AKIRA s’est installé chez moi…
Tout est parti de palissades, transformées le temps d’un chantier en toiles urbaines dédiées au manga. Aujourd’hui, l’intégralité de l'œuvre d’Otomo (res-)sort en librairie.
Partager les découvertes et passions du moment, mais aussi les œuvres culturelles qui ont marqué ma vie, est l’une des raisons de l’existence de cette newsletter. Cette idée de transmission, ce petit “hey, t’as vu ça !” qui ne coûte pas grand chose mais s’avère tellement important, possède également ses vertus, comme celle d’assister à la transformation progressive d’un ami en méga-fan et expert d’AKIRA après lui avoir fait découvrir le film. Depuis, c’est lui qui partage et me tient au courant de la bouillonnante actualité AKIRA, que ce soit les concerts, ressorties du film, goodies, vinyls, expositions, mais aussi les soubresauts de la chaotique réédition de l'œuvre complète du mangaka aux éditions Kodansha.
Un immense merci, donc, à Julien L. sans qui ces trois articles consacrés à l’actu AKIRA auraient été beaucoup plus succincts !
Voici d’ailleurs les liens vers les deux précédents !
“OTOMO The Complete Works” est une réédition initiée début 2022 de l’intégralité de l'œuvre d’Otomo. Une collection exhaustive d’une ambition folle, éditée en japonais, dans le désordre, au compte goutte, et de manière quelque peu anarchique. Les deux premiers volumes publiés début 2021 étaient ainsi le formidable et séminal “Dômu (童夢 - 1980)” et “Animation AKIRA Storyboards 1”, soit les volumes 8 et… 21 ! Le volume 1, “Jūsei (銃声)”, qui contient la première histoire publiée par Otomo en 1973, n’est disponible que depuis le mois de juillet de cette année. En tout, 10 volumes sont sortis depuis le 21 janvier 2022, en six vagues dont le planning a été bouleversé à plusieurs reprises. Et ce n’est que le début !
Les livres eux-mêmes sont de très beaux objets, imprimés sur du papier de qualité, et dotés d’épaisses protections en plastique colorées et transparentes qui attirent immédiatement l'œil dans une bibliothèque. Rose, orange, jaune, les couleurs choisies possèdent une patine fluo leur conférant un petit côté “néon” qui sied parfaitement à une oeuvre comme AKIRA. Seul (petit ?) bémol, aussi flashy et unique soient-elles, les bords de ces couvertures en plastique ont tendance à s’affaisser et se plier légèrement lorsque l’on place les volumes à la verticale dans sa bibliothèque. Et si on les pose à l’horizontale, c'est-à-dire en les empilant les uns sur les autres, le plastique a tendance à “coller” un peu, ce qui rend leur manipulation un chouilla malaisée. En tant qu’immense fan du livre en tant qu’objet physique, et de la bibliothèque en tant que fenêtre ouverte sur sa culture, ces “détails” ne sont pas sans importance.
Une petite vidéo “unboxing” du SUBLIME “AKIRA Layouts & Key Frames Vol2” (#24) sorti en mai 2023, réalisée par l’auteur de l’excellent blog Halcyon Realms dédié aux artbooks.
La réédition complète des travaux d’Otomo étant le fruit de la collaboration active de l’auteur et de Kodansha, l’une des plus grosses maisons d’édition du Japon, sa promotion a été relativement fastueuse. Un très beau site est dédié à la collection, avec le support des réseaux sociaux habituels, et chaque nouvelle vague de sorties s’accompagne généralement d’une jolie mise en avant dans les grandes enseignes du livre comme Tsutaya, Kinokuniya ou Maruzen, avec des PLV, des espaces dédiés, de petites expositions temporaires et ainsi de suite.



Au-delà de l’intérêt culturel et artistique de cette réédition, Otomo et tout particulièrement AKIRA, sont des noms devenus franchises qui génèrent un business juteux grâce à leur aura bien sûr, mais également la propension d’une fan base dévouée et internationale, à investir des sommes importantes dans leur passion, et ce même s’ils ne lisent pas le japonais. Le volume 24 sorti en mai dernier, “AKIRA Layouts & Key Frames Vol2”, coûte tout de même 7700 yens, soit environ 50 euros. Il s’agit d’un des volumes les plus onéreux de la collection, de par la complexité de sa fabrication et le soin apporté à celle-ci. Il comprend ainsi trois types d’élément :
les layouts - imprimés sur papier blanc - qui établissent la composition d’une image telle qu’elle apparaîtra dans le film, de son cadrage (bien visible) aux éléments qui la composent. Elle contient les personnages ou objets animés, de temps en temps une version “brouillon” des décors de fond, ainsi que des annotations sur les détails de la scène ou les intentions de mouvement.
les genga (原画 - les kanjis de “origine” et “image”) - imprimés sur papier jaune - qui sont en fait les images clé (keyframes) d’une animation, à partir desquelles les intervallistes vont travailler pour créer les images intermédiaires qui donneront à l’animation sa fluidité finale.
sans oublier, la dizaine de reproductions de haute qualité de cellulo colorisés, dont une poignée se composent de plusieurs calques superposables ! Le cellulo, aujourd’hui disparu, était une feuille transparente assez épaisse d’acétate de cellulose (d’où son nom) - de plastique donc - sur laquelle étaient dessinées et peintes à la main, puis plus tard imprimés, toutes les phases d’animation des personnages. Ces feuilles transparentes étaient ensuite placées sur les décors dessinés à part, avant d’être photographiées par une caméra un cellulo à la fois.
Un travail méticuleux auquel rendent hommage les deux premiers volumes “AKIRA Layouts & Key Frames” qui constituent aujourd’hui, à mon humble avis, les joyaux de cette collection “OTOMO The Complete Works” (même si les deux ouvrages consacrés aux storyboards du film valent aussi leur pesant de cacahuètes en or massif). Pardon ? Ça aurait mérité une exposition ? Je suis bien d’accord. Et Otomo aussi ! L’expo “OTOMO The Complete Works: AKIRA Cel Exhibition” s’est ainsi tenue à Tokyo, au Mixalive d’Ikebukuro cet été (du 10 au 31 août), et a rouvert ses portes à Osaka du 6 au 24 octobre 2023. Une expo rapidement sold out à Tokyo (il reste des places à Osaka !) qui contient des cellulos de la collection personnelle du mangaka / réalisateur, ainsi que plus de 600 layouts & genga dessinés à la main et sélectionnés par le maître.



L’expo reproduit un cadre urbain, très métallique, comme si on était perdu au milieu des échafaudages d’un chantier, ce qui m’a directement renvoyé à 2018 et aux palissades AKIRA-isées protégeant le site de construction du PARCO de Shibuya ! Exposés dans une relative obscurité sur des grilles soutenues par des assemblages de barres métalliques, les cellulos, genga et layouts étaient répartis dans plusieurs zones thématisées, comme “NEO TOKYO”, “NIGHT-MARE” et “catastrophe theory”. Malheureusement, pas de photos possibles de l’expo elle-même, si ce n’est à des spots précis, comme la reproduction de l’ours géant et dégoulinant de slime, composé d’une multitude de jouets, qui vient terroriser Tetsuo dans l’une de mes scènes favorites du film.
Mais la surprise de cette expo, outre le fait de découvrir “en vrai” certains des originaux des dessins et celluloïds reproduits dans les pages des livres qui illuminent aujourd’hui ma bibliothèque, était clairement… sa bande son ! Les musiques du collectif Geinoh Yamashirogumi ont fait l’objet de stupéfiants remix électro arrangés par Makoto Kubota (久保田麻琴さん) et Yasuharu Konishi (小西康陽さん). Je n’ai pas d’extraits à vous faire écouter malheureusement, mais mon ami Julien (qui a été voir un nombre incalculable de fois cette expo !) et moi sommes réellement tombés sous le charme de ces brillants réarrangements, qui - ô joie - sortiront prochainement en CD, vinyles et téléchargement (pas de date pour le moment, mais je vous tiens au courant !). Cette expo se conclut bien sûr par un petit tour par l’indispensable boutique, où l’on peut acheter les livres de la collection Otomo - avec une chance minime de tomber sur un exemplaire dédicacé ! - mais aussi des goodies créés pour l’occasion.



Certains de ces goodies - un T-Shirt spécial, un sac transparent et un porte-clé - ne pouvaient être achetés que si l’on gagnait une loterie en tirant une boule au hasard, dans les boîtes de carton portées par des membres du staff à la sortie de l’expo. Hé oui, le Japon est bel et bien le pays du gacha, ces machines où l’on glisse quelques centaines de yens sans savoir sur quel jouet on va tomber ! Plus fort encore, l’édition Osaka de l’expo comporte quelques différences avec des goods inédits et de nouveaux remix de la musique d’AKIRA, dont un composé par Kuniaki Haishima (蓜島邦明さん). Le tweet annonçant ces nouveaux remix se conclut par un laconique (et hilarant) “Désolé pour ceux qui sont venus à l’expo de Tokyo. Achetez l’CD !”.
C’est ainsi que se concluent - pour le moment ! - mes aventures tokyoïtes avec AKIRA et l'œuvre d’Otomo en général. Encore un immense merci à mon ami Julien L. pour sa veille permanente de tout ce qui touche de près ou de loin à AKIRA ;-) Et si vous n’avez pas encore lu ou vu ce chef-d’œuvre, j’espère que ces quelques articles et leurs illustrations auront su vous convaincre de lui donner sa chance !
PS: les photos illustrant cet article ont été prises par mes soins, sauf celles de l’exposition envoyée par le service presse de l’événement『大友克洋全集 AKIRAセル画展』事務局, identifiées par leurs crédits (Ⓒ2023 MASH・ROOM Ⓒ1988 MASH・ROOM / AKIRA COMMITTEE). Un immense merci à eux pour leur gentillesse et leur professionnalisme !
L'expo a vraiment l'air sympa et je suis très très curieuse d'entendre cette musique revisitée un jour...
Lire cet article écrit avec la plume de la passion me procure une certaine mélancolie. Se plonger dans les œuvres de l'exposition en écoutant solennellement la nouvelle bo revisitée... un souvenir intemporel.