Aux origines du manga et de l’animation
Une énorme exposition consacrée à Hokusai au Creative Museum de Tokyo permet de saisir l’ampleur et le génie d’un artiste qui a traversé le temps, porté par une Vague cachant un océan de trésors.

Vous l’avez sans doute déjà aperçue cette fameuse “Grande Vague de Kanagawa”... Dressée telle une gigantesque main d’écume, elle est comme figée dans le temps, prête à engloutir les bateaux de pêcheurs malmenés en son sein, tandis que le lointain Mont Fuji est le silencieux mais néanmoins central témoin de la scène.

Réalisé par Hokusai en 1831, ce chef-d’oeuvre fait partie de la série des Trente-six vues du mont Fuji produite entre 1830 et 1832. Des gravures sur bois réalisées alors que l’artiste et grande maître de l’ukiyo-e (image du monde flottant)1 était âgé de 70 ans. Un “vieux fou de dessin”, comme il aimait se qualifier, qui arpenta le Japon pour “croquer” et graver dans l’histoire ses contemporains, toutes couches sociales confondues, mais aussi les paysages, coutumes et innombrables visages du Japon d’Edo.
Hokusai a créé plus 30,000 dessins, déménagé 93 fois, et utilisé plus de 30 noms différents durant ses 90 années de vie.
Artiste sans cesse en mouvement, mais aussi en constante évolution, il venait, dix ans auparavant, d’entamer sa seconde renaissance :
(...) le rentoilage du Japon auquel s’attelle Hokusai est aussi l’œuvre d’un cacique qui en appelle à la magie inspiratrice d’une enfance retrouvée. Un dessinateur dont la carrière a pris son essor au sein des confréries et des coteries, et qui, s’étant mis à son compte dès le milieu de sa trentaine, n’aura de cesse de se renouveler à peu près à chaque nouveau cycle de son zodiaque personnel. C’est ainsi que, parvenu en 1820 à l’orée de la soixantaine, c’est-à-dire au terme d’une révolution astrologique complète, il décide de faire peau neuve, et inscrit symboliquement cette nouvelle naissance dans une nouvelle signature d’artiste, qu’il apposera encore une décennie plus tard sur les estampes de la série du Fuji : Hokusai litsu, Hokusai, de nouveau âgé d’un an.
(Le Japon vu par Hokusai, l’album de l’exposition qui s’est tenue au Grand Palais fin 2014/début 2015 - écrit par Éric Avocat, maître de conférences à l’Université de Kyoto)






Le titre de cet article - Aux origines du manga et de l’animation - reprend l’accroche de l’exposition qui se tient actuellement, et ce jusqu’au 30 novembre 2025, au Creative Museum de Tokyo.
Une expo gargantuesque, s’intéressant à de nombreuses facettes de l’artiste, qui marqua pour moi comme une seconde rencontre avec Hokusai et fut l’opportunité de retomber amoureux de son art.
J’ai découvert Hokusai, et par extension les estampes issues du courant de l’ukiyo-e, il y a fort longtemps. Mais son art était pour moi encapsulé dans ses innombrables “vues du Mont Fuji”. Des images qui cadraient d’ingénieuses façons le volcan endormi - et l’un des symboles du Japon - à travers toutes les saisons. Témoin majestueux du passage du temps, sa silhouette était une façon d’ancrer d’innombrables scènes de vie, qu’elles soient humaines, animales ou simplement picturales.






Mais cette exposition, scindée en plusieurs parties thématiques (illustrations de romans ; les Vagues ; l’Expressivité ; les mangas d’Hokusai ; la couleur ; Fugaku Hyakkei, alias les 100 vues du Mont Fuji) m’a aussi permis de découvrir ses mangas ou albums de dessins.
Cette vivacité du trait trouve une expression privilégiée dans les volumes d’albums de dessins, dont dix parurent dans les années précédant sa deuxième naissance. Dans ces Hokusai manga, réalisés avant tout à l’usage de ses élèves, pour « transmettre l’essence et éclairer la main”, écrit-il en faisant tenir sa conception de l’art dans un intéressant balancement entre une recherche spirituelle et une pratique concrète, le dessinateur capture la multiplicité du divers de la vie.
(Le Japon vu par Hokusai, l’album de l’exposition qui s’est tenue au Grand Palais fin 2014/début 2015 - écrit par Éric Avocat, maître de conférences à l’Université de Kyoto)

Ces mangas ont été une révélation pour moi. Si les dessins et estampes d’Hokusai ont su faire preuve d’un sens unique du mouvement par le dynamisme de leurs compositions ou le truchement de “lignes de vitesse”, ces croquis annoncent les “poses clés” ou “genga” utilisés dans l’animation.
Samouraï manipulant son arme, démonstration d’arts martiaux… jusqu’à des danses étonnamment charnelles d’hommes joyeusement éméchés dans des bains publics (sento) !
Ces dessins sont à ce point “vivants” qu’ils semblent littéralement danser sous nos yeux. Et c’est sans doute pour cette raison que l’exposition propose de petits courts métrages reproduisant certaines de ces séquences (dont celle du sento !), animés par deux anciens des studios Ghibli : Otsuka Shinji et Tanabe Osamu.
Sans doute l’une des plus belles surprises de cette expo ! (mais photos et vidéos étaient interdites)



L’influence d’Hokusai sur le manga et l’animation est indéniable, mais à l’image de la fameuse Grande Vague de Kanagawa, elle a éclaboussé d’innombrables artistes à travers le temps. Comme les peintres Renoir et Monet par exemple, ou plus récemment le célèbre romancier Roger Zelazny qui a écrit le roman de SF : 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai, pour lequel il a gagné le Prix Hugo en 1986… Et comment ne pas citer également le jeu vidéo Ōkami du game designer Hideki Kamiya sorti sur PS2 en 2006, et dont la direction artistique a largement été inspirée par Hokusai et les autres grands maîtres de l’ukiyo-e.

Cette exposition m’a littéralement transporté et fait oublier les tracas du quotidien. Savoir que je pourrais toujours compter sur Hokusai pour me transporter est un ravissement autant qu’un soulagement ❤️
Si vous avez l’occasion de voir ses oeuvres dans un musée ou une exposition, où que vous soyez dans le monde… foncez !






PS: Toutes les photos illustrant cet article ont été prises par mes soins dans l’exposition Hokusai qui s’est tenue du 13 septembre au 30 novembre 2025 au Creative Museum de Tokyo. Elles ont été prises dans les espaces où les photos étaient autorisées. Les images des longs-métrages Ghibli : Mes voisins les Yamada, Le Conte de la princesse Kaguya et Kiki la petite sorcière, sont tirées du site officiel Ghibli. Enfin, le screenshot du jeu Ōkami est issu de son site officiel Capcom.
L’ukiyo-e ou “image du monde flottant” est un sous-genre de l’estampe (impression généralement issue d’une gravure sur bois) faisant la part belle à la beauté sous toutes ses formes : courtisanes, acteurs de kabuki, sumōtori, yōkai, paysages, etc.




Merci pour cette découverte.
Ça m'a rappelé le Suginami Animation Museum à Tokyo.
C'est un petit musée avec des ateliers pour faire sa propre séquence animée, des figurines très sympas, une grande vitrine retraçant l'histoire des anime et des dédicaces de plein de grands noms de l'animation japonaise.
"Et c’est sans doute pour cette raison que l’exposition propose de petits courts métrages reproduisant certaines de ces séquences (dont celle du sento !), animés par deux anciens des studios Ghibli : Otsuka Shinji et Tanabe Osamu." (°_____°)
Alors là je suis bien jaloux, ça doit être quelque chose à voir.
L'exposition à l'air passionnante mais que de monde !
Merci pour cette newsletter, toujours aussi bien écrite et inspirée.
C'est un tel plaisir de l'attendre et de la lire chaque vendredi matin.
Petit apparté, l'exposition consacrée à Takahata à la Maison de la Culture du Japon à Paris (et qui était passé par Tokyo juste avant il me semble) est également bouleversante. Un grand moment.