Ghost Trick: Détective fantôme
Si vous cherchez un jeu d’aventure avec une direction artistique à réveiller les morts et un concept pas piqué des vers, il est sorti en 2010 sur Nintendo DS… Et revient aujourd’hui parmi les vivants!
Ghost Trick appartient à cette délicieuse catégorie de jeux japonais totalement inclassables. Des œuvres aux concepts hybrides, aux univers singuliers et aux directions artistiques uniques, qui ne cherchent en aucune façon à dissimuler ou justifier leur folie, mais la porte au contraire à bout de bras tel un étendard. Des jeux qui brillent par leur panache et fédèrent autour d’eux des communautés de fans engagés, à défaut d’un large public, le succès commercial étant rarement au rendez-vous au moment de leur sortie. Des titres comme Katamari Damacy, WarioWare, Muscle March, Rez, le Black Bird de Onion Games, ou encore Osu! Tatakae! Ōendan… Un club de jeux cultes, que Ghost Trick a rejoint en 2010.
La version Nintendo DS du jeu, sortie début 2011 en France, profitait pleinement du stylet de la console et de son second écran, qui affichait les objets que l’on “possédait”.
Sorti sur Nintendo DS, Ghost Trick a fait l’objet d’un remaster au début de l’été, et est donc dès à présent disponible sur PC, Switch, PlayStation et Xbox. Nous reviendrons plus tard sur les ajouts de cette mise à jour, qui tourne tout de même sur le RE Engine de Capcom, le moteur utilisé par Resident Evil Village et Street Fighter 6 ! Mais concentrons-nous d’abord sur le jeu. On y incarne un étrange personnage vêtu d’un costume rouge et de lunettes noires, affublé d’une coupe de cheveux insensée, en forme de cône. Oui, oui, comme un cône de signalisation routière, mais jaune… blond quoi. A l’image de son look, ce personnage est un peu spécial. Une rareté parmi les héros de jeux vidéo pourrait-on même dire !
Puisqu’il est mort…
On commence cette aventure dans une décharge publique où l’on assiste, impuissant, à l’assassinat imminent d’une jeune femme en ciré jaune. Et notre cadavre trône au beau milieu de cette scène dramatique ! Tandis que l’on se lamente sur notre incapacité à intervenir, une voix résonne soudain dans notre tête pour interrompre ce monologue interne et nous introduire au monde fantôme. Une dimension parallèle, où le temps se fige et nous permet de déplacer notre âme d’objet en objet, pour peu que ces derniers soient à distance raisonnable et équipés d’un “noyau”. C’est ainsi que l’on découvre que l’on n’est pas si impuissant que cela finalement. En possédant certains objets, il est possible d’interagir avec eux. Notre première action, toujours sur les conseils de cette mystérieuse voix d’outre-tombe, est de faire sauter l’arme des mains de l’assassin en prenant possession d’une barrière !
Un pitch intriguant non ? Cet article étant en mode “zéro spoil”, nous n’en dirons pas plus sur l’intrigue de Ghost Trick, sinon qu’elle se déroule en temps réel, l’espace d’une nuit. L’histoire se dévore comme une série télé, puisqu’elle est structurée en épisodes - appelés Chapitres dans le jeu - avec de petits récapitulatifs au début de chacun d’entre eux. Mais il est bien difficile de ne pas “binger” Ghost Trick, tant on a envie d’en savoir plus sur Sissel, le détective fantôme, et de découvrir petit à petit, en même temps que lui, l’étendue de ses pouvoirs. Après tout, l’un d’eux lui permet tout de même de revenir 4 minutes avant la mort d’un personnage pour tenter de lui sauver la vie !
Vous avez donc une nuit, et une nuit seulement, pour découvrir qui vous êtes réellement et pourquoi on vous a tué. Car votre nouvelle vie en tant qu’esprit possède deux inconvénients majeurs : vous avez perdu la mémoire et vous disparaîtrez aux premières lueurs de l’aube ! Cette nuit de sursis est l’occasion de rencontrer une galerie de personnages uniques, dont on apprendra à connaître les secrets et motivations. L’une des grandes forces de Ghost Trick, au-delà de l’originalité de son concept, est en effet son scénario, étayé de dialogues formidables, très bien retranscrits dans leur traduction française. Attachants et hauts en couleur, les protagonistes qui gravitent autour du détective fantôme soufflent une brise d’une fraîcheur bienvenue dans le jeu vidéo, un média trop souvent timide quand il s’agit d’écrire ses personnages.
Si Ghost Trick est si unique, c’est qu’il est signé par un auteur, un vrai. Son nom : Shu Takumi. Pour reprendre la présentation de Anne Ferrero dans sa critique du jeu diffusée sur Nolife début 2011, Shu Takumi “a débuté en même temps que Mikami Shinji sur les Dino Crisis et s’est rapidement retrouvé à la tête d’un nouveau projet, un jeu d’aventure textuel qui allait devenir l’une des licences phares de Capcom : Ace Attorney”. Le réalisateur et scénariste s’était donc distingué dès 2001 à travers le développement d’expériences narratives fortes. La série qui met en scène l’avocat de la défense Phoenix Wright, s’est ré-appropriée le genre Aventure point & click en se focalisant sur les dialogues, interrompus par les fameux “Objection!” de la saga. Ghost Trick, quant à lui, infuse une bonne dose de puzzle game à la formule, et revient de ce fait aux fondamentaux du genre, dont les environnements ont toujours été des terrains de jeu, propices à l'exploration et aux expérimentations.
Mais Ghost Trick n’a finalement pas grand chose à voir avec Monkey Island. Les Pouvoirs des Morts de notre détective fantôme sont l’occasion pour Shu Takumi de donner des clés narratives originales au joueur, puisqu’il peut réécrire des scènes entières du jeu lorsqu’il revient 4 minutes dans le passé pour tenter de modifier les événements qui ont conduits à la mort d’un personnage. Un peu comme Keyser Söze dans Usual Suspects, le joueur se sert des éléments du décor pour redéfinir la réalité ! L’exercice a cependant ses limites. Les séquences sont en effet pré-ordonnées par les designers et chaque puzzle possède une seule solution. Ghost Trick propose donc une aventure linéaire, ce qui ne l’empêche pas de surprendre, en introduisant par exemple d’étonnantes nouvelles mécaniques de jeu dans les derniers chapitres !
Le sens inné du style et les flamboyantes personnalités des protagonistes du jeu doivent tout autant à leur character design qu’à leurs animations, très soignées. Celles-ci ont été réalisées à la main, sans l’aide de la Motion capture, et apportent énormément à l’identité du jeu et de ses personnages. Ce point fort est l’opportunité pour nous d’aborder les apports de cette version remaster, dont le principal reste son passage à la haute définition. La version Nintendo DS proposait ainsi des versions compressées des superbes animations du jeu, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La disparition du stylet et du second écran ont également entraîné un léger remaniement de l’interface, et Ghost Trick se joue finalement sans problème à la manette. Pas mal de bonus ont aussi été ajoutés, comme des versions alternatives des (superbes !) musiques du jeu, signées par Masakazu Sugimori, ainsi que des artworks, fiches de personnages et autres documents de développement scannés.
Enfin, ce remaster accueille les puzzles apparus dans la version mobile de Ghost Trick, elle-aussi sortie en 2010. Anecdotiques, ils prennent la forme de taquins, représentant des décors du jeu, où chacune des tuiles est animée. Vous l’aurez compris, Capcom nous offre ici le strict minimum en termes de remaster. Plus joli, plus fluide et accompagné de quelques scans tirés des cartons de la production, cette ressortie n’en reste pas moins un remaster paresseux si on le compare au traitement “Digital Eclipse”, récemment réservé à la ressortie de Karateka par exemple, qui devrait devenir la norme ! Le classique de Jordan Mechner développé sur Apple II en 1984 et qui précédait de quelques années son légendaire Prince of Persia, est en effet sorti dans la nouvelle collection Gold Master Series de Digital Eclipse, et se présente sous la forme d’un véritable documentaire interactif. Il est d’ailleurs appelé The Making of Karateka. Et si le jeu de Jordan reste bien évidemment la pièce maîtresse de ce musée virtuel, l'exposition créée autour est en elle-même une raison d’acquérir cette nouvelle version du jeu. On aurait aimé que ce soit également le cas pour Ghost Trick, dont les bonus restent… hé bien des bonus, rien de plus. Il aurait été fantastique de plonger plus avant dans les coulisses de la création de ce superbe OVNI du catalogue Capcom et d’en savoir plus sur ses créateurs. On ne peut qu’espérer que le travail de Digital Eclipse inspire à l’avenir les gros studios japonais qui semblent parfois traiter leurs innombrables classiques avec l’avarice du dragon Smaug assoupi sous ses montagnes d’or…
En attendant, nous allons bien évidemment célébrer la mise à jour d’un classique, qui bénéficie tout de même au Japon d’une édition Collector originale. Celle-ci inclut un jeu de société physique développé en collaboration avec SCRAP, spécialisé dans la création d’Escape Game. Cette société japonaise réputée est par exemple connue pour les complexes Tokyo Mystery Circus - situé juste à côté de la toute nouvelle Tokyu Kabukicho Tower à Shinjuku (à 1mn du Godzilla trônant au dessus des cinémas Toho) - ou encore Real Escape Game à Asakusa. Appelé “Echappez-vous de l’Usine de Jouets”, le jeu est en lui-même une mise en abyme, puisqu’il met en scène Lynne et quelques autres personnages en train de faire un Escape Game (!), lorsqu’ils se retrouvent coincés après une explosion bien réelle. Le jeu reprend certains décors de Ghost Trick et utilise même la mécanique permettant de déplacer son âme d’objet en objet à l’aide d’une petite règle transparente ! On notera ici que ce jeu contient de gros spoilers sur l’intrigue de Ghost Trick et n’est donc à faire qu’après l’avoir terminé.
On espère que le succès de ce remaster sera au rendez-vous, car non seulement le jeu le mérite, mais en plus cela permettrait éventuellement de faciliter la mise en chantier d’une suite ou d’un titre dans le même univers, qu’il faudra bien entendu confier à la même équipe, à commencer par Shu Takumi ! C’est d’ailleurs lui qui a suggéré, dans une interview donnée à Game Informer, que l’avenir de la franchise dépendait de la réception de ce remaster. Ghost Trick constitue une base plus que solide pour une suite, qui pourrait même proposer un design plus ouvert, moins linéaire ! La petite quinzaine d’heures passée aux côtés de Sissel et ses comparses a été amplement suffisante pour m’attacher à eux et avoir envie de les retrouver dans de nouvelles aventures, vivants ou… morts !
Vous voulez vous faire une petite idée du jeu avant de dépenser les 30 euros demandés ? Une démo gratuite est téléchargeable sur toutes les plates-formes et vous permet de finir le premier Chapitre (en fait les DEUX premiers chapitres, merci
pour la précision) !PS: toutes les photos, images et vidéos illustrant cet article ont été prises ou capturées par mes soins, à partir d’une version PlayStation 5 du jeu, fournie par Capcom. Les versions Nintendo DS et Switch ont été achetées dans le commerce.
Bonjour Thierry !
J'ai eu le plaisir de lire ta recommandation ce matin, et suivant ton travail depuis un sacré bout de temps, ça m'a fait énormément plaisir !
Merci à toi et bonne continuation avec cette newsletter que je vais suivre avec beaucoup d'attention aussi ! 😉
J'ai eu l'occasion de refaire le jeu cet été, c'est vraiment une petite pépite. J'ai beaucoup aimé le style graphique, les personnages et la logique en "semi-temps réel" du gameplay.
La démo est agréablement longue pour ceux qui souhaitent le tester. La version collector est vraiment sublime, je suis si triste de ne pas l'avoir eu en Europe 😭
J'espère réellement que le jeu rencontrera enfin le succès qu'il mérite.