AKIRA me suit partout je vous dis !
Dans les salles obscures, mais aussi celles superbement éclairées des halls dédiés aux concerts, l'actualité AKIRA s'est finalement arrachée aux griffes de la pandémie.
Dans l’article précédent, j’avais évoqué les surprenantes palissades du chantier du Shibuya PARCO en 2018, alors habillées par les superbes collages des planches d’AKIRA réalisés par Kosuke Kawamura.
Le choc visuel provoqué par la découverte fortuite de cette improbable exposition urbaine a renforcé encore un peu plus dans mon esprit, si cela était possible, le lien qui unit l'œuvre d’Otomo à Tokyo.
AKIRA est une œuvre sanguine, bénie de l’éternelle jeunesse que lui confère l’humanité de ses jeunes protagonistes ainsi que l’avant-gardisme de son propos. Il n’est donc guère surprenant que le film s’invite régulièrement dans les salles obscures tokyoïtes, que ce soit à la faveur d’une toute nouvelle copie 4K ou au détour d’une vieille pellicule rayée d’époque. C’est dans ces conditions “vintage” que j’ai redécouvert le film sur grand écran en juillet 2019 dans une petite salle indépendante du quartier de Meguro à Tokyo. Un cinéma d’art et d’essai avec un seul et unique écran, des sièges rouges défoncés et une programmation toujours épatante, où l’on peut souvent enchaîner deux films pour le prix d’un. Dans ce cinéma, j’ai pu revoir des classiques de John Carpenter, comme Christine et The Fog, mais aussi À Bout de Souffle de Godard ou encore le long métrage animé Roujin Z. Mais mon premier film dans cette salle, qui allait devenir l’un de mes spots favoris de Tokyo, fut AKIRA.
Pour l’occasion, les gérants de la salle avaient mis les petits plats dans les grands avec une improbable déco qui respirait l’amour et la passion, faite de collages et d’assemblages de cartons. Par exemple, dans la minuscule entrée de ce petit cinéma trônait une reproduction de la célébrissime moto de Kaneda, avec ses logos Canon, Citizen, Shoei… auxquels s’ajoutait un inédit “Meguro Cinema” ! Sans oublier une reproduction artisanale de l’accoutrement de Tetsuo à la fin du film, avec la cape rouge improvisée et le bras reconstitué à l’aide de débris et autres morceaux de métal. Une petite exposition improvisée donc et réalisée à l’aide de bouts de ficelle, qui rappelle ce que certaines boutiques ou galeries font à la sortie du dernier gros MARVEL en exposant les accessoires, véhicules, mais aussi les costumes portés par les acteurs durant le tournage de ces méga-productions. Sauf qu’ici rien n’est “officiel”, tout est passion et DIY.
On retrouve ici le dévouement des japonais en tant que fans, et tout particulièrement l’esprit doujin (同人). Si le mot doujin se traduit littéralement par “personnes similaires”, il identifie plus précisément les groupes ayant des centres d’intérêt communs et qui développent autour de ces derniers des créations personnelles destinées à rendre hommage, voire à étendre les univers des œuvres adorées. Une façon créative de se ré-approprier ces œuvres de manière participative et bénévole, l’idée ici n’étant pas de dégager un bénéfice financier, mais bien de partager une passion et sa vision de celle-ci. Cette mini-expo AKIRA dans un cinéma de quartier, est une jolie illustration de la culture doujin et de la passion que génère encore aujourd’hui l'œuvre d’Otomo.
Alors forcément après une telle expérience, revoir le film en avril 2021 dans une salle bien plus grande d’un complexe cinéma de l’île artificielle d’Odaiba n’a pas tout à fait le même charme. Mais le remaster 4K, sans oublier une salle équipée d’un système sonore dernier cri, agit sur le film comme une cure de jouvence. Ces projections sont finalement assez régulières et accompagnent souvent d’autres événements liés à l’actualité AKIRA, comme l’exposition “OTOMO The Complete Works: AKIRA Cel Exhibition” qui se tient actuellement à Osaka par exemple; expo dont nous parlerons dans notre prochain et dernier article sur le chef d’oeuvre d’Otomo. Mais auparavant, je me dois de vous parler de la bande originale du film, composée par Shoji Yamashiro, de son vrai nom Tsutomu Ōhashi.
La BO du film AKIRA est unique. Elle mélange des chœurs, à de la musique électronique, le tout sur le tempo du Jegog (ジェゴグ en japonais), une musique traditionnelle indonésienne en provenance de Bali, qui fait appel à de nombreux et gigantesques instruments de percussion en bambou à la sonorité unique. Comment une telle musique a-t-elle atterri dans le film de 1988 ? Grâce au collectif Geinoh Yamashirogumi, fondé en 1974 par Shoji Yamashiro. Le compositeur, qui n’avait alors jamais travaillé sur un film (!), a été personnellement choisi par Otomo après la découverte de leur dixième album, Rinne Tensho, sorti en 1986.
Une folie donc, encore une fois permise par le contexte unique de la fabrication du film et la liberté laissée à Otomo et ses équipes créatives. Le collectif Geinoh Yamashirogumi existe encore aujourd’hui et utilise toujours ces incroyables instruments de percussion. Et c’est grâce à Julien L., un ami et immense amateur / collectionneur de tout ce qui touche à AKIRA, que j’ai eu la chance d’assister à un concert live de Geinoh Yamashirogumi en mai 2021, après avoir été annulé deux fois de suite à cause de la pandémie. Car au-delà du manga ou du long métrage animé, AKIRA est aussi souvent découvert par le prisme de sa BO, ce qui fut le cas de Julien, qui a toujours été féru de musiques électro. Tous les chemins artistiques mènent à AKIRA !
Ce concert mémorable s’est tenu à quelques minutes de marche de Nakano Broadway, le quartier du jouet vintage, et fit salle comble, même si un siège sur deux restait inoccupé du fait des directives anti-Covid encore en vigueur en 2021. Une des particularités du concert, outre le fait d’accueillir des choeurs ainsi que les superbes et colorés instruments de percussion en bambou, est justement de diffuser des vidéos explicatives sur l’origine de ces instruments. Encore mieux, une pause est dédiée au démontage d’un des plus gros instruments, dont les tubes en bambou passent alors entre les rangs. Un côté didactique mais aussi une véritable mise en avant de la culture indonésienne dont sont issus ces étonnants et rares instruments de musique. Mais il faut savoir que le collectif Geinoh Yamashirogumi se compose d’une petite centaine de volontaires en provenance d’horizons très variés, souvent liés aux sciences humaines ou à l’éducation. Il compte ainsi dans ses rangs des professeurs, ingénieurs, journalistes, étudiants, etc.
Ce concert eut droit à une seconde édition en octobre 2022, concert auquel j’ai également assisté, et fera l’objet d’une troisième le 18 novembre prochain ! Alors si vous êtes du côté de Tokyo à ce moment-là, ça vaut le coup !
Pour plus d’infos et/ou réserver : https://www.yamashirogumi.jp/akira-jegogdan3/
Dans le prochain article, on abordera l’incroyable expo consacrée aux cellulos d’AKIRA, qui tourne actuellement au Japon, mais aussi la saga de la ressortie de l’oeuvre complète de Otomo aux éditions Kodansha !
PS: les photos illustrant cet article ont été prises par mes soins, sauf celle de l’expo AKIRA Art of the Wall à Osaka, qui vient du compte X (twitter) officiel de Otomo @otomo_zenshu et de celle du collectif Geinoh Yamashirogumi, issue de leur site officiel.
Yojimbo ! J'aimerais tellement que mon petit cinéma de Meguro fasse un jour une rétrospective Kurosawa... Histoire de voir sur grand écran Sanjuro (l'incroyable suite du Garde du Corps/Yojimbo), Ikiru (Vivre) ou les 7 samourais bien sûr ;-)
C'est exactement la vibe de ce petit ciné ! Je me rappelle aussi du Studio des Ursulines, du Reflet Médicis, du Saint-André des Arts... Oui, c'était le temps des études et des sorties entre amis où l'on découvrait pour la première fois les grands classiques du cinéma !