Le (J-)RPG fou fou fou
Final Fantasy VII Rebirth est un jeu rempli d’autruches multicolores, de kaijus vénères, d’oursons blancs volants, d’imposteurs en pleine crise existentielle, et de grosses billes magiques.
Autrement dit, le dernier volet de la franchise Square Enix est l’incarnation même du jeu de rôle “à la japonaise”, du “J” de J-RPG…
Soit un jeu mêlant allègrement des éléments de pure fantaisie, parfois à la limite du burlesque, et un sens aigu de la tragédie que l’on pourrait croire hérité du théâtre Noh.
Il serait ainsi aisé de poursuivre l’énumération haute en couleur entamée dans le texte d’introduction de cet article…
La suite du remake de Final Fantasy VII (un classique du J-RPG sorti sur PlayStation en 97) abrite par exemple au sein de son monde des cactus capables de se déplacer à la vitesse de l’éclair et de lancer des milliers d’épines alors qu’ils sont TOUS littéralement figés dans une pause improbable : la bouche en coeur, en équilibre sur une jambe et les bras pliés dans des directions opposées !
Si cela n’était pas suffisamment étrange pour vous, certains Pampas portent une moustache à la Dali ou la houpette blonde de Tintin !
Ces cactus anthropomorphes ne dépareilleraient pas dans un Pokémon ou tout autre jeu rempli de monstres sympathiques, à même de faire rire les enfants et sourire - au moins de manière incrédule - le plus coincé des adultes. Mais ce n’est pas le cas. Ces sympathiques “monstres” emblématiques de la franchise Final Fantasy évoluent ici sur une planète au bord du désastre écologique.
Un monde ravagé par la surexploitation de ses ressources, et dont une grosse partie de la population survit dans d’immenses taudis. La Shinra Electric Power Company, une compagnie qui fait également office de gouvernement, saigne littéralement la planète de sa force vitale pour alimenter ses industries et imposer son joug sur les cités qu’elle contrôle.
Non, le monde de Final Fantasy VII n’est pas joli joli et l’apparition d’un groupe de Pampas, d’une autruche verte (Chocobo) ou d’un ourson blanc volant (Mog) agit un peu comme une soupape de sûreté.
Ce grand écart permanent entre grandiloquence non sensique et drame humain à prendre au premier des degrés est la marque de fabrique de ce Final Fantasy VII Rebirth. Cette vertigineuse alternance entre la loufoquerie de certaines situations et un scénario on ne peut plus sérieux, est l’assurance d’une aventure aux émotions contrastées.
Final Fantasy VII, la version de 97 mais aussi ses “remakes”, met en scène des personnages dont la vie a déraillé suite aux exactions de la Shinra. Ce sont des personnages abîmés par leur passé et la perte d’un être cher. Ils sont les actrices et les acteurs d’une véritable tragédie, dans le sens théâtral du terme, destinée à provoquer chez nous une catharsis.
Ce ton assez pessimiste est typique de nombreuses oeuvres développées dans les années 90, mettant en scène des mondes / sociétés en déliquescence.
Citons par exemple la série animée Neon Genesis Evangelion, le roman Battle Royale, le manga Amer Béton (Tekkonkinkreet) ou encore le jeu de rôle Xenogears… Des oeuvres que l’on peut corréler à l’explosion de la bulle économique japonaise et au début de la “décennie perdue”. Une période de doute et de remise en question d’une société obsédée par le profit à tout prix, qui allait noircir l'appréhension du futur de toute une génération.
Cette crise existentielle s’est logiquement exprimée dans les créations culturelles de l’époque, dont le Final Fantasy VII de 1997 constitue l’un des incontestables joyaux.
Et pourtant, dans ce monde de souffrance et de doutes, où une minorité tente de résister et survivre face à l’inévitabilité de la catastrophe à venir, alors même que la planète prend littéralement les Armes pour se défendre… Cactus, Chocobos et Mog imposent leur présence pour finalement gagner la guerre du ton.
FF7 Rebirth est l’un des J-RPG les plus tristes auxquels il m’ait été donné de jouer. Et j’ai rarement autant ri en y jouant.
Le fait que ces deux phrases puissent cohabiter sans se regarder en biais d’un air mesquin, résume assez bien l’une des caractéristiques clés du J-RPG : c’est avant tout la “fantaisie” qui prime, aussi sérieux le propos soit-il.
Ce constat peut sans doute s’expliquer par le fait que le J-RPG soit fortement influencé par les anime et les mangas, qui eux-aussi n’hésitent pas à jouer du chaud et du froid dans les émotions créées. Même un classique aussi “lourd”, cru et chargé de pathos que la série animée Neon Genesis Evangelion ne résiste pas à quelques moments de légèreté et à la présence de Pen Pen, un pingouin domestique porté sur la binouze !
Des séries animées récentes comme Frieren ou Gloutons & Dragons alternent elles-aussi frivolité et profondeur, que ce soit pour diluer la tension ou au contraire donner du corps à des personnages qu’il serait facile de juger puérils.
Final Fantasy VII Rebirth est donc l’incarnation parfaite du J-RPG ! Dans le sens où il parvient à élever cet équilibre délicat entre humour et émotion au rang d'art.
J’adore par exemple la séquence où Cloud - portrait craché du héros torturé et taciturne (jusqu’à en devenir une véritable tête à claques) - doit se déguiser en soldat et se retrouve à choisir la “choré”, mais aussi à entraîner tout un peloton de soldats Shinra pour une parade militaire ! Durant cette séquence, le masque finit par tomber et on le voit se prendre au jeu, pour devenir le plus motivé des cheerleaders, au point d’en oublier sa mission d’infiltration !
Il sera aussi amené, entre deux crises existentielles (!), à faire du “contre-la-montre” accroché à l’aileron d’un dauphin, à jouer aux cartes avec la plus improbable galerie de joueurs imaginable, ou à planner à quelques dizaines de mètre du sol, lui et son équipe, en utilisant des Chocobos comme des jetpacks !
Ce qui donne lieu à des séquences d’exploration délicieusement surréalistes !
Que dire de la séquence où une partie de l’équipe se retrouve transformée en grenouilles et doit exécuter des sauts au-dessus de rouages en mouvement, comme s’ils étaient soudainement projetés dans une émission de variété à la Intervilles ou le jeu en ligne Fall Guys ?!
Ces petits moments rendent forcément les héros de ce FF7 Rebirth encore plus attachants et humains. Et étonnamment, lorsque ce grain de folie est absent ou fortement étouffé, comme ce fut le cas pour Final Fantasy XVI par exemple - le premier jeu de la série depuis FF6 à ne pas inclure de Pampas (shame !) - c’est un peu comme si ce RPG renonçait à son “J”.
Final Fantasy VII Rebirth ne renie par le goût pour l’absurde du jeu original et de la franchise en générale. Bien au contraire, ce J-RPG définitif en rajoute pour nous proposer la plus débridée des “fantaisies”.
Un jeu… fou fou fou (!) qui vous fera autant rire que pleurer.
PS : Toutes les captures illustrant cet article ont été réalisées par mes soins à partir d’une version commerciale du jeu Final Fantasy VII Rebirth sur PlayStation 5. L’image de Pen Pen provient du compte Twitter japonais Eva Bible, dédié à la série Neon Genesis Evangelion.
Qu’elle est mignonne cette image de Mog :) Kupo !
Si on regarde un peu tous les "J-RPG" new gen sortis récemment ( FFXVI, Tales of Arise, et même Xenoblade en fait), aucun n'avait autant réussi que FFVII Rebirth a me faire ressentir la folie des J-RPG de mon enfance. FFVII Rebirth malgré son statut de remake est un vrai J-RPG a l'ancienne qui a réussi a se moderniser. Je dis chapeau franchement.