Dans la catégorie : ça ne nous rajeunit pas... Sherlock Holmes !
Les films basés sur la dernière série TV animée de Miyazaki - qui faillit bien ne jamais voir le jour - sont ressortis en salles au Japon pour les 40 ans du 1er ! Vous vous souvenez de ce Sherlock ?
C’est l’un des avantages de vivre à Tokyo : de nombreux classiques de l’animation ressortent régulièrement sur grand écran dans des copies 4K qui donnent un sérieux coup de dépoussiérage à nos souvenirs !
J’ai ainsi eu la chance de pouvoir revoir de nombreuses productions Ghibli (la dernière en date étant Porco Rosso), mais aussi des films comme Gurren Lagann (2008/2009), Roujin Z (1991), Akira (1988), Cobra (1982) ou encore Le Château de Cagliostro (1979).
Mais Sherlock Holmes possède une place spéciale dans mon coeur. Je l’ai en effet découvert très jeune, à la télé, lors de sa diffusion à la fin des années 80 dans l’émission Récré A2.
Et depuis, cette série s’est ancrée dans un coin de ma tête, pour devenir l’un de ces souvenirs étrangement persistants qui resurgissent de temps en temps. Pourtant, je ne l’avais pas revue depuis l’époque de sa sortie sur Antenne 2, alors que je devais avoir autour de 13 ans. Lorsque j’ai appris, bien des années plus tard, que Hayao Miyazaki avait travaillé dessus, et qu’il s’agissait en fait de sa dernière série télé, je vous avoue que c’est avec une certaine fierté que je me suis remémoré mon enthousiasme prépubère !
Si vous ne connaissez pas cet anime ou n’en conservez qu’un vague souvenir, on y suivait les aventures du célèbre détective créé par Conan Doyle dans une Angleterre victorienne tout ce qu’il y a de plus classique.
Les rues populeuses de Londres étaient ainsi remplies de calèches, de vélos et des premiers véhicules motorisés (dont celui de Sherlock !) qui ressemblaient davantage à des calèches sans chevaux qu’à des voitures ! Tandis que les hommes ne sortaient jamais sans leur chapeau, et les femmes sans leur robe à froufrou.
Alors évidemment, quand je dis “classique”, c’est tout de même à une grosse exception près, puisque tous les personnages sont des animaux !
Ce sont des canidés pour être plus précis1, de toutes les espèces, de manière à mieux faire ressortir leur personnalité !
Si le soupe au lait Docteur Watson ressemble à un Terrier écossais, Sherlock, lui, prend les traits d’un renard à la fois doux et sacripant, tandis que le fourbe et truculent professeur Moriarty se rapproche, en toute logique, d’un loup au sourire gourmand.
Éternelle “victime” du génie de Sherlock Holmes, Moriarty essaye de se donner un semblant de prestance en adoptant l’attirail du parfait petit noblion : chapeau haut de forme, cape sur les épaules, monocle sur l’oeil et canne à la main !
Absolument irrésistible, il est l’incarnation même du génie du crime autoproclamé. Et chaque épisode voit son dernier mauvais coup déjoué par Sherlock et Watson, à son grand dam ainsi qu’à celui de ses deux fidèles acolytes : Todd et Smiley.
Mais si les héros de la série sont incontestablement Moriarty et Sherlock, comment oublier la discrète Marie Hudson ?! La logeuse de Sherlock, dont la douceur et la beauté font d’elle l’objet de toutes les galanteries, cache bien son jeu.
Sous ses airs de discrète “femme d’intérieur”, ce personnage d’une grande dignité révélera rapidement l’étendue de ses talents (pilote d’exception, spécialiste du parkour, tireuse d’élite, etc). Elle est l’incarnation même de l’héroïne Miyazakienne ! Son passé tragique, ainsi qu’une force de caractère qui lui fait gagner le respect de tous, font de ce personnage un prélude à la magnifique Gina du long-métrage animé Porco Rosso.
Sherlock Holmes est définitivement une œuvre spéciale, dans le sens le plus noble du terme.
Elle porte en elle des ambitions et un niveau d’exigence rares, que l’on ne peut qu’attribuer à Hayao Miyazaki et ses proches collaborateurs, qui avaient brillé quelques années auparavant sur une autre incroyable série : Conan, fils du futur (1978).
Spéciale, aussi, parce que cette série animée est le fruit d’une co-production tumultueuse entre la chaîne télé italienne RAI et le studio japonais TMS.
Si TMS (Tokyo Movie Shinsha) est bien connu pour des franchises animées telles que Lupin III ou encore Detective Conan, c’était aussi un habitué des coproductions internationales. TMS a par exemple travaillé avec la France, les US et le Canada sur le dessin animé Inspecteur Gadget.
Mais voilà… Pour des problèmes liés au droit d’auteur et / ou à une collaboration difficile avec RAI, la production de la série animée, initiée en 1981, a été stoppée nette après seulement 6 épisodes produits et quasi finalisés2.
Et elle ne sera finalement terminée que 3 ans plus tard (!), lorsque deux épisodes réalisés par Miyazaki (Le Rubis Bleu et Le Trésor de la Mer) sont mis bout à bout et diffusés au cinéma en 1984, en même temps qu’un certain… Nausicaä de la Vallée du Vent !
Comme le précise l’immense spécialiste et historien de l’animation japonaise Ilan Nguyên3 dans un article dédié à la série animée au sein du magazine Animeland (numéro 26 - Octobre 96) :
“Le salut de la série viendra de la Tokuma Shoten. Encouragée par la rédaction du magazine Animage, dont elle est éditrice (et qui prépublie depuis février 1982 le manga Kaze no tani no Nausicaä), la société va décider de programmer en séance commune avec le long-métrage de Nausicaä (dont la préproduction a déjà commencé) un film de Sherlock [Holmes].”
La boucle est ainsi bouclée, et avec panache !
Nausicaä, dont le succès allait permettre la création du studio Ghibli, a également donné une incroyable (et justifiée) visibilité à la dernière série télé de Miyazaki.
Et c’est en 1984 que son travail (rappelons-le, débuté en 1981 et limité à 6 épisodes) sera finalisé et étoffé pour obtenir une série complète de 26 épisodes sous la houlette de plusieurs réalisateurs et anciens collaborateur du maître, dont Keiji Hayakawa (Belle et Sébastien) et Seiji Okuda (Conan, fils du futur) par exemple.
Et vu le succès à la fois du film et de la série diffusée sur TV Asashi de novembre 84 à mai 85, un second film verra le jour en 1986, toujours composé de deux épisodes réalisés par Hayao Miyazaki (L'Enlèvement de Mme Hudson et L'Aéropostale). Il sera cette fois-ci diffusé parallèlement au long-métrage animé Laputa, bien entendu signé du maître.
Ce sont donc ces deux films Sherlock Holmes, diffusés en 84 et 86 au Japon, que j’ai eu la chance de voir l’un à la suite de l’autre début avril au Grand Cinema Sunshine de Ikebukuro !
Deux films en un, sortis l’espace de deux petites semaines dans tout de même 140 salles au Japon, à l’occasion du 40ème anniversaire de la diffusion du premier film. Et quel choc franchement… On reconnaît immédiatement la patte de Hayao Miyazaki : son approche des personnages, en particulier féminins (comme abordé plus haut), mais aussi ses courses poursuites défiant les lois de la physique !
On retrouve aussi l’amour absolu du réalisateur pour les machines volantes, avec une place prépondérante accordée aux avions, mais aussi à des créations pour le moins originales (et un rien steampunk) !
Le premier film débute ainsi sur les chapeaux de roue avec l’apparition d’un ptérodactyle volant qui vient créer la panique dans les rues londoniennes ! Sherlock comprend vite qu’il s’agit en fait d’une machine pilotée par les sbires du professeur Moriarty, qui profite de la confusion pour aller voler le fameux rubis bleu qui donne son nom à l’épisode.
Oui, ces 4 épisodes parmi les 6 réalisés par Miyazaki sont des merveilles d’animation et méritent tout à fait leur diffusion sur grand écran. Toujours dans son article publié dans Animeland #26, Ilan Nguyên nous éclaire à nouveau sur le sujet :
“De par sa nature de coproduction (qui la fait bénéficier d’un budget nettement supérieur à la normale), la série est d’une qualité technique exceptionnelle (ainsi, les épisodes totalisent deux fois plus de cellulos que la moyenne de l’époque, et la fluidité de l’animation est exemplaire)”.
Autrement dit, ces deux “films” sont le dernier pied à l’étrier de Hayao Miyazaki, son ultime révérence à la télévision avant qu’il ne se consacre pleinement aux long-métrages qui allaient faire de lui l’un des auteurs contemporains les plus respectés au monde. Rappelons que son dernier film : Le Garçon et le Héron (君たちはどう生きるか), a remporté l’Oscar du meilleur film d’animation le mois dernier.
Et il ne fallait pas s’appeler Sherlock pour deviner, dès les années 80, l’incroyable contribution que le réalisateur allait apporter à la culture japonaise et nos imaginaires à toutes et à tous.
Si vous souhaitez en apprendre plus sur la série télé Lupin III (sur laquelle Miyazaki a également officié lorsqu’il travaillait chez TMS), le film Le Château de Cagliostro ou la carrière de Hayao Miyazaki, je vous invite à écouter les épisodes #19 et #38 du podcast Pixel Bento ! J’en profite pour remercier Marc, qui nous parle de la série Sherlock dans l’épisode #43 (publié courant avril), et grâce à qui j’ai pu voir ces deux films en salle !
Voici un petit extrait de l’épisode #19, diffusé fin 2021, où toute l’équipe du podcast (moi, Marc, Nicolas, mais aussi Axel !) parle de sa redécouverte du Château de Gagliostro sur grand écran.
PS: Mises à part la photo de l’affiche de cinéma et celles du magazine Animage, toutes les images de Sherlock Holmes proviennent du compte Twitter et du site de Filmmarks ; du site de la RAI ; et de la chaîne YouTube japonaise TMS. Malheureusement leurs vidéos ne sont visibles qu’au Japon ! Mais si vous avez un VPN, voici un lien vers le trailer du film et une grosse vidéo de 11mn avec des extraits des 2 films.
Si vous tapez Sherlock Holmes dans YouTube, vous pouvez aussi facilement trouver le générique français (mémorable) ainsi que quelques épisodes de la série (postés de manière non officielle).
Enfin, les visuels des long-métrages Nausicaä, Laputa et Porco Rosso sont issus du site officiel Ghibli, et l’affiche du Château de Cagliostro du site officiel japonais TMS.
Il est d’ailleurs amusant de constater que si la série s’appelle tout simplement Sherlock Holmes en France, elle prenait le nom de Sherlock Hound (Sherlock le chien) aux US ! Au Japon, la série est connue sous le nom de 名探偵ホームズ (meitantei Hōmuzu), soit “Holmes le fameux détective”, tandis qu’en Italie le titre choisi fut Il fiuto di Sherlock Holmes, que l’on peut traduire par “Le flair de Sherlock Holmes” (bien vu).
Dans l’ordre de diffusion de la série animée, les épisodes réalisés par Hayao Miyazaki sont les 3, 4, 5, 9, 10 et 11. Le premier film est composé des épisodes 5 & 9, le second des 4 & 10. Le numéro de février 1985 du célèbre magazine Animage, que j’ai pu acheter chez Mandarake, aborde la production turbulente du dessin animé Sherlock Holmes sans rentrer dans les détails. Les autres sources historiques de cet article sont le pamphlet japonais du premier film, ainsi que l’excellent article de Ilan Nguyên publié en octobre 96 dans Animeland #26.
Immense spécialiste de l’animation japonaise, traducteur-interprète, chargé de cours à l’Inalco et médiateur culturel, Ilan Nguyên est un ancien professeur de l’Université des Arts de Tokyo et fut l'interprète officiel de feu Isao Takahata, l’un des cofondateurs du studio Ghibli.
Un de mes dessin animé favori quand j’étais gosse (les 3 mousquetaires avec les chiens aussi) La série tient encore très bien la route ! Je l’ai faite découvrir à mon fils de 6 ans l’an dernier et il a adoré.
Hello ! C'est toujours rediffusé sur J-one, en matinée et après 1h du mat la nuit :)
Merci pour cette madeleine de Proust, découverte à 5-6 ans, je me souvenais d'un seul épisode, tout en en ayant vu très peu...