AKIRA me suit partout depuis que je vis au Japon…
L'oeuvre d’Otomo bénéficie d’une actualité majeure au Japon depuis mon arrivée en 2018. La preuve avec de nombreuses photos prises ces 5 dernières années et 2 autres articles la semaine prochaine !
Des motos rutilantes qui dévorent la nuit, semant le chaos et d'évanescentes traînées lumineuses derrière elles.
Une foule de manifestants violemment agressée par une police militarisée commettant leurs exactions dans d’épaisses volutes de lacrymogène.
Un enfant au visage de vieillard pris dans les lumières des phares d’une moto lancée à pleine vitesse.
Le visage halluciné d’un jeune adolescent hospitalisé qui observe un minuscule ours escalader son oreiller.
Une masse informe de chairs palpitantes au sein de laquelle des corps luttent pour leur survie.
Autant de scènes à jamais imprimées dans mon cerveau après la vision de ce monument du 7ème art.
Mon premier contact avec AKIRA a été, comme beaucoup je pense, le film d’animation de Katsuhiro Otomo et non pas son manga. La découverte de ce long métrage au début des années 90, alors que j’étais encore étudiant, a marqué le début de mon exploration de l’animation japonaise “pour adultes”. Comme souvent avec les œuvres qui ont contribué à façonner notre culture, AKIRA s’est pointé dans ma tête avec ses valises pleines de scènes cultes pour s’y installer définitivement. Un locataire permanent qui s’invite avec verve et aplomb dans toutes les conversations, dès qu’elles touchent à l’animation bien sûr, mais aussi au post-apo, au cyberpunk, au body horror, au cinéma, ou tout simplement au Japon. Aujourd’hui encore, regarder AKIRA est une expérience qui s'apparente à l’impact d’une main propulsée avec un élan non négligeable sur la partie la plus élastique d’un visage… une claque quoi. Et ce quelle que soit la génération à laquelle vous appartenez (baby boomers, X, Y ou Z). AKIRA est une œuvre qui défit le temps grâce à la qualité de sa facture technique, à même de faire rougir les long métrages animés les plus récents. Un film réalisé sans limite de moyens dans un Japon qui n’était pas encore redescendu de son petit nuage économique. Sorti en 88, AKIRA anticipe de quelques années la “décennie perdue” à venir, qui suivra l’éclatement de la bulle spéculative japonaise au tout début des années 90. Un film visionnaire à plus d’un titre…
AKIRA, c’est aussi l’une de ces bandes originales qui osent tout et ne se contentent pas d’habiller un film pour au contraire l’habiter. Nous reviendrons plus tard dans la semaine sur le compositeur, Shōji Yamashiro, et en particulier le collectif Geinoh Yamashirogumi qui donne encore aujourd’hui régulièrement des concerts au Japon.
AKIRA, enfin, c’est un style… Celui (sur)réaliste et ultra détaillé, si incroyablement expressif, de Katsuhiro Otomo, qui s’est imposé une nouvelle fois à mes yeux abasourdis un jour du mois de Juin 2018, alors que je me promenais à Shibuya aux côtés de mon épouse, tous les deux fraîchement arrivés à Tokyo. C’est avec stupéfaction que l’on a ainsi découvert, au détour d’une rue, les palissades du chantier du futur immeuble Shibuya PARCO, alors en construction, et qui abrite aujourd’hui le seul et unique Nintendo Store du Japon… Ces palissades étaient toutes recouvertes de dessins issus des planches d’Otomo. Des illustrations gigantesques, réalisées en collaboration avec le graphic designer et génie du “collage” Kosuke Kawamura, qui est régulièrement mis à contribution pour le design des T-Shirts anime de Uniqlo par exemple. Des assemblages géants, qui superposaient aux décors urbains de Neo-Tokyo, les visages d’une expressivité folle de ces gamins tellement humains, qui ne cachent rien de leurs conflits émotionnels. Emportés par ces émotions, dévorés par elles, tous les personnages d’AKIRA, de Tetsuo au politicien Nezu, en passant par la malheureuse Kaori et ces enfants télépathes sans âge, portent sur leurs visages les ébullitions de leur terrible humanité.
Ainsi exposées au cœur d’un des quartiers les plus emblématiques de Tokyo, ces images semblent prendre vie, comme si elles étaient projetées sur ces palissades devenus le temps d’un instant des écrans de cinéma éphémères. En 2018, à l’approche des Jeux Olympiques de 2020 prophétisés dans les pages du manga, on se rappelle de cette image furtive dans le film, où le panneau affichant le compte-à-rebours de l’événement est recouvert de graffitis dont un se traduit par… “Annulé”. Quelques mois plus tard, la pandémie s’immisce dans nos vies et les JO de Tokyo sont décalés, après que leur annulation ait été sérieusement envisagée. AKIRA et Tokyo ont toujours été intimement liés, mais ce lien semble sans cesse se renforcer avec le temps.
Ces palissades ont finalement donné lieu à une exposition nommée “AKIRA Art of the Wall”, à Shibuya bien sûr, mais aussi à Milan et à Los Angeles. Un livre fut également publié, qui permet de “déplier” chez soi des miniatures de ces palissades dans un amusant jeu de perspectives. Où, ailleurs qu’au Japon, imaginez qu’une œuvre aussi mature et violente puisse ainsi se déployer avec une telle assurance dans l’espace public ? Comme si les palissades protégeant un hypothétique chantier à Paris se paraissaient soudain de collages issus des planches de L’incal de Moebius… Un artiste avec lequel, d’ailleurs, Otomo partageait bien plus qu’une admiration mutuelle.
C’est ainsi qu’en 2018, AKIRA s’est immiscé dans cette nouvelle vie débutée à Tokyo… et ce n’était que le début.
La suite, c’est par ici !
ALERTE !
Léger spoil, mais ce dernier est nécessaire, le dernier article consacré à AKIRA vendredi prochain se focalisera sur l’incroyable exposition “OTOMO The Complete Works: AKIRA Cel Exhibition” qui s’est tenue à Tokyo cet été, et qui rouvre ses portes aujourd’hui à Osaka !
Vu la vitesse à laquelle les réservations se sont envolées dans la capitale, si vous êtes dans le Kansai ou comptez vous y rendre entre le 6 et le 24 octobre 2023, mieux vaut sans doute réserver au plus vite : https://art.parco.jp/eventhall/detail/?id=1294
PS: Toutes les photos illustrant cet article ont été prises par mes soins.
Magnifiques murs de protections !
Merci Thierry,
Effectivement Akira fait parti des animés qui restera gravé à vie... j'avais eu le même choc pour le film de Spriggan et Jubeï Nimpucjo.... cela nous rajeunit pas 😂