Bizarre ? Vous avez dit bizarre ?!
Quand le jeu vidéo ose l’étrangeté… De Attack of the Mutant Camels à Death Stranding, en passant par Katamari Damacy, Botanicula et Cookie Clicker, le média n’a jamais rechigné à décontenancer.

Le jeu vidéo a toujours été moins frileux que le cinéma ou la télévision pour oser donner corps aux idées les plus folles de ses créatrices et créateurs.
En fait, j’irais même jusqu’à dire que la folie et l’étrange font partie de l’ADN du média.
Je vais vous raconter une histoire personnelle. Il existe un jeu qui me fascine encore aujourd’hui, dont les images et les personnages n’ont jamais quitté mon esprit. Pourtant, c’est un jeu que j’ai découvert en 1986 et auquel… je n’ai jamais joué !

C’est uniquement dans les pages des magazines de l’époque que je suis tombé sur les captures d’écran de Crafton et Xunk. Un jeu d’aventure en 3D isométrique sorti sur Amstrad, dont les héros étaient un couple d’extraterrestres composé d’un robot humanoïde avec un couvre-chef en aluminium (?!) et d’un “podocéphale” (un pied surmonté d’une tête !).
Au-delà de la claque graphique (j’adorais le look du jeu), c’est vraiment l’étrangeté du soft qui m’a marqué au point qu’il m’arrive encore aujourd’hui de sourire en y pensant.
J’ai vraiment eu de la chance de grandir dans les années 70/80, une époque où le jeu vidéo était souvent le fruit de petites équipes, voire de designers solos, qui pouvaient laisser libre cours à leur imagination pour finalement emballer la nôtre. De Rémi Herbulot (Crafton et Xunk) à Philippe Ulrich (L’Arche du Capitaine Blood), en passant par Dona Bailey (Centipede) et Jeff Minter (Attack of the Mutant Camels), toutes et tous ont marqué par la singularité de leurs univers et / ou propositions vidéoludiques.

Au-delà de la taille humaine des équipes, il est certain que la jeunesse du média lui autorisait alors une marge de manœuvre plus grande, exempte des pressions éditoriales et financières de comités de direction souvent frileux et déconnectés du processus créatif. Les années 70 / 80 étaient riches en expérimentations et le public avide de nouvelles sensations. Même les départements marketing se lâchaient pour proposer des publicités totalement absurdes !

L’idée de cet article n’est pas de dire “c’était mieux avant”, bien au contraire. Si l’on ne peut pas nier que le jeu vidéo a perdu en “spontanéité”, c’est avant tout pour des raisons logistiques. Il s’est complexifié et le temps nécessaire à son développement s’est considérablement allongé.
Pourtant son étrangeté a perduré pour séduire chaque nouvelle génération avec des propositions plus “perchées” et délicieuses les unes que les autres !
Je vais maintenant vous proposer une petite sélection de jeux “étranges”... selon moi ! Car la notion même d’étrangeté est éminemment personnelle et varie en fonction des personnalités et sensibilités de chacun. Pour le jeu vidéo, elle peut même prendre les formes les plus diverses. De quelle excentricité parle-t-on exactement ? De celle qui informe l’univers du jeu, qui définit sa jouabilité, ou les deux à la fois ?
Prenons Botanicula par exemple, un jeu d’aventure point & click finalement assez classique, mais qui met en scène un hilarant groupe de cinq petites créatures végétales dans un écosystème surréaliste. Un bourgeon en forme de lanterne, une brindille, un champignon, une plume moustique et une fleur close s’associent pour tenter de sauver leur arbre ainsi que les étonnantes créatures qui l’habitent. Créé par le studio tchèque Amanita Design (Machinarium, etc.) en 2012, nourri par l’imagination de ses artistes, et baigné par les compositions musicales du groupe DVA, Botanicula est un enchantement de tous les instants.

Plus récemment, Inscryption m’a littéralement retourné la tête en m’enfermant dans une cabane perdue au milieu des bois, pour m’obliger à jouer aux cartes avec une entité maléfique (un “chercheur d’or”) dont on ne distingue que les yeux. Un jeu de cartes pas comme les autres, celles-ci étant vivantes, voire douées de la parole ! Et il sera nécessaire de les sacrifier pour espérer survivre à notre adversaire.
Un jeu de cartes aussi, où l’on peut se lever de sa chaise pour explorer la cabane dans laquelle nous sommes confinés, et tenter de résoudre des énigmes qui nous permettront de faire pencher la balance en notre faveur sans avoir à sacrifier toutes nos cartes, voire toutes nos dents… ou pire encore.

Surgeon Simulator est une simulation de chirurgie. Jusque là rien de très étrange… Mais voilà, vous n’êtes pas un chirurgien, vous êtes visiblement bourré, et votre trousse de secours renferme les ustensiles les plus improbables, allant du marteau à la foreuse !
Ultra gore et totalement non sensique (vos “patients” seront, entre autres, un extraterrestre et… Donald Trump !), le jeu utilise qui plus est un système de contrôle totalement aberrant, où les mouvements de nos mains (en vue subjective) se gèrent à la souris et chaque doigt est contrôlé individuellement par une touche du clavier. Autant vous dire que le jeu est tout simplement… injouable !

Surgeon Simulator appartient d’ailleurs à un genre à part entière, à l’humour “slapstick”, c’est à dire basé sur la comédie physique, où l’astuce consiste à créer et embrasser l’étrangeté d’un scénario totalement barré par le biais de contrôles limités ou basés sur un moteur physique récalcitrant.
Je pense par exemple à Octodad, où l’on incarne un poulpe qui tente de se faire passer pour un être humain. Plus fort encore, il a réussi à se marier et à avoir des enfants ! Et notre objectif sera de maintenir le secret de son identité auprès de sa famille et son entourage en tentant de le “déplacer” à l’aide ou plutôt malgré ses tentacules, qui semblent animés d’une vie propre, sans qu’il ne détruise absolument tout sur son passage et se fasse ainsi “griller” !
Difficile aussi de faire plus étrange que Getting Over It with Bennett Foddy où l’on tente, tant bien que mal, de faire progresser un type à poil coincé dans une marmite (!), et qui doit parvenir à escalader une montagne à l’aide… d’un marteau. Voilà voilà…
Et puis finalement est-ce que Death Stranding, dont la suite sur PlayStation 5 fait tant parler en ce moment, n’appartient pas non plus à cette catégorie de jeu. Puisque l’on incarne dans ce jeu de Kojima (un maître de l’étrange !) un “transporteur” dans un monde alien, qui doit empiler sur son dos des caisses à livrer, sans perdre l’équilibre et abîmer sa marchandise en chutant. Ah, et puis le transporteur en question, incarné par l’acteur Norman Reedus, est relié à un foetus qui lui permet de détecter des monstres géants autrement invisibles !
Même si c’est plus rare, l’étrangeté peut aussi se glisser dans les interstices du Triple A, ces jeux aux budgets pharaoniques, pour refléter les ambitions - et parfois la mégalomanie - de leurs directeurs créatifs. Je parle ici de Hideo Kojima bien sûr, l’ami des stars ! Mais on ne peut lui enlever sa capacité à créer des univers aussi singuliers que “what the fuck”.



“L’indépendance” des studios indie reste le plus puissant des moteurs à idées insolites. Vous vous rappelez de votre réaction devant le jeu phénomène Cookie Clicker ? Une réflexion de ce type a probablement poppé dans votre tête non ? “Attends… il faut juste que je clique sur un cookie pour le désagréger et créer plus de cookies !? C’est vraiment ça le jeu ?”, suivit de la réalisation que ça fait des heures que vous y jouez !
Mais il faut admettre que les studios japonais de toutes tailles ont une appétence particulière pour les jeux insolites.
Impossible dans un article comme celui-ci de ne pas citer la série Katamari Damacy créée par Keita Takahashi, où l’on incarne un “petit Prince” envoyé sur Terre qui tente d’amasser le plus d’objets possibles sur une boule magique (un Katamari) qui ne cesse de grossir. Comme un petit bousier, il roule sa boule pour commencer par attraper des épingles, puis des vaches, avant de finalement agréger des immeubles entiers ! Et ce afin de permettre à son père de recréer l’univers qu’il a détruit après une énorme cuite 🤣



Keita Takahashi a aussi créé Wattam, où l’on incarne un cube vert avec une moustache et un chapeau sous lequel se cachent des explosifs, qui tente de (littéralement) prendre la main d’autres créatures pour les aider à pousser / grandir et accomplir leurs rêves. Un titre où la farandole et l’amitié deviennent de véritables mécaniques de jeu !
Je pourrais aussi citer to A T, son dernier jeu, où d’autres “classiques” japonais comme Cannon Dancer (arcade), Incredible Crisis (PS1), Seaman (Dreamcast), Gitaroo Man (PS2), Muscle March (WiiWare), Catherine, ou encore Mister Mosquito (PS2) qui semble sur le point d’accueillir une suite spirituelle avec Time Flies.
Dans Time Flies, qui va sortir le 31 juillet prochain sur Switch, PS5 et PC, on incarne une mouche. L’idée du jeu ? Profitez de la vie, parce qu’elle est courte, pour nous et encore plus pour une mouche. On pourra ainsi apprendre à jouer au piano, dérouler avec facétie un rouleau de papier toilette, ou lire un livre… Tout est possible, on est libre de se balader comme on veut et de tenter des choses, tout en essayant de survivre le plus longtemps possible.
Et après avoir découvert ce trailer, et ce jeu au pitch pour le moins “étrange” (vous en conviendrez), mon amour pour le jeu vidéo s’est renforcé un peu plus, et ma liste des jeux à faire cet été s’est étoffée.
C’est ça aussi l’étrangeté faite jeu vidéo : une invitation à rêver, à rire et à réfléchir !
Et vous, quels sont vos jeux “étranges” favoris ?
PS: Un grand merci à Audrey, Julien, Chris, Mathieu, Jennifer, Nicolas, Marc et Axel pour m’avoir pitché des jeux “étranges” !
PS2 : Les images des jeux suivants sont tirées de leur site officiel ou de leur page Steam : Time Flies ; Botanicula ; Wattam ; Attack of the Mutant Camels ; Surgeon Simulator ; Octodad ; Death Stranding 2 ; Getting Over It with Bennett Foddy ; Katamari Damacy ; to A T. La capture d’écran de Inscryption a été faite à partir d’une version commerciale Switch. Les scans des publicités publiées dans le magazine TILT (Crafton et Xunq, Thunder Blade) sont issues du site Abandonware Magazines.
Pour les amateurs de bizarreries vidéo ludiques il y a la playdate dont la saison 2 vient de s’achever…
C'est effectivement pratiquement une spécialité japonaise !
Et c'est pour moi la force du médium Jeu Vidéo : même après plus de 50 ans, il y a toujours des concepts qui surprennent, j'adore !
C'est une thématique qui m'intéresse suffisamment pour en avoir fait une liste
On y retrouve Muscle March et Ka mais aussi Interaction isn't Explicit (un jeu qui tente d'expliciter ce qu'est un jeu vidéo), LSD (titre explicite) ou Kaze no Regret, suffisamment original pour que Florent lui consacre un épisode des Oubliés de la Playhistoire : https://www.youtube.com/watch?v=vIYBBKYAdUc
Ma liste : https://www.senscritique.com/liste/liste_des_jeux_tres_particuliers_hors_norme_ou_inclassables/179544?mode=preview