Flow pourrait être l’adaptation d’un jeu de Fumito Ueda
Les ruines englouties traversées par les animaux de Flow nous emportent dans le courant d’influences multiples, allant des mondes de ICO et The Last Guardian à ceux de Hayao Miyazaki (toujours lui !).
Flow est un road movie sur l’eau, où l’on suit un chat contraint d’abandonner abri et solitude pour tenter de survivre à une apocalyptique montée des eaux. Outre cette catastrophe naturelle, il devra apprendre à surmonter sa défiance naturelle et l’égocentrisme né de son isolement pour former avec d’autres animaux un équipage d’improbables naufragés dans un monde où l’humanité a disparu.
Une fable allégorique qui évoque un thème maint fois exploré : la survie sans empathie ni collaboration, n’est qu’une illusion.

L’impact du récit sans dialogues déployé par Flow est néanmoins indéniable et il ne faut que quelques minutes au film du réalisateur letton Gints Zilbalodis pour imposer son monde et son atmosphère.
Un monde qui brouille avec élégance et un léger surréalisme empreint de poésie, la frontière entre le fantastique et le réalisme. La troupe d’animaux que l’on suit exhibe ainsi les mouvements et comportements que l’on peut attendre d’eux, pour soudainement réaliser une action défiant la limite de leur champ de compréhension…
De la même façon, le monde en ruines traversé par ces animaux abritent un mélange détonnant de bâtiments familiers et de structures immenses, quasi alien, qui viennent semer le doute sur ses origines humaines.
Flow parvient ainsi à créer une incertitude nous maintenant dans une espèce de constante tension. On ne sait pas où l’on est, ni où l’on va… Nous sommes aussi perdu(e)s que ses protagonistes.
Et c’est avec fébrilité que l’on suit le chaos naturel et émotionnel dépeint à l’écran par les animatrices et animateurs de cette production européenne partagée entre trois pays : la Lettonie, la France et la Belgique. Mais on ne va pas s’attarder dans cet article sur l’aspect technique, la production ou le financement de ce film, pourtant passionnants ! Si vous désirez en savoir plus sur ces sujets, je vous encourage vivement à lire cette récente newsletter de Animation Obsessive.
Flow est sorti dans les salles japonaises la semaine dernière, le 14 mars.
Oui, au Japon les films sortent souvent avec un gros décalage par rapport au reste du monde (4 mois dans ce cas précis) ! Si de nombreux cinémas diffusent Flow un peu partout au Japon et qu’il n’est pas difficile de trouver une séance à Tokyo, on est tout de même assez loin de l’ampleur d’une sortie Disney, comme celles de l’excellent Vice Versa 2 par exemple, ou plus récemment Wicked.

En arrivant dans la salle, j’ai découvert avec surprise une petite feuille imprimée, affichée à l’entrée, qui avertissait le public de la présence dans le film de “représentations d'eaux déferlantes, de courants boueux, de vagues et de remous sous-marins”. Un message rappelant le traumatisme toujours très présent dans les esprits du meurtrier tsunami qui a accompagné le tremblement de terre du 11 mars 2011 dans le Tōhoku… Une catastrophe qui a causé la mort de plus de 22000 personnes et a récemment servi de toile de fond au touchant Suzume de Makoto Shinkai.
Flow n’a bien entendu rien à voir avec cette catastrophe. Même si la montée des eaux et la désolation qu’il dépeint font écho à l’énorme crise environnementale que le monde traverse actuellement…
La très belle musique du film a également été composée par le réalisateur letton Gints Zilbalodis.
En faisant mes recherches pour cet article, je suis tombé sur une série de citations de personnalités japonaises utilisées pour la promotion du film.
Parmi elles, beaucoup d’animateurs bien sûr, comme Mamoru Hosoda (La Traversée du temps), Hiroyuki Morita (Le Royaume des chats) ou Kiyotaka Oshiyama (Look Back); mais aussi des mangaka et, perdu au milieu de cette quinzaine de noms, un créateur de jeu vidéo : Hideo Kojima !
C’est la destination finale du “flow” de l’animation et des films en images de synthèse. Les animaux ne sont pas anthropomorphisés et ils n’ont aucune ligne de dialogue. Et pourtant, c’est (une oeuvre) artistique, philosophique et profondément sociale. Ne passez pas à côté en pensant que c’est juste un film grand public avec des animaux. C’est l’organigramme de notre humanité au 21ème siècle, emportée et à la dérive.

On peut penser ce que l’on veut de Kojima, mais il a le sens de la formule ! Et il n’est guère surprenant, je trouve, de voir citer ici un créateur de jeu, tant Flow semble s’être échappé d’un jeu vidéo. Mais le verbeux Kojima, boulimique en chef de la cinématique, ne pouvait pas être plus éloigné de l’approche choisie par Gints Zilbalodis !
Flow est en effet un film sans dialogues, dont la narration s’appuie sur les expressions de ses personnages, les lieux traversés, et bien entendu sa mise en scène.
Une narration sans parole qui laisse beaucoup à l’interprétation des spectatrices et spectateurs et m’a immédiatement renvoyé aux jeux du game designer Fumito Ueda.
Comme Flow, les jeux de Ueda (ICO, Shadow of the Colossus et The Last Guardian) sont des voyages silencieux. Si ses personnages humains peuvent parler, c’est dans une langue que l’on ne comprend pas. Ces voyages s’opèrent toujours au coeur de mondes abandonnés, désertés par les humains. Des ruines, donc, qui semblent hantées par les réminiscences de forces ancestrales, et peuvent parfois être arpentées par des créatures gigantesques.
Dans une interview du journaliste Eli Friedberg pour le site The Film Stage, le réalisateur Gints Zilbalodis avoue compter les jeux de Fumito Ueda parmi les oeuvres ayant eu le plus d’influence sur lui, sans rentrer dans les détails. Mais dès les premières minutes du film, cette influence m’est apparue comme évidente…



Ces énormes structures, quasi babyloniennes, qui se dressent vers le ciel et vers lesquelles semblent se diriger nos naufragés de poils et de plumes, imposent leur présence avec force et majesté pour insuffler le monde de Flow d’un indéniable mysticisme. Comme dans les jeux de Ueda, le voyage prend alors une valeur symbolique et c’est sur nous que repose cette quête de sens, le réalisateur et ses équipes refusant d’élaborer sur les nombreuses questions que soulèvent la vision du film.
Flow propose ainsi un “world building de jeu vidéo”, une approche où la narration environnementale, le mouvement et le flow de sa mise en scène viennent nourrir notre expérience et stimuler notre immersion.
Une autre inspiration de Gints Zilbalodis, mentionnée sur son compte Instagram, est la série animée Conan, le fils du futur, réalisée par Hayao Miyazaki à la fin des années 70. Une oeuvre séminale du réalisateur japonais, où un jeune héros doit quitter son “abri de fortune” pour partir à l’aventure dans un monde immergé sous les eaux, et faire preuve d’une incroyable endurance, mais aussi d’un sens aiguë du sacrifice, pour assurer sa survie et celle de ses proches… Ce pitch vous rappelle quelque chose ? Oui, c’est exactement celui de Flow !

Un film d’animation aux références on ne peut plus solides, dont il parvient néanmoins à se libérer pour proposer une vision assez unique du récit initiatique de survie et de coopération.
Un long métrage empreint de majesté à la réalisation ample, dont l’aspect contemplatif peut être soudainement brisé par une séquence d’action au rythme haletant. Mais aussi une leçon de narration et de world building sans dialogues, où tout passe par l’image et le ressenti.
J’ai beaucoup aimé, tout comme, semble-t-il, les spectatrices et spectateurs japonais qui étaient dans la salle le jour de sa sortie. Les commentaires chargés de superlatifs captés à la sortie du cinéma ne laissaient que peu de doutes sur leur enthousiasme !



PS: Toutes les images et concert art du long métrage animé Flow sont tirés de son site officiel japonais, de son compte X japonais, et du compte X de son réalisateur Gints Zilbalodis. Les photos du pamphlet du film et de la baudruche gonflable promotionnelle ont été prises par mes soins. Enfin, l’image du cellulo de Conan, fils du futur est issue du site Mandarake Auction. Merci également à Nicolas du podcast Pixel Bento pour le check traduction de la citation d’Hideo Kojima traduite du site officiel japonais de Flow !
Très beau film, qui m'a aussi (forcément) fait penser à Stray vu que j'y joue en parallèle sur Switch :) Les expressions exaspérées du chat face à certains de ses compagnons un peu envahissants sont plus vraies que nature :D
Le réalisateur expliquait également (par exemple dans l'interview incluse sur le bluray français qui vient de sortir) que le film était une allégorie de son propre parcours dans l'animation. Lui qui réalisait ses courts-métrages et même son premier film tout seul a dû apprendre à travailler en équipe... Finalement le chat de Flow, bien à l'abri dans son nid douillet "artistique", est obligé de sauter dans le grand bain, de s'entourer de personnes de confiance (et parfois gérer des "pièces rapportées" qui le sont un peu moins...), d'accepter des sacrifices pour arriver à bon port...
Flow repart d'ailleurs d'un des courts-métrages d'étudiant du réalisateur (Aqua), où on retrouvait déjà le chat, l'inondation, le bateau... À la différence que dans Aqua, le chat tentait de survivre seul.
Merci pour cet article ! Bizarrement, je suis complètement passé à côté de ce film et je viens de m'apercevoir qu'il est déjà disponible en VOD en France... je vais m'empresser d'aller regarder ça du coup. Voila le mérite des recommandations "manuelles", le fameux bouche à oreille est toujours de meilleur conseil que les algorithmes des plateformes :)