Gloutons & Dragons : tout est bon dans le donjon !
La parfaite illustration de l’obsession des japonais pour la bouffe ! Après Frieren, un nouvel anime prend à contre-pied le genre heroic-fantasy pour proposer cette fois une approche plus… gourmande.
De Son Goku empilant les assiettes vides à la vitesse de l’éclair après les avoir goulûment nettoyées, à Link faisant frire sa dernière sélection d’ingrédients, en passant par l’un des innombrables “cooking show” de Netflix, nous avons toutes et tous été exposé-e-s à l’insatiable appétit du Japon pour sa propre cuisine.
Link prépare un petit plat à partir de l’une des nombreuses recettes que l’on peut mémoriser en jouant aux deux derniers The Legend of Zelda.
Avant même de venir habiter à Tokyo, mon exposition occasionnelle à la télé japonaise m’avait déjà mis devant le fait accompli : les Japonais sont obsédés par la nourriture ! Peut être même davantage que les Français !
Combien de fois ai-je été harponné par ces émissions de variété où les invités comme les chroniqueurs se retrouvent à s’empiffrer ? Que ce soit pour goûter des plats régionaux dans une gargotte familiale, ou afin de promouvoir un nouveau produit sur un plateau TV, ces séquences se terminent invariablement par des étoiles dans les yeux et un tonitruant “umai !!” (que l’on peut traduire par : “c’est bon !!”).
Alors évidemment les séries TV, qu’elles soient animées ou non, n’échappent pas à cette emprise du goût. Midnight Diner: Tokyo Stories se déroule dans un izakaya (un bar) à Shinjuku dont le propriétaire résout les tourments émotionnels de sa clientèle nocturne en cuisinant leurs plats préférés ; Kantaro: The Sweet Tooth Salaryman suit les escapades d’un vendeur de livres à l’austérité de façade qui utilise son boulot pour déguster en catimini des desserts le menant systématiquement à un orgasme culinaire (!) ; tandis que Samurai Gourmet nous permet d’assister à la transformation d’un papi récemment parti à la retraite, qui renoue avec son “samouraï intérieur” en prenant enfin le temps de… manger et boire des bières à n’importe quelle heure de la journée !
Dans toutes ces séries, et d’autres plus récentes comme What Did You Eat Yesterday? ou Makanai : Dans la cuisine des maiko, la nourriture joue toujours un rôle central. Mais ne vous-y trompez pas ! Malgré les pitchs variés et accrocheurs de leurs histoires, le vrai sujet est toujours l’amour de la bonne bouffe !
Alors évidemment, l’animation n’est pas en reste, comme nous allons le voir avec ce nouvel anime, Gloutons & Dragons, adapté du manga de Ryōko Kui comportant 14 volumes publiés de 2014 à 2023 (disponibles en français chez Casterman).
Gloutons & Dragons est la savoureuse traduction française du titre japonais ダンジョン飯 (Danjon Meshi), qui signifie littéralement “le plat du donjon”. La version anglaise, elle, ne cherche pas le bon jeu de mots à la française pour un plus littéral : “Delicious in Dungeon”.
L’histoire de cette nouvelle série animée débute tout ce qu’il y a de plus normalement, avant de chavirer dans un surréalisme gastronomique en équilibre culinaire entre Tolkien et Rabelais !
Un groupe d’aventuriers typiques de n’importe quel film, livre ou jeu inspiré de Donjons & Dragons affronte un énorme dragon rouge. Sauf que rien ne se passe comme prévu…
Affamés après avoir épuisé leurs réserves de nourriture en ayant erré trop longtemps dans le donjon, les aventuriers se prennent une mémorable déculottée et ne doivent leur salut qu’au sort d’évasion lancé par Falin, la soeur du leader, alors même qu’elle est… avalée par le dragon !
A la surface, ce qui reste du groupe tente de se préparer pour une nouvelle descente afin de secourir la magicienne qui a sacrifié sa vie pour eux. “Ce qui reste du groupe”, car ils ne sont plus que trois : Laios, le chevalier et frère de Falin ; Marcille, une demi-elfe magicienne ; et Chilchuck, un hobbit (appelé Half-Foot dans la série) spécialisé dans les pièges en tout genre... Les autres ont préféré déguerpir pour rejoindre une autre bande d’aventuriers. Car le groupe est fauché, ayant laissé derrière eux tout leur équipement.
C’est ainsi que Laios décide d’économiser sur la nourriture et d’expérimenter en cuisinant… des monstres !
On comprend rapidement que l’idée de boulotter du monstre trotte depuis longtemps dans la tête du chevalier Laios ! Au grand dam des deux autres, quelque peu horrifiés par la proposition !
Car manger du monstre, sans être tabou, n’est pas courant dans ce monde, et même jugé dangereux. Ce qui explique les premiers essais désastreux de Laios avant que le groupe ne soit rejoint par le nain gourmet Senshi, dont la passion est la cuisine à base de monstres !
Ce sont sur ces bases, aussi originales qu’improbables, que démarre Gloutons & Dragons, dont la diffusion a débuté sur Netflix en ce début d’année. Seulement 6 épisodes ont pour le moment été diffusés !
Les ressorts narratifs de la série sont avant tout comiques, même si elle comporte de nombreuses séquences d’action lorsque le groupe affronte un nouvel ennemi avant de systématiquement tenter d’en faire son plat principal. La dynamique entre le désir (maladif ?) d’expérimentation de Laios, la défiance de Marcille, et le jusqu’au-boutisme culinaire de Senshi fait de cette série un bonheur mêlé de stupeur à regarder.
Et lorsque l’on sait qu’elle est produite par le studio Trigger, connu pour la qualité et la (souvent) furieuse créativité de ses séries, on ne s’étonnera pas de la qualité du résultat. Même si son approche globale reste beaucoup plus “sage” visuellement que d’autres oeuvres du studio telles que Kill la Kill ou Cyberpunk: Edgerunners.
Là où Gloutons & Dragons se démarque, c’est dans son approche du genre heroic-fantasy et la manière dont elle laisse l’incroyable gourmandise japonaise s’infiltrer et en pervertir le récit.
N’ayant pas lu les manga, il m’est difficile de savoir si la série va tenir sur la longueur, tant l’équilibre entre comédie et… “monster cooking” semble difficile à maintenir sur le long terme. Mais le fait que cet univers traite le donjon comme un véritable écosystème et en analyse l’équilibre avec une indéniable finesse laisse espérer de nouvelles surprises.
Comme Senshi le dit lui-même, le donjon est comme un jardin ! Et les créatures qui y vivent, aussi peu appétissantes puissent-elles être (je ne parle pas pour Laios), ne sont finalement là que pour souligner l’appétit des Japonais pour l’expérimentation culinaire et la fusion des genres ! Après tout, combien de fois ai-je été déguster (?) des gâteaux et autres plats inspirés par des jeux vidéo depuis que je vis à Tokyo !
Dragon Quest, Final Fantasy, Gegege no Kitaro, Kirby, Mon Voisin Totoro… Dès qu’une franchise est un peu populaire ou cartonne, il n’est pas rare de voir des cafés / restaurants éphémères ouvrir leurs portes pour quelques semaines ! On se retrouve alors avec des plats que l’on pourrait malicieusement qualifier de “monstrueux” où un boss de Dragon Quest “dresse” une assiette remplie de tranches de viande !
Et bien évidemment, Gloutons & Dragons a fait l’objet d’une telle initiative avec l'ouverture d’un “pop-up café” du 18 au 21 janvier à Shibuya !
Je pourrais parler longtemps de l’obsession des Japonais pour la nourriture, que l’on peut aussi déceler dans les long-métrages animés de Makoto Shinkai et Hayao Miyazaki, ou 90% des jeux de rôle japonais !
Et en vivant au Japon, il est facile de comprendre la passion de ces aventuriers gloutons qui transforment l’exploration de leur donjon en une aventure gastronomique ! La nourriture, ici, s’apprécie dans toute sa crudité. Comme le dis si bien Roland Barthes dans L’Empire des Signes :
La Crudité, on le sait, est la divinité tutélaire de la nourriture japonaise : tout lui est dédié, et si la cuisine japonaise se fait toujours devant celui qui va manger (marque fondamentale de cette cuisine), c’est que peut être il importe de consacrer par le spectacle la mort de ce qu’on honore.
PS: les images de Gloutons & Dragons illustrant cet article sont issues du compte X (Twitter) japonais et du site Internet officiel de la série. La couverture du tome 4 de l’adaptation française du manga vient du site officiel des éditions casterman. La vidéo de Link en mode cuistot a été capturée par mes soins à partir d’une version commerciale de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Enfin, l’image du manga Kimetsu no Yaiba (Demon Slayer) est tirée du site Kimetsu no Japanese, et celle de la série Samourai Gourmet du site Eater.
Je suis ultra fan du manga (et forcément j'attendais l'adaptation animée avec impatience). C'est vraiment un de mes mangas favoris de ces dernières années. Hâte d'avoir la fin de l'histoire (la publication française en est au 12e tome).
Je te rassure : comme toi, je me demandais si le concept tiendrait la distance... Mais heureusement le "gimmick" de la gastronomie-en-donjon n'empêche pas la mangaka, en vraie cordon bleu, de mitonner à petit feu une passionnante et surprenante histoire de fantasy ! Bref, elle nous offre un repas équilibré à la fois drôle, gourmant, épique et malin :) "C'est croquant, y a de l'engagement" comme dirait l'autre.
Petit détail additionnel : les musiques de l'anime sont composées par le chef étoilé Yasunori Mitsuda, a.k.a. monsieur Chrono Trigger/Chrono Cross/Xenogears, etc. Un délice :p
Ce qui est drôle aussi c’est la volonté d’avoir des plats au allures « classiques »
En tout cas la série est très drôle et l’animation magnifique !