Est-ce que le jeu vidéo s’apprête (enfin) à conquérir Hollywood ?
Le succès colossal du film Mario, mais aussi des récentes séries TV basées sur des JV, marquent le début d’une nouvelle ère. Les Captain Toad, Falcon et Laserhawk vont-ils détrôner Captain America ?
Une époque semble révolue. Les adaptations de jeux vidéo au ciné et tout particulièrement à la télé, ne sont plus “au mieux des déceptions, aux pires des insultes”. Aujourd’hui, elles sont… bonnes ! Voire exceptionnelles. Qui l’eut cru dans les années 90 ?!
En 1993, on avait la série TV Sonic façon cartoon en carton et le film Super Mario Bros., celui avec un Dennis Hopper en roue libre et en mode “j’en fais des tonnes, j’en ai rien à battre” dans le rôle de Bowser…
En 2023, nous avons les séries TV : The Last of Us, Castlevania: Nocturne, Captain Laserhawk: A Blood Dragon Remix, The Witcher (saison 3) ou encore Onimusha, pour n’en citer que quelques-unes, ainsi que les adaptations cinématographiques de Gran Turismo et… Super Mario Bros. le film. Oui, encore lui ! 30 ans plus tard, le Mario du studio d’animation Illumination n’a cependant rien, mais alors RIEN à voir avec celui de Dennis. Là où film de 93 s’est méchamment planté au box-office, dévoré par sa propre médiocrité et les dinosaures de Jurassic Park, celui d’Illumination est le second plus gros succès de 2023 au box-office mondial.
Super Mario Bros. le film a rapporté 1,3 milliards de dollars, juste derrière les 1,4 de Barbie (chiffres de fin novembre). Loin devant le premier film Marvel : Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 et ses 845 millions. En fait, Mario est loin devant TOUS les films Marvel sortis en 2023, mais aussi TOUTES les autres franchises majeures du blockbuster hollywoodien : Fast & Furious, Mission Impossible, Transformers, etc. Ce succès est l’assurance à lui seul de l’arrivée d’une nouvelle ère à Hollywood, pour qui la politique du “zéro risques” est une religion.
Hollywood est devenu depuis le début des années 80 et le colossal échec commercial de La Porte du Paradis de Michael Cimino, une terre contrôlée par les producteurs. Et ces derniers n’aiment pas perdre de l’argent. En fait, ce sont de véritables victimes de la mode. A partir du moment où quelque chose marche, ils vont exploiter le filon jusqu’à ce que la mine s’écroule sur eux. L’échec du Mario de 93 a fermé les portes de la mine et du potentiel filon jeu vidéo avant même le premier coup de pioche. Les années qui suivirent marquèrent une ère de séries B, voire Z, à petit budget, visant avant tout le marché de la vidéo : Street Fighter et Double Dragon en 94, Mortal Kombat en 95, Wing Commander en 99, etc.



Des films que l’on est tout à fait en droit d’aimer (tout comme le Mario de 93 d’ailleurs, perso j’ai toujours trouvé les Goombas… adorables !), mais qui n’ont clairement pas la patine d’un blockbuster et donc l’ambition de cartonner au box-office. Le jeu vidéo était ainsi cantonné au Direct To VHS puis DVD. Il faudra attendre 2001 et le Lara Croft: Tomb Raider d’Angelina Jolie pour qu’Hollywood donne au JV une seconde chance.
On notera ici la volonté affichée - une nouvelle fois depuis les années 80 - de créer des franchises. Autour du star power d’une actrice ou d’un acteur, autour d’un personnage, d’un univers ou d’une franchise… Bien avant l’ambitieux Cinematic Universe de Marvel, Hollywood a toujours eu l’ambition de créer des “marques” susceptibles d’être exploitées à court et moyen terme. De manière à limiter les risques, au détriment parfois (souvent) des ambitions artistiques de ces projets, même si des exceptions existent, comme Le Seigneur des Anneaux par exemple, dont le premier volet est d’ailleurs sorti la même année que Tomb Raider.

Soyons clair, aujourd’hui le jeu vidéo attend toujours son Seigneur des Anneaux (=son chef-d'œuvre), du moins sur grand écran. Si le triomphe historique au box-office de Super Mario Bros. le film ou la sortie de Sonic, le film (2020) s’accompagnent d’une critique relativement bénévolente et surtout d’un vrai succès auprès du grand public, personne n’ira, je pense, crier aux chefs-d'œuvre générationnels. Et si le niveau des dernières adaptations JV sur grand écran affiche une tendance positive, les déceptions restent fréquentes. De Assassin’s Creed (2016) à Uncharted (2022), en passant par Rampage (2018) et Monster Hunter (2020), la réussite créative de ces films n’est pas toujours à l’aune de leur budget.
Là où la donne a réellement changé, c’est sur le petit écran.

Que ce soit en live ou sous une forme animée, les séries TV basées sur des jeux vidéo ont fait un bond qualitatif absolument hallucinant.
The Last of Us (HBO Max) et Captain Laserhawk (Netflix) cette année, Arcane (Netflix) et Cyberpunk: Edgerunners (Netflix) en 2022… Autant de séries absolument saisissantes qui ont pour point commun le nouvel écosystème télévisuel basé sur le streaming. Netflix en particulier a misé gros sur le jeu vidéo en signant des partenariats avec de multiples éditeurs comme Ubisoft, Capcom, Konami, Sega, Take-Two, Sony, Microsoft, Square Enix, Riot Games ou encore CD Projekt Red ! Ils ont même osé parier sur de petits développeurs comme Studio MDHR avec le sympathique The Cuphead Show!.
Leur réussite s’appuie sur ce qui manquait et très certainement manque encore aux adaptations ciné : une grande liberté créative basée sur la confiance, accordée aux showrunners / studios derrière ces séries, ET une vraie collaboration avec les équipes à l’origine des jeux. Le Mario de 93 est notoirement un “coup” de la part de Nintendo, ou plutôt une expérience, que l’éditeur a observé de loin, tel le Lakitu sur son petit nuage, sans s’impliquer. Ce ne fut pas le cas de la version 2023, aux crédits de laquelle figure bien haut le nom de Shigeru Miyamoto.

Pour revenir aux séries, lorsque l’éditeur n’est pas impliqué, les showrunners, eux, le sont définitivement. Dans des extraits de son blog repris par le site Bleedingcool.com, Warren Ellis, scénariste et créateur de l’excellente série animée Castlevania aux côtés de Adi Shankar, révélait avoir étroitement collaboré avec un Koji Igarashi (IGA) très intransigeant, afin d’établir la chronologie de son adaptation. Si IGA a quitté Konami en 2014, Ellis travaille en effet sur une adaptation de Castlevania depuis 2007 ! A l’époque il s’agissait d’un projet de film OAV basé sur Castlevania III: Dracula's Curse. Warren Ellis, au-delà de son indéniable talent (on lui doit les comics Transmetropolitan), n’a donc pas pris la licence de haut. Mais si au final Konami, l’éditeur du jeu, s’est visiblement contenté de vendre sa licence sans plus s’impliquer dans la série qui verra le jour en 2017, c’est un peu l’exception qui confirme la règle.

The Last of Us, Captain: Laserhawk, Arcane et Cyberpunk: Edgerunners ont été créés en (plus ou moins) étroite collaboration avec les studios Naughty Dog, Ubisoft, Riot et CD Projekt Red. Et ces derniers, comme Netflix, ont su faire confiance aux showrunners et studios de production derrière ces adaptations, en leur laissant la possibilité de s’exprimer à leur façon, dans leur propre style. Captain Laserhawk: A Blood Dragon Remix est indéniablement une série Bobbypills, comme Cyberpunk: Edgerunners est indéniablement une série Trigger.
Captain Laserhawk: A Blood Dragon Remix, sorti en octobre sur Netflix, est inspiré du DLC de Far Cry 3 : Blood Dragon, mais propose au final un hallucinant cocktail (molotov) de références aux franchises créées par Ubisoft, de Rayman à Assassin’s Creed !
On reconnaît la patte des studios et de leurs équipes créatives. Il suffit de regarder 30 secondes de Cyberpunk: Edgerunners pour savoir qu’il s’agit d’une série 100% Hiroyuki Imaishi, soit le créateur de classiques de l’animation japonaise comme Gurren Lagann (2007) et Kill la Kill (2013). Le succès de ces séries doit sans doute énormément à la capacité de Netflix et ses partenaires de ne pas aller à l’encontre des instincts de ses créatifs. Et les services de streaming y trouvent bien entendu leur compte en s’assurant le suivi (et les abonnements) de communautés de fans à la fois vocales et en demande de contenus faisant hommage à leurs jeux préférés.

Toutes ces adaptations télévisuelles sont également des séries indubitablement destinées à un public mature. Au-delà de la violence visuelle qui sied parfaitement aux sujets traités, les thèmes abordés sont eux-aussi porteurs d’ambitions fortes, qui peuvent avoir du mal à trouver leur place dans une salle de cinéma. Le script original du très mauvais film Prince of Persia: Les Sables du Temps (2010), signé Jordan Mechner, n’a rien à voir le résultat final. Ce dernier est à mettre “au crédit” des exécutifs du studio Disney qui décidèrent à la dernière minute de transformer le film en un ersatz de la série Pirate des Caraïbes qui cartonnait alors. Toujours cette volonté de privilégier le copié/collé, plutôt que de prendre le moindre risque créatif, quitte à museler les créatifs justement, ou à trahir l'œuvre originale…
Alors si l’avenir des adaptations de jeu vidéo sur petit écran semble absolument radieux, qu’en est-il de celles sur grand écran ? Surtout au regard de la récente annonce d’un film basé sur The Legend of Zelda… en version live (!!) et des dernières déclarations de Shigeru Miyamoto, qui a affirmé que Nintendo voulait renforcer sa collaboration avec Hollywood en sortant… un film par an ! D’où la question utilisée en titre de cet article : est-ce que les héros de jeux vidéo s'apprêtent réellement à remplacer les super-héros Marvel, DC & compagnie, qui semblent un peu à bout de souffle ces dernières années (à l’exception des sublimes Spider-Man: Into the Spider-Verse)…

Tout dépendra, sans doute, du succès du film Zelda dont la réalisation a été confiée à un jeune cinéaste de 43 ans, Wes Ball. Ce dernier est à l’origine de la trilogie Le Labyrinthe, basée sur une série de romans pour ado, et du prochain volet du renouveau de la saga La Planète des Singes, prévu pour 2024. Nintendo et Illumination/Universal devront aussi parvenir à valider le succès de Mario avec un deuxième essai aussi concluant financièrement parlant… Ce qui semble acquis, Illumination ayant déjà fait la démonstration de sa capacité à sortir des suites à succès avec la série des Moi, Moche et Méchant, mais aussi à créer des spin-offs (Les Minions). Tout dépendra aussi de la capacité des autres acteurs du jeu vidéo à trouver les bons partenaires hollywoodiens pour produire au minimum des succès commerciaux à même de rivaliser avec les méga productions Disney / Marvel.

Sega, après un départ compliqué (le “scandale” Ugly Sonic), a déjà réussi son coup avec la série Sonic, dont le second film a surpassé au box-office mondial son prédécesseur en engrangeant plus de 400 millions de dollars en 2022, et dont le troisième volet a été confirmé pour une sortie fin 2024. Pokémon : Détective Pikachu, sorti en 2019, fruit de la collaboration entre la Pokémon Company, la Toho et Legendary Pictures (le Monster Verse, c’est eux), est aussi un joli succès. Le film avait ainsi engrangé 450 millions de dollars et dépassé les 440 du film Warcraft, lui subtilisant du même coup le titre de l’adaptation de JV ayant engrangé le plus d’argent au box office mondial jusqu’à la sortie de… Mario.
Les portes d’Hollywood semblent bien ouvertes cette fois-ci, et le seul adversaire des compagnies de jeu vidéo, de façon improbable, semble bien être les compagnies de jouets ! Les Lego, Hasbro et autres Mattel, mis à part quelques échecs épiques, cumulent pas mal de succès commerciaux depuis le milieu des années 2010, le dernier en date étant bien entendu Barbie, qui a volé (de peu) le podium à la Princesse Peach ! Maintenant, j’avoue que cette conquête longtemps retardée m’intrigue autant qu’elle m’inquiète. J’espère simplement que l’on aura, un jour, une adaptation de jeu vidéo sur grand écran digne du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson !
Et sinon, l’adaptation de Zelda, vous la sentez comment ? Ce projet mériterait à lui seul un article à part entière tant le défi à relever semble… impossible ? Mais pour la troisième annonce de Nintendo, voici mon projet fantasmé : l’adaptation de Metroid, en un film Rated R (pour adultes) réalisé par Neill Blomkamp (District 9, Chappie) avec Charlize Theron (Mad Max: Fury Road, Atomic Blonde) dans le rôle de Samus ! Une évidence !
Et vous ? N’hésitez pas à partager vos productions rêvées, Nintendo ou autres, dans les commentaires !
PS: les images illustrant cet article proviennent des sites officiels : Super Mario Bros. The Movie; Cyberpunk: Edgerunners; Bobbypills; Warner Bros.; Fortiche; IMDB et Rotten Tomatoes.
Les chiffres du box-office sont issus du site Box Office Mojo.
Ce visuel du film street fighter est... magique :)
On peut aussi rajouté à ce tableau l’immense succès de la récent adaptation de Five Nights at Freddy’s qui a largement remboursé son budget de 20 millions de dollars en engrangeant plus de 284 millions au global.
Le producteur Jason Blum a déjà assuré que deux nouveaux épisodes sont en préparations.