Pluto : du rififi chez les robots
Quand Astro le petit robot devient la cible d’un serial killer, il n’a d’autre choix que celui de s’associer à un détective en pleine crise existentielle…
Pluto est une série animée épique, bouleversante, et au propos éminemment politique.
Entre Ghost in the Shell, Blade Runner et Le Géant de fer, avec une pincée de Silence des Agneaux (oui, oui), cette série Netflix diffusée fin 2023 vous saisit au col pour vous secouer comme un suspect dont on bafoue les droits.
Pluto, c’est aussi un manga de Naoki Urasawa sorti 20 ans plus tôt, en 2003. Urasawa est un grand nom du manga, connu et adulé pour des œuvres matures et marquantes, comme 20th Century Boys ou Monster.
Enfin, Pluto est un hommage ainsi qu’une relecture (très) étoffée de l’une des histoires de l’immense et prolifique Osamu Tezuka, alias le dieu du manga ! Cette histoire, appelée : Le robot le plus fort du monde, est parue en 1974 et appartient à la fameuse série Astro, le petit robot.
Vous l’aurez compris, la série animée Pluto, de ses origines à son histoire, n’est pas une œuvre à prendre à la légère.
Ce qui frappe d’emblée en découvrant cette série, c’est qu’elle prend son temps. Le temps de poser ses personnages, qui seront tous brossés avec un soin exquis… Le temps, aussi, de dérouler le fil de son intrigue, tissée autour du personnage de Gesicht.
Cet enquêteur n’a rien en commun avec ses collègues humains. C’est l’un des 7 robots les plus puissants au monde, dont le corps a été façonné à partir d’un métal quasiment indestructible…
Le monde futuriste de Pluto ressemble terriblement au nôtre à quelques détails prêts, et à la différence (majeure) que les robots font désormais partie intégrante de la société.
En fait, leur intelligence est comparable, voire supérieure à celle des humains. Ils ont malgré tout longtemps été traités comme des outils, des armes de guerre, voire, des esclaves…
Et encore aujourd’hui, malgré des lois internationales leur octroyant l’égalité des droits, et les années passées à militer pour eux, ils restent traités par beaucoup comme des citoyens de seconde zone, jugés indignes d’être reconnus égaux pour leur incapacité supposée à ressentir des émotions.
Pourtant, ces robots sont soumis à des codes moraux bien plus stricts… Ils ne peuvent en aucun cas atteindre à la vie d’un être humain.
Ils ont été programmés ainsi.
Mais ils ont déjà tué un humain… Une fois…
8 années avant la découverte d’un des deux meurtres qui ouvrent le premier épisode de Pluto. Un militant humain connu pour avoir aidé à faire passer la loi pour les droits des robots est retrouvé massacré, des cornes fabriquées à la va-vite plantées dans son crâne.
Parallèlement, en Suisse, un robot doté d’une immense popularité mondiale est lui aussi retrouvé massacré, des cornes improvisées dressées à côté de sa tête.
Tout laisse à penser que les deux meurtres sont liés. Mais tout semble étrange, impossible même… Le robot suisse, appelé Mont Blanc, était un “héros de guerre”, devenu guide de montagne et protecteur de la nature.
Et c’était l’un des 7 robots les plus forts du monde… Tous disposent d’une puissance et d’une intelligence terrifiantes. Ils sont considérés comme étant des armes de destruction massive, et ont été utilisés comme telles durant la guerre qui opposa le Royaume de Perse et la coalition menée par les Etats-Unis de Thracia.
Cette guerre, déclenchée afin de mettre un terme aux désirs de conquête du dictateur Darius XIV et à l’utilisation non autorisée de robots de destruction massive, a été globalement menée par proxy par les humains.
Des armées de robots ont ainsi été sacrifiées, et ce sont finalement ces 7 robots surpuissants, “contrôlés” par les membres de la coalition étasunienne, qui ont fait basculer la guerre.
Le Royaume de Perse a été laissé en ruines. Et ses “robots de destruction massive” n’ont jamais été retrouvés.
Le manga de Naoki Urasawa date de 2003, l’année où a débuté la Guerre en Irak…
Le manga comme l’animé sont des œuvres profondément antimilitaristes qui exposent les injustices et traumatismes de la guerre. L’enquête de Gesicht le mènera aux quatre coins du monde et l’obligera à remuer les débris encore fumants de cette guerre passée. Il sera aussi amené à rencontrer et travailler avec Astro, qui fait parti, comme Gesicht, du fameux club des 7.
Ce discours antimilitariste est à mettre au compte de Osamu Tezuka, auteur de l’histoire qui a inspiré Pluto, qui était déjà une critique acerbe de la guerre et ses fruits empoisonnés.
Il ne faut pas oublier que Tezuka était un auteur engagé, aux valeurs humanistes incontestables. Né en 1928, il a vécu les affres de la Seconde Guerre Mondiale. Et si le génial mangaka est avant tout connu pour son trait tout en rondeur et des œuvres enfantines (du moins en surface) telles que Astro, le petit robot ou Le Roi Léo, il était aussi très prolifique dans le domaine du seinen, le manga pour adulte, avec des titres tels que Phénix, l'oiseau de feu ou L'histoire des 3 Adolf.
Avec Pluto, Naoki Urasawa a énormément développé l’histoire originale. Les 180 pages de Tezuka sont devenues 8 tomes chez Urasawa (la série animée propose 8 épisodes d’une heure environ). Et il a aussi modernisé les éléments et enjeux politiques de l’histoire originale.
Urasawa a également intégré une réflexion poussée sur l’intelligence artificielle, ou encore la capacité d’un robot à dépasser les limites de son code (son ADN informatique) pour finalement évoluer et questionner la notion même d’humanité.
Oui, à de multiples reprises, la série animée rend des hommages assez directs et souvent percutants à des œuvres majeures de la science-fiction “philosophique”, telles que Blade Runner, Ghost in the Shell ou Gunnm (Battle Angel Alita).
Des classiques auxquels il emprunte, au-delà même des images et des thèmes, l’inhérente mélancolie.
Mais Pluto reste avant tout un polar, parfois assez violent, qui emprunte les chemins délavés par la pluie du film Seven (Se7en) et les dérangeants face à face d’un Silence des Agneaux.
Car contrairement au récit originel de Tezuka, on suit ici le point de vue de l’inspecteur Gesicht et non celui d’Astro.
Gesicht, qui signifie “face” en allemand, est un personnage aux multiples visages prenant à bras le corps la figure classique du détective luttant contre ses propres démons et contradictions. Tous les personnages du dessin animé font d’ailleurs l’objet d’un développement soigneux qui nous amène à nous attacher à eux en l’espace d’un ou deux épisodes.
Car Pluto, comme les autres œuvres de Urasawa, ne verse pas dans le manichéisme. Rien n’est tout noir ou tout blanc ici. Et si l’affrontement entre le bien et le mal reste au coeur du manga Pluto (ou de Monster), ce qui les distingue est parfois aussi ténu qu’un dessin à la craie sur un mur de béton…
Techniquement, le dessin animé produit par Netflix a été développé par Studio M2, fondé par le producteur Masao Maruyama. Ce dernier, aujourd’hui âgé de 82 ans, identifie Pluto comme l’œuvre d’une vie.
Sa vie est pourtant bien remplie en termes de réussites artistiques et économiques ! Il a co-fondé le célèbre studio Madhouse en 1972 après avoir quitté le studio de production de Osamu Tezuka. C’est ainsi qu’il a produit tous les films de Satoshi Kon ! Il a également poussé Katsuhiro Otomo a se lancer dans l’animation, et fondé Studio M2 en 2016, mais aussi le célèbre studio MAPPA en 2011, qui enchaîne depuis quelques années les cartons, avec des séries telles que L’Attaque des Titans, Jujutsu Kaisen ou Chainsaw Man.
Si techniquement Pluto reproduit avec soin le style immédiatement reconnaissable de Urasawa, on a tout de même parfois l’impression que ce sont les cases du manga qui sont animées, plus que les personnages eux-mêmes…
Mais cette sensation d’inertie, sans doute très subjective, n’enlève en rien au punch de la série et à sa capacité à nous assener des coups au cœur à même de nous clouer sur notre canapé.
Que ce soit via le manga ou la série animée, je vous encourage vivement à découvrir Pluto si ce n’est déjà fait.
Avec autant de personnages remettant en question leur mémoire, cette œuvre se distingue par son étonnante capacité à s’imprimer définitivement dans la nôtre.
PS: Toutes les images de Pluto illustrant cet article sont tirées du compte X officiel, ainsi que du site dédié au dessin animé. Si vous souhaitez en savoir plus sur les coulisses de la production Netflix / Studio M2, je vous invite à écouter Naoki Urasawa dans cette vidéo produite par Netflix, ainsi que cette série d’interviews d’une partie de l’équipe du Studio M2, dont Masao Maruyama. L’image de l’animé Chainsaw Man provient de son site officiel japonais.
Je ne connaissais pas du tout mais ça a l’air fantastique ! Merci pour la mise en avant !
Bonne article, j'ai lu pluto il y'a 4 ans et deja ce qui m'avais surpris c'était la référence à l'Irak, guerre que la France et d'autres pays européens ont refusé et ce refus qui à été vu par les usa de l'époque comme quelque chose de mauvais, Monster et 20th century boy reste probablement mes séries de manga préféré, assez d'accord avec ton opinion sur l'anime Chainsaw man, dommage que le public japonais n'ai pas été aussi emballé malheureusement