Le plus cool de tous les personnages de jeu vidéo ?
Castlevania: Symphony of the Night est un classique absolu. Mais c’est aussi le tapis rouge (sang ?) foulé d’un pas léger par Alucard, le plus cool des persos de JV !

L’écran défile à toute vitesse à travers les arbres d’une forêt touffue, dans un long panoramique horizontal, lorsqu’il apparaît soudainement…
Sa vitesse est telle que sa silhouette se découpe pour laisser derrière lui des traces évanescentes, comme s’il distançait son ombre. Sa longue chevelure grise épouse les mouvements de sa cape flottant au vent. A ces hypnotiques ondulations s’ajoute le rouge éclatant de sa doublure, qui attire immédiatement l’oeil.
Alucard s’élance d’un bond sur le pont levis qui se lève devant lui, dans une dérisoire tentative de lui interdire le passage, et pénétre dans l’enceinte du château de Dracula… son père maudit. Et c’est à ce moment qu’il stoppe sa course échevelée, pour vous passer la main.
Une vidéo capturée sur PS5 à partir de Castlevania Requiem, sorti en 2018 sur PS4. Compilation qui propose de jouer à Rondo of Blood (PC Engine / 1993) et sa suite directe Symphony of the Night (PlayStation / 1997), que je n’ai pas pu m’empêcher de finir une fois de plus après l’avoir récemment relancé !
Vous êtes désormais au contrôle du plus cool des personnages de jeu vidéo, et nous allons voir pourquoi dans les paragraphes qui suivent.
N’hésitez pas à partager VOS incarnations de la cool-attitude vidéoludique dans les commentaires ! 😉
Alucard n’a pas toujours été l’incarnation du beau et mystérieux héros ténébreux si cher au Shōjo manga. Il est en effet apparu sous une forme beaucoup moins glamour dans le Castlevania III: Dracula’s Curse (1989) de la NES, où il prenait l’aspect d’un vampire pixelisé aux cheveux noirs gominés, plus proche de l’inquiétant Dracula joué par Bela Lugosi1.
Et plus généralement, comme le souligne d’emblée Anna Kipnis2 dans une interview menée manette en mains de Koji Igarashi (co-directeur de Castlevania: SOTN) : jusqu’à maintenant, la série Castlevania proposait plutôt de jouer des montagnes de muscles ! Ce qui était d’ailleurs l’un des “tropes” du jeu vidéo des années 80/90, alors obnubilé par le fantasme du héros de films d’action bodybuildé, incarné à la perfection par le couple Schwarzenegger / Stallone.

Mais l’une des principales nouveautés de ce nouveau Castlevania sur PlayStation était de jouer un (demi-)vampire (un dhampir !), et non plus un membre de la famille Belmont, spécialisée dans la traque des vampires.
Koji Igarashi (également connu sous son nom de scène : Iga) a donc décidé de façonner un personnage au look radicalement différent, plus proche du délicat et non moins dangereux Vampire Hunter D, dessiné par le célèbre Yoshitaka Amano (Final Fantasy, etc.).

Comme il l’explique dans l’interview donnée à Anna Kipnis, pour trouver la perle rare capable de réinventer le héros de Castlevania, Iga s’est rendu dans une librairie afin de consulter les illustrations de nombreux romans (qui appartenaient certainement aux genres horreur et gothique). Il sélectionnera finalement deux artistes, dont une certaine Ayami Kojima qui allait marquer la série de son empreinte pour totalement redéfinir son identité visuelle, au même titre que Iga allait redéfinir son gameplay.
En plus du character design de tous les personnages, repris dans les portraits du jeu, elle a aussi peint l’illustration de la jaquette japonaise et française de Castlevania: SOTN. Parce que bien sûr, les US ont fait un “autre choix”, pour proposer une jaquette absolument hilarante de nullité, d’une sidérante fadeur… Jugez par vous-même ! 👇



Plus qu’une illustratrice, je pense que l’on peut considérer Ayami Kojima comme la directrice artistique du jeu, tant son travail a influencé l’équipe et ses graphistes. Son approche romantique du gothique vampirique s’accorde à merveille avec la réécriture des personnages clés de la série.
Dracula par exemple, sans doute influencé par le film de Coppola sorti en 1992, n’est plus un simple prédateur sanguinaire mais un personnage tragique, rendu fou par la mort brutale de son épouse humaine, Lisa, accusée de sorcellerie et exécutée. Le décès de Lisa a également marqué la scission entre Dracula et son fils endeuillé, qui porte son nom à l’envers : Alucard.




On découvre ces histoires tragiques à travers les descriptions des personnages dans le manuel du jeu, mais aussi les quelques pages du manga promotionnel dessiné par Ayami Kojima. Cependant, il ne serait sans doute pas exagéré d’affirmer que la direction artistique générale orchestrée par Mme Kojima est aussi éloquente que les lignes écrites par Iga.
Le dernier point concernant les destins tragiques de ces personnages touche les rares cinématiques in game. On retiendra avant tout cette scène terrible où une succube prend l’apparence de la mère assassinée d’Alucard quelques instants avant son exécution. Dans cette séquence d’une grande cruauté, Alucard fait montre d’une rare sauvagerie sans se départir de son élégance naturelle, pour réellement illustrer la séduisante dualité de ce personnage unique.

Mais pour réellement comprendre pourquoi Alucard est le plus cool des personnages de jeu vidéo, il faut jouer à Castlevania: Symphony of the Night.
La série Konami avait jusque-là été définie par la rigidité du contrôle de son personnage, incapable de changer sa trajectoire en plein saut ou de grimper des escaliers comme un être humain normal. Alors autant vous dire que prendre le contrôle d’Alucard est un sacré coup de fouet ! 😬
Il s’agit ici d’aborder le personnage à travers le prisme unique de son média : l’interactivité. Diriger Alucard est un plaisir absolu… Il glisse à l’écran avec la souplesse d’un elfe et attaque avec la férocité d’un nain guerrier.

En s’éloignant de la linéarité qui définissait la série, tout en l’infusant d’éléments propres aux jeux de rôle (gain de niveau, gestion d’inventaire), bref en brisant les règles qui sous-tendaient jusque-là la série, Iga, plus qu’une suite, a tout simplement créé un nouveau genre hybride auquel on a vite accolé le mot-valise de Metroidvania.
Et cette réinvention de la série a boosté les capacités de son héros de manière drastique. Non content de se mouvoir avec une souplesse animale, il peut littéralement adopter leur apparence en se transformant en chauve-souris ou en loup. Et ces incarnations peuvent elles-mêmes voir leurs capacités augmentées pour traverser les environnements du jeu à une vitesse surnaturelle !
Les transformations sont des pouvoirs à débloquer et on peut les améliorer en trouvant de nouvelles reliques ou sorts augmentant leurs compétences.
La nouvelle dimension RPG du jeu a également démultiplié les armes et pouvoirs mis à la disposition de son héros.
Et cet équipement pléthorique s’accompagne de secrets allant d’une attaque spéciale cachée, à des combinaisons permettant de lancer des invocations.
L’association d’armes spécifiques avec les différents boucliers du jeu peut ainsi produire l’apparition d’entités magiques comme des guerriers, dieux ou déesses capables d’aider Alucard un court instant ou de lui octroyer diverses protections temporaires.



On a ainsi la sensation qu’Alucard possède une connaissance intime de ces armes parfois surnaturelles, appartenant à des époques et mythologies différentes. Ce savoir souligne son immortalité, mais aussi une érudition historique et ésotérique qui achève de conférer à ce personnage une aura toute particulière le distinguant des “brutes” que l’on incarnait habituellement.
Ces armes s’obtiennent à force d’exploration mais aussi de chance, puisque certaines d’entre elles, parmi les plus puissantes, ne possèdent qu’une très faible chance d’être lâchées par un ennemi vaincu (les fameux “rare drops”). Mais une fois obtenues, elles possèdent la capacité de briser l’équilibre du jeu et donner un avantage ridicule à notre héros. Équipé d’une arme spéciale et du bouclier portant son (vrai) nom, Alucard peut éliminer les derniers boss du jeu et les ennemis les plus puissants en l’espace de quelques secondes.
L’une des plus aberrantes combinaisons d’armes du jeu, qui permet à Alucard de littéralement marcher sur ses ennemis !
Si la “power fantasy” fait partie de l’ADN et, oserais-je dire, de l’attrait d’un bon nombre de jeux vidéo, elle est ici magnifiée par le design, le background et la jouabilité du personnage principal pour faire de Castlevania: SOTN l’une des expériences de jeu les plus satisfaisantes qui soient. Une expérience qui peut basculer dans le “cheese” le plus total, pour nous donner le sentiment de tricher ! Et tout est fait dans le jeu pour renforcer cette sensation de puissance désinhibée !
Certains des familiers qui viennent combattre à nos côtés, comme une épée vivante ou un démon, doutent au départ de notre légitimité. L’épée déclame ainsi à sa première invocation : “Avez-vous le pouvoir de me manier ?” pour finalement affirmer lorsqu’elle atteint le niveau 50 : “Vous avez gagné en puissance mon Maître. La mienne est vôtre.”
Notre ego est ainsi sans cesse flatté, ce qui contribue bien sûr à faire d’Alucard un personnage plutôt cool à incarner !
Lorsque ces flatteries ne sont pas incroyablement directes, elles passent par des détails comme le fait qu’Alucard peut chuter de plusieurs écrans sans subir le moindre dégât. Pourtant, la chute était jusque-là synonyme de mort immédiate dans la série Castlevania !
Tous ces détails justement, qu’ils touchent le gameplay de Symphony of the Night, les secrets dissimulés dans les murs du Château, ou les innombrables possibiltés offertes par son arsenal… Ce soucis du détail, donc, est l’un des éléments qui contribuent à faire d’Alucard le plus かっこいい (kakkoii) des héros de jeu vidéo, pour reprendre l’expression utilisée par Koji Igarashi. Ce mot, très commun au Japon, est utilisé pour déclamer son admiration et peut se traduire par… il ou elle est “cool”.
Et si Alucard est cool, c’est parce qu’il a été le véhicule à travers lequel une petite équipe créative d’une dizaine de personnes a tout donné sur une période de presque 3 ans. Iga, toujours dans l’interview donnée à Anna Kipnis, ne tarit pas d’éloges sur son ancienne équipe et sa volonté d’aller bien au-delà du cahier des charges de base pour truffer le jeu de détails qui contribueront grandement au statut de jeu culte de Symphony of the Night.
Je pense que cette philosophie de “on met tout (toutes nos idées) dedans” donne une bonne image de l’équipe. On se disait souvent “ce n’est pas super cohérent, mais c’est cool, alors on le fait !”. C’est exactement le type d’équipe que l’on avait, prête à accorder beaucoup d’attention à des détails secondaires…
Je pourrais écrire longtemps sur Symphony of the Night, sa musique, ses décors, son pixel art, ses animations, l’utilisation parcimonieuse et élégante de la 3D, son level design, son lore, sa philosophie du secret et la confiance qu’il accorde à ses joueuses et joueurs… Mais ce qui le définit sans doute le mieux, c’est l’indubitable passion qui a nourrie les femmes et les hommes qui ont contribué(e)s à sa création.
Et si Alucard est (incontestablement) le plus cool des personnages de jeu vidéo, c’est avant tout grâce aux efforts de cette formidable équipe !

PS: Tous les screenshots et toutes les vidéos du jeu ont été capturées par mes soins sur PlayStation 5 à partir d’une version commerciale de Castlevania Requiem: Symphony of the Night & Rondo of Blood. La jaquette américaine de Castlevania: SOTN provient du site Moby Games. Le visuel originel de Castlevania est issu du site officiel Nintendo. Deux illustrations scannées de Ayami Kojima sont tirées du site Castlevania Neo-Romance. Enfin, de nombreuses infos et déclarations sont issues de l’interview de Koji Igarashi réalisée par Anna Kipnis et les équipes de Double Fine sur leur chaîne YouTube.
Bela Lugosi est l’acteur qui a joué Dracula pour Universal dans les années 30, bien avant que Christopher Lee ne prenne le relais à la fin des années 50 pour la Hammer.
Anna Kipnis est une ancienne programmeuse Double Fine (où elle occupait le poste de “Senior Gameplay Programmer”). Elle a travaillé sur des jeux comme Costume Quest, Brütal Legend ou encore Psychonauts. Et elle a joué à Castlevania: Symphony of the Night en 2015 en compagnie de son principal architecte, Koji Igarashi, pour un “Dev’s Play Special” de la chaîne YouTube Double Fine Productions. Anna Kipnis travaille aujourd’hui chez Google.
Un chef d'œuvre. Comme je l'écrivais l'autre jour sur Mastodon, je suis sidéré par son absence sur Switch, tant le jeu serait parfait pour cette plateforme... Je n'ai rien contre les ressorties des jeux GBA/DS (certains sont excellents), mais j'espère toujours un éventuel portage de la compilation Dracula X Chronicles (le remake 2.5D de Rondo of Blood + l'original + SotN). Mais il faudrait pour ça que le vampire Konami se réveille de sa léthargie sépulcrale...
Pour les fans d'Ayami Kojima, je recommande son très bel artbook, Santa Lilio Sangre.
Je pensais que l’article parlerait de cool spot… tant pis