Ce jeu n’est pas un Metroidvania !
Beyond the Ice Palace 2 est un superbe hommage aux jeux d’action / plates-formes de la Super Nintendo ; l'improbable suite d’un titre C64 sorti en 1988 ; et une excellente surprise “made in France” !

Un article qui célèbre les années 90 - la décennie bénie du pixel art - et donne la parole à l’un des deux principaux artisans du jeu : Julien Rocca, du studio français Story Bird !
En lançant Beyond the Ice Palace 2, j’ai rapidement eu la sensation de ne pas jouer à un jeu sorti en 2025, mais d’avoir exhumé une cartouche Super Nintendo perdue dans les limbes du temps.
Une sensation renforcée par le fait que je sors tout juste d’un gros trip Castlevania, et que j’ai récemment relancé un classique de la Super Nintendo au pixel art inoubliable : Super Ghouls ’n Ghosts !
À la manière de ce jeu Capcom sorti en 1991, Beyond the Ice Palace 2 (BTIP2 pour faire court) propose des graphismes typés 16-bit au pixel art ultra soigné, ainsi qu’une approche résolument rétro à la fois dans son design et sa jouabilité.

Vous aurez certainement noté le petit “2” qui suit le titre de ce jeu, indiquant qu’il s’agit d’une suite. Beyond the Ice Palace premier du nom est en effet un soft développé par Elite Systems, sorti sur Commodore 64 (mais aussi ZX Spectrum, Amstrad CPC, Amiga et Atari ST) en 1988 !
Ce studio anglais est d’abord connu pour avoir adapté de nombreux classiques de l’arcade sur micro-ordinateurs dans les années 80. On pense notamment à Commando, Ikari Warriors, Paperboy ou encore Ghosts ’n Goblins… Il y a d’ailleurs de fortes chances que ce dernier ait inspiré Beyond the Ice Palace (BTIP), sorti deux ans après. Et pour le coup, ce n’est pas un portage, mais bien une création originale de Elite Systems.

Mais comment donc un petit studio français s’est-il retrouvé à développer la suite de ce jeu anglais méconnu ?
Déjà, il faut savoir que le studio de développement Story Bird est un habitué du jeu rétro ou au look rétro. J’avais ainsi reçu en 2013, sur la chaîne télé Nolife : Julien Rocca, l’un des co-fondateurs du studio, et Romain Dubuc, une jeune recrue qui n’avait pas encore terminé ses études à ISART Digital, pour qu’ils nous parlent de Finding Teddy, un jeu d’aventure / puzzle aux graphismes pixel art inspirés de classiques de l’Amiga comme Sir Fred et Shadow of the Beast !
Ce duo n’a d’ailleurs pas changé, puisqu’on le retrouve 12 ans plus tard aux commandes de BTIP2, comme nous l’explique Julien Rocca, qui m’a fait l’immense plaisir de répondre à plusieurs salves de questions au fil de ma progression dans le jeu.
Nous sommes deux dans l'équipe principale : Romain au développement et game design, et moi même au game design, level design, graphismes, etc. Nous avons été épaulés par Luca, un second graphiste, puis Allister (Brimble) et Stéphane (Sirrah) à la musique. Au total, on peut dire que nous avons été 2 à plein temps, et jusqu'à 5 par moment dans la production du jeu. (Une liste à laquelle on peut ajouter Frank Galand, qui a réalisé les illustrations de l’intro du jeu !) Au final, cela aura pris un peu plus de 2 ans pour tout réaliser.
Avant de développer cette suite, Story Bird a travaillé sur plusieurs autres jeux néo-rétro, dont Golden Force (2021), au look très Mega Drive, et Ganryu 2: Hakuma Kojiro (2022), dont la palette de couleurs très Neo Geo ne laisse aucun doute sur les origines du titre auquel il fait suite.



Il est amusant de noter que Ganryu 2 est également une suite réalisée plus de 20 ans après la sortie du jeu original, dans ce cas précis un jeu d’arcade apparu sur les bornes Neo Geo en 99 (créé par le studio japonais Visco Corporation). Comme pour ce dernier, Story Bird a travaillé avec leur partenaire de longue date : l’éditeur PixelHeart, afin d’obtenir les droits de Beyond the Ice Palace.
En fait, nous avons un accord avec le fondateur d'Elite concernant leur catalogue. Cependant, Elite ne développe plus de jeux et n'existe malheureusement plus en tant qu'entreprise. Seules les licences subsistent aujourd'hui. (...) Et nous devions choisir un de leurs jeux pour en faire une suite. Nous avons décidé de continuer l'histoire de BTIP. C'est la suite directe de l'histoire, on joue le même personnage mais plusieurs années après les évènements du premier épisode. Je laisse les joueurs découvrir, mais c'est une histoire de vengeance !
Et puis réaliser une suite, même celle d’un titre relativement obscur, possède aussi des avantages.
Économiquement, on s'appuie sur une licence avec une petite fanbase ; leur faire plaisir est très satisfaisant pour nous. Et sur le plan créatif, c'est toujours un défi de proposer quelque chose de nouveau, sans trahir les fans. On fait de notre mieux, je pense que pour BTIP2, nous avons trouvé un bon équilibre.
Julien Rocca, qui a découvert le titre original alors qu’il était jeune adolescent sur Amiga 500 (sa machine de coeur), est le premier à l’avouer : BTIP1 n’était pas un jeu facile ! Pourtant, il peut se terminer en moins de 10 minutes (!) pour peu que l’on ait une âme de speedrunner et que l’on connaisse le jeu par coeur. Autant dire que ce jeu de plates-formes / action cache derrière son extrême difficulté un contenu succinct, magnifié par le splendide thème musical composé par David Whittaker (Shadow of the Beast, Speedball, Dogs of War… que du lourd).

Avec un jeu original aussi court, Julien, Romain et le reste de l’équipe ont pu laisser libre cours à leur imagination pour concevoir cette suite.
Le jeu d'origine a ses fans, mais en l'état, il était difficile de repartir sur le même style de jeu. Pour nous, l'idée était de moderniser la formule et d'ouvrir l'univers du jeu. Nous avions une idée précise en tête : ne pas faire un Metroidvania ! Mais plutôt de se rapprocher d'un jeu comme Demon’s Crest, de Capcom, sur SNES. À savoir, un jeu d'action assez condensé, mais avec un peu d'exploration tout de même et des secrets disséminés partout. J'espère que les joueurs aimeront cette approche plus directe du level design.



Le mot est lâché : Metroidvania !
Si Beyond the Ice Palace 2 utilise quelques éléments inhérents à ce “mélange de genres” ultra populaire chez les développeurs indépendants, ici ils sont avant tout là pour donner un peu plus d’autonomie aux joueuses et joueurs.
On ne gagne pas de points d’expérience en tuant ses ennemis comme dans un Castlevania: Symphony of the Night, mais on trouve des cristaux qui permettent d’augmenter ses capacités. Le choix de ces dernières est le vôtre… On peut donc “habiller” son héros pour qu’il ressemble au personnage que l’on souhaite jouer (plus puissant, puis résistant ou plus agile), mais l’amplitude de son évolution a été pré-déterminée et limitée par les game designers.
Un autre élément clé du Metroidvania est l’exploration et la nécessité de revisiter les niveaux précédemment traversés à l’aune des compétences débloquées. La plus classique est bien entendu… le double saut ! Qui répond présent dans BTIP2 ! Pourtant, à l’exception d’un coffre ou deux, ce pouvoir est avant tout utilisé pour aller de l’avant, et répondre au level design des niveaux qui suivent son obtention. Le backtracking est minimal et optionnel.
Les niveaux eux-mêmes restent “condensés”, dans le sens où leur densité va de pair avec une taille réduite. Et ils s’enchaînent de manière relativement linéaire, même si un système de téléportation permet de revenir en arrière pour emprunter un embranchement débloqué. Ces derniers sont clairement identifiés sur la carte et servent en premier lieu à égailler notre progression.

Ainsi, comme le déclare avec emphase Julien Rocca, Beyond the Ice Palace 2 n’est pas un Metroidvania !
Mais pourquoi ce “désaveu” ? Trop de représentants du genre chez les indés ? Problème de scope (les mondes du Metroidvania étant souvent énormes) ?
Un peu de tout ce que tu évoques, mais aussi une certaine lassitude face aux jeux trop longs. Personnellement, j'ai plus de 40 ans et des enfants (comme beaucoup d'anciens joueurs de Beyond the Ice Palace), et je n'ai plus le temps de passer 35 heures sur un jeu… Eux non plus je pense ! Au-delà de ça, c'était surtout l'envie de proposer quelque chose de plus simple, de mettre le joueur à l'aise, comme dans des pantoufles… même si le jeu reste quand même assez difficile !
BTIP2 est donc bel et bien un descendant direct des action / platformer qui ont fait le succès de Capcom ou Konami dans les années 90.
On peut ainsi qualifier sa jouabilité de “délibérée”, dans le sens où le héros incarné est aussi lourd qu’un Belmont (Castlevania) ou un Arthur (Ghosts ’n Goblins), et nécessite donc précision et anticipation pour être correctement dirigé. Mais les contrôles ne sont pas non plus aussi rigides que dans Super Ghouls ’n Ghosts par exemple ! Il est tout à fait possible d’influer (légèrement) sur la position de son personnage lorsqu’il est dans les airs, ce qui permet de corriger sa trajectoire en plein saut.

Mais Beyond the Ice Palace 2 est définitivement exigeant, d’autant plus que son gameplay tourne entièrement autour d’une seule arme : des chaînes de prisonnier qui font office à la fois de fouet et de grappin.
Grâce à elles, on peut tout faire : s’accrocher à des anneaux ; arracher des éléments du décor ou les boucliers de certains ennemis ; activer des mécanismes…
Une certaine dextérité est donc nécessaire, surtout dans les derniers niveaux du jeu où les séquences de plates-formes nécessitent de se s'agripper, se balancer et se hisser sans répit, en tirant parti des diverses capacités de ses chaînes.

J'aime cette science du level design exigeant et confiné. Même si le jeu est assez vaste, nous avons essayé de marier une approche 16 bits du level design avec des cartes un peu plus grandes et modernes. Je ne pense pas que nous ayons atteint quelque chose de parfait - c'est toujours difficile d'être pleinement satisfait - mais nous avons réussi à produire un jeu amusant. Avec un peu plus de temps, nous aurions pu aller encore plus loin… Mais à un moment donné, il faut savoir lâcher prise et sortir le jeu !
J’avoue que la taille du jeu m’a agréablement surpris. Je m’attendais à un jeu plus court, dans la veine d’un Lords of Exile. Perso, il m’a fallu une dizaine d’heures pour le terminer, mais il est possible d’en venir à bout plus rapidement (4h env.) si on avance en ligne droite et que l’on ne s’agace pas sur un passage à la difficulté épicée !
La difficulté est un sujet délicat dans le jeu rétro ou néo-rétro… D’un côté il fait partie de l’ADN “historique” de ces titres, et de nombreux joueurs souhaitent cet aiguillon ; de l’autre il peut apparaître aujourd’hui comme “daté” et aliéner un public plus casual ou moins patient…
Et Story Bird a toujours été friand de challenge. Je me rappelle ainsi que Julien et Romain s’étaient eux-mêmes définis comme étant “un peu sadiques” en 2013, dans l’Extra Life consacré à Finding Teddy ! Mais ce goût pour les défis corsés a pu leur être reproché dans les critiques de leurs deux précédentes productions.
Je vais être transparent, les problèmes de difficulté sur nos précédents jeux sont le fruit d'un manque de QA (Quality Assurance), qui prend beaucoup de temps. Nos jeux sont catégorisés comme "indépendants", mais nous avons des contraintes de calendrier et de budget tout de même. On a fait de notre mieux, et on a malgré tout la volonté de faire des jeux difficiles. Cependant, nous avons lissé celle de BTIP2 pour proposer quelque chose de plus progressif. Il faut aussi prendre en compte que le jeu est plus long et donc, le début doit être un minimum plus accueillant.
La difficulté des derniers niveaux étant réhaussée par l’éloignement des points de sauvegarde, j’ai clairement pesté sur certains passages ! Mais Beyond the Ice Palace 2 est en effet plutôt cool avec nous, surtout comparé à la version de 1988 ou à ses inspirations 16-bit…
La qualité du pixel art de Beyond the Ice Palace 2 m’a rappelé une autre suite, réalisée des années après la mouture originelle dans un style 16/32-bit : le magnifique Shadow of the Ninja Reborn de Tengo Project !
Et on termine ce long article avec un petit mot sur le superbe pixel art du jeu, qui émule à mon sens la vibe Capcom, époque Super Nintendo !
Je me suis ainsi demandé si Julien, qui est le principal graphiste de Beyond the Ice Palace 2, a cherché à obtenir un “ressenti graphique” particulier, et s’il a expérimenté avec d’autres esthétiques avant de s’arrêter sur celle utilisée dans le jeu.
On a fait plein de tests, y compris des versions en 8 bits et même dans un style ZX Spectrum ! J’ai quelques mockups si tu veux, je te les mets en copie. Mais tu as visé juste ! Au final, j’ai cherché à me rapprocher de l’ambiance des jeux Capcom à l’époque de la SNES (Super Ghouls 'n Ghosts, Demon’s Crest, Magical Quest...), mais aussi de Quintet avec ActRaiser 2. Bien sûr, on est loin de leur génie, mais j’espère que les joueurs apprécieront la démarche !




J’ai passé un excellent moment avec Beyond the Ice Palace 2, qui est sorti cette semaine, en démat’ (20€) et en boîte (30€). Je sais que Julien et son équipe ont du se résoudre à couper 20% du jeu pour tenir les délais (le jeu ayant déjà été repoussé une fois en 2024), et qu’un patch devrait arriver prochainement pour améliorer l’expérience de jeu, avec par exemple un héros un poil plus rapide, quelques ajustements de LD et autres bugs corrigés !
Mais en l’état, mis à part quelques ralentissements sur Switch (surtout dans un niveau précis, en fin de jeu), un personnage que l’on peut juger un peu rigide (un coup à prendre), ou un boss final trop vite expédié, BTIP2 est une indéniable réussite.
Un grand merci à Yao pour m’avoir appris l’existence de ce jeu dans les commentaires de ma précédente newsletter, et bien entendu à Julien Rocca pour avoir pris le temps de répondre à mes questions sur plusieurs jours !
On croise les doigts pour que le jeu rencontre un succès suffisant afin de justifier un futur DLC reprenant les éléments coupés, et n’hésitez pas à partager vos coups de coeur néo-rétro dans les commentaires !
PS: Toutes les captures d’écran et vidéos illustrant cet article ont été saisies par mes soins à partir d’une version Switch de Beyond the Ice Palace 2 fournie par son développeur. J’ai également capturé le screenshot de Demon’s Crest sur la chaîne Super Nintendo accessible via un abonnement Switch Online. Le visuel d’intro, créé par Junki Sakuraba, est tiré du site officiel du jeu ; le screen C64 du premier BTIP du site MobyGames ; et les images de Finding Teddy, Golden Force et Ganryu 2: Hakuma Kojiro de leurs pages Steam ou boutiques Nintendo respectives. Un immense merci à Julien Rocca du studio Story Bird, pour sa disponibilité et les mockups du jeu !
Bah de rien mais rendons ce qui appartient à César. J’ai découvert l’existence de ce jeu via un youtubeur spé Retro : DGJX.
https://youtu.be/ZnZKA8OUrJc?si=zSe5fE7w6XdHQzQr
Étant en recherche de jeu plus proche de l’expérience 16/32bits ds le rendu, ça a fait tilt ds ma tête.
Me suis demandé si toi l’expert de pépite indé, étais-tu au courant ? 😛
En tout cas, la classe quand même. Arriver à choper un des créateur du jeu, t’assures.
Superbe papier, ça rejoint l’avis de DG cité plus haut (pourtant il avait été déçu par Ninja Reborn et avait aime moyennement Ganryu 2.
Bref, ça donne sacrément envie par contre je me demande si ce n’est pas plus pertinent d’attendre la version finie avec les patchs ?
Je pense aussi à Aggelos (inspiration wonderboy the dragon’s trap) avec Story Bird aussi dans l’histoire…je ne sais pas à quel point… mais à l’époque j’avais beaucoup aimé ce jeu