes, depuis compilés en une version intégrale de 624 pages chez Tonkam / Delcourt. Une histoire courte donc, surtout lorsqu’on la place aux côtés des 18 volumes d’un Monster ou des 22 tomes de 20th Century Boys, pour rester dans les manga d’exception visant un public adulte (seinen) !
Amer Béton, donc, s’est invité dans ma bibliothèque il y a bien longtemps. Depuis, ses deux héros, Kuro (Noir) et Shiro (Blanc), se sont logés dans un coin de ma mémoire et y ont pris leurs quartiers.
Ces deux mômes, des orphelins libres comme l’air, sont âgés d’une dizaine d’années, même si cela est bien difficile à croire. Déjà parce qu’ils semblent régner en maîtres sur la mégalopole qu’ils habitent et dont ils connaissent le moindre recoin et chaque habitant. A la fois chats errants et super héros, ces gamins connus de tout le monde sautent de toit en toit comme si rien ne pouvait les arrêter.
Difficile à croire aussi, parce leurs personnalités sont totalement opposées, créant un contraste et une dynamique d’une grande force. Shiro est doux et rêveur, un gamin tête en l’air qui semble ne pas faire une distinction bien nette entre ce qu’il imagine et le monde autour de lui. Tandis que Kuro est protecteur, vif d’esprit, violent aussi, et possède un instinct de survie plus qu’acéré.
Les cases de ce manga peinent à contenir ses deux héros, souvent dessinés en gros plan, la morve au nez et l’oeil goguenard, ou au contraire sous la forme de frêles silhouettes prises entre les parois aux angles improbables de l’énorme cité qui leur sert autant de refuge que de royaume. Une cité aux prises avec une menace nouvelle, un puissant gang yakuza cherchant à la détruire pour la transformer en parc d’attraction. Le clash, inévitable, aura bien lieu et redéfinira la relation entre ces deux gamins.
Amer Béton est difficile à classer. Souvent surréaliste, sa poésie visuelle est sans cesse mise à l’épreuve du réalisme cru de la violence vécue par ses jeunes héros. Si leur relation unique, quasi symbiotique, est au coeur du récit, ce dernier regorge d’autres personnages inoubliables, parfois tragiques, souvent étranges au point de flirter avec le récit fantastique. Tout simplement inoubliable.
Rêves d’enfants, alias Dōmu, est un manga en un volume de Katsuhiro Otomo, qui précède Akira de quelques années et en pose à la fois les bases stylistiques et thématiques.
Le Japon possède aussi ses cités d’HLM. Et c’est l’une d’elles qui est le personnage central de Dōmu. Un manga dessiné avec un soucis du détail saisissant, qui fonctionne comme un irrésistible appel à la relecture. En tournant avec révérence ses pages, il est impossible de ne pas imaginer le travail colossal que s’est imposé son auteur.
Une obsession maniaque du cadrage et de la composition au profit de la création d’une atmosphère à l’urbanité exacerbée, qui trouvera son apogée avec Akira.
Ces parois de béton, impersonnelles et interchangeables, qui semblent rendre paranoïaques ses habitants, cachent un mystère, peut être même un monstre. C’est en tout cas ce que suggèrent les premiers résultats de l’enquête d’un vieil inspecteur venu enquêter sur un récent suicide. Mais rapidement, l’évidence de la présence d’un mal profond, responsable de plus d’une mort étrange au fil des années, sera exposée à notre regard médusé, happé par le bras de fer monumental qui se joue entre les murs de la cité et les bancs publics du parc à ses pieds.
Nos yeux, comme ces structures de béton, s’apprêtent à subir l’impact cinétique d’un affrontement qui annonce les pouvoirs d’une bande d’infortunés gamins et d’un certain Tetsuo… Spectaculaire.
Osamu Tezuka possède plus d’un titre. On l’appelle le Disney japonais, le Dieu du manga (manga no kamisama), mais pour beaucoup il est avant tout le papa d’Astro le petit robot. Mais ce n’est pas de lui dont je vais vous parler ici…
Astro Boy et La Vie de Bouddha sont intimement liés dans mon esprit. Pourtant, ces deux récits n’ont évidemment que peu de choses en commun. La Vie de Bouddha est un récit historique, visant un public plutôt adulte, qui a été écrit sur une période de plus de 10 ans, entre 1972 et 1983.
Lorsque je l’ai lu pour la première fois, le choc fut sismique.
Pour moi, jusque là, Tezuka était avant tout un auteur au trait tout en rondeur, reconnaissable entre tous, s’adressant avant tout aux enfants. Si des oeuvres comme Astro Boy et Le Roi Léo touchent des thématiques matures et possèdent en eux une force et un humanisme les hissant bien au dessus des dessins animés “pour enfants”, ils n’en restent pas moins des récits d’aventure destinés aux plus jeunes.
En découvrant La Vie de Bouddha, j’ai pris conscience que Tezuka pouvait conserver son design rassurant et ses afféteries enfantines (comme ces personnages excentriques faisant office d’hilarantes intrusions comiques dans le récit) pour raconter une histoire dont l’ambition dépasse largement celle du divertissement, sans pour autant l’ignorer.
L’impact émotionnel de ce manga résonne encore aujourd’hui en moi, des dizaines d’années après sa découverte. Grâce à lui j’ai découvert petit à petit le pan seinen de l’oeuvre d’Osamu Tezuka. Ce regard neuf m’a également permis de mieux apprécier l’ingéniosité et l’avant-gardisme du mangaka dans le découpage et la mise en scène de ce récit historique.
La Vie de Bouddha est, de son propre aveu, une histoire romancée. Tezuka décrira son manga comme une oeuvre de “science-fiction religieuse” selon le livre de l’exposition Osamu Tezuka : Manga no Kamisama, écrit par Xavier Guilbert et Stéphane Beaujean. Un ouvrage précieux pour une exposition importante et une oeuvre monumentale, auquel je vais céder le dernier paragraphe de cette chronique, consacré à La Vie de Bouddha.
Parfois nihiliste, souvent humaniste, en colère contre la société et plein d’espoir pour le futur, Tezuka multiplie les errances d’un récit qui renvoie à ses propres troubles. Plus que jamais, Tezuka, qui se sait malade, s’adresse à son public pour lui lancer un nouvel appel à transcender les croyances et les clivages. Et pour prôner un message de compassion universelle.
On conclue ce petit voyage au coeur de ma “mangathèque” avec un autre auteur majeur du manga : Shigeru Mizuki, à qui l’on doit le personnage culte de GeGeGe no Kitarō. Mais aujourd’hui nous allons nous intéresser à une petite grand-mère appelée NonNonBâ.
Shigeru Mizuki a fêté ses 100 ans en 2022, de manière posthume malheureusement. Cet anniversaire a été célébré à Tokyo par le biais d’une incroyable exposition au sommet de la Mori Tower de Roppongi Hills. Une expo qui retraçait la vie, mais aussi les influences de celui qui allait donner une seconde vie aux yokai.
Une vie de papier, certes, mais qui permettra de maintenir dans l’imagerie populaire ce folklore typiquement japonais, fait de monstres prenant les formes les plus surprenantes. Parfois comiques, parfois horrifiques, invisibles pour la plupart, elles appartiennent pourtant à notre quotidien et se jouent de nous.
Avec NonNonBâ, Shigeru Mizuki se met en scène et ne s’en cache pas. Notre jeune héros s’appelle Shigeru et devient l’ami d’un petit bout de femme au visage aussi expressif que ridé, qui partage avec lui son savoir occulte. Ce gamin a l’imagination déjà galopante va alors voir surgir autour de lui des créatures dont il ne soupçonnait pas l’existence.
Ce récit à la fois drôle et touchant nous fait partager cette amitié construite à fleur de réel, dans une campagne typiquement japonaise qui s’agite soudain d’une vie insoupçonnée. Ode à l’imagination enfantine, mais aussi au partage intergénérationnel, NonNonBâ met en scène la grand-mère que tout le monde aimerait avoir.
Voici, pour vous donner une idée de la douceur du ton de ce fabuleux manga, un petit dialogue entre les deux personnages principaux :
– En tout cas, ta douleur et ton dépit d’aujourd’hui se changeront petit à petit en force, tu verras. Mais pas tout de suite. Ne te laisse pas décourager par ta faiblesse actuelle, ça ne te mènerait à rien.
– Oui, tu as raison.
– Bon, j’étais surtout venu te dire de prendre ton bain.
Je suis plutôt content de cette (petite) sélection, qui donne une idée de l’incroyable richesse du manga japonais, tant dans sa forme que dans les histoires qu’il raconte.
Et je me rends compte que ce sont des oeuvres qui me manquent et que j’ai envie de relire et de redécouvrir. Ces manga sont en effet restés dans ma bibliothèque française, à l’autre bout du monde. Et si j’ai déjà racheté Dōmu grâce à la ressortie (en cours et au compte-goutte) de l’intégralité de l’oeuvre d’Otomo, ce n’est pas (encore :p) le cas des autres trois manga cités dans cet article.
J’espère, en tout cas, vous avoir donné envie de les (re)découvrir à votre tour.
N’hésitez pas à partager vos manga préférés dans les commentaires ci-dessous et bonne (re)lecture !
PS: Les jaquettes de Amer Béton et La Vie de Bouddha sont tirées du site officiel Tonkam / Delcourt, l’image du film Amer Béton du site IMDB. Les visuels de Dōmu viennent du site officiel japonais Otomo Complete Works et de celui de la FNAC. Enfin, les images de NonNonBâ sont issues du site officiel des éditions Cornélius et de leur compte X.
Le seul que je n'ai pas dans ta liste (La Vie de Bouddha) , c'est le seul que j'ai lu ^^ (les autres sont dans la bibli de mon conjoint, c'est lui aussi un homme de bon goût ;) ) Et depuis le temps qu'on me pousse à les lire, je finirai bien par les ouvrir... il me faut juste la motivation :/
PS : méga-hugs à toute la famille Nolife T_T
Bonjour Thierry et merci pour ces 4 recos manga.
J’ai vu l’adaptation de Amer Béton il n’y a pas si longtemps et j’ai beaucoup aimé, autant l’animation que l’ambiance qui se dégage de cette ville où ces deux enfants n’ont aucune limite. Je lirais le manga un jour je pense.
Domu j’adore, une grosse claque à l’époque, et même si j’ai une petite préférence pour Akira ce sont pour moi les deux chefs d’œuvres de Otomo.
NonNonBâ et La vie de Bouddha je ne connais pas donc merci pour ces recos je prends note!
Et pour mes mangas préférés, One Piece( pas très original mais c’est mon préféré j’y peux rien), Gunnm, 20th Century Boys, Shingeki no Kyojin et tellement d’autres pas facile de faire un choix. Et plus récemment Dandadan, dont l’adaptation vient de commencer sur Netflix, très gros coup de cœur, il faut juste réussir à passer la porte du premier épisode!
Et très grosse pensée pour Suzuka, sa famille et ses proches, je viens d’apprendre la nouvelle et je suis dévasté alors que je ne connaissais Suzuka que de NoLife et Tokyo Café. J’en parle ici car mon amour pour la culture japonaise s’est énormément renforcée grâce à NoLife et l’émission Tokyo Café notamment, sa joie de vivre communicative restera à jamais dans mon cœur.