Un cinéma pied au plancher
On parle de Ferrari, le dernier film de Michael Mann, sorti en salles au Japon (sans spoiler).
Il y a des cinéastes qui nous touchent à un niveau si intime, que l’on se rappelle du film qui nous a introduit à leur filmographie comme d’une première rencontre amoureuse.
Michael Mann fait partie de ces cinéastes pour moi. Et Thief (Le Solitaire) est le film avec lequel je suis tombé amoureux de son cinéma.
J’ai eu l’immense chance de pouvoir voir le Ferrari de Michael Mann sur grand écran à Tokyo.
Parce que contrairement à la France, où il est directement passé par la case télé (sur Amazon Prime), il est sorti ici comme il aurait du sortir partout ailleurs : en salles. Et s’il reste mineur à l’échelle de la filmographie de cet immense réalisateur, quel bonheur de voir un film où chaque image est porteuse de sens, où la “simple” puissance de la composition de certains plans suffit à nous terrasser.
Le visionnage d'un film de Michael Mann, même en “petite forme”, laisse en effet toujours des traces, comme si ses films n’étaient montés qu’à partir d’images rémanentes rétiniennes. Que ce soit celle d’un visage couvert de poussière, crispé derrière le volant d’une voiture lancée à pleine vitesse ; ou d’un jouet serré entre les mains d’une femme dévorée par la douleur ; certaines images s’impriment à jamais en nous. Des images qui s’ajoutent au montage de notre bobine mentale et peuvent être projetées à n’importe quel moment dans l'intimité de notre cerveau, même des années plus tard.
Les oeuvres de Michael Mann regorgent d’inoubliable.
Son approche tactile du cinéma, quasi expérimentale, joue un rôle essentiel dans l’impact qu’il peut avoir sur nous.
Le cinéma de Michael Mann est tendu à l’extrême, comme ses personnages vivant sur le fil du rasoir, qu’ils soient cambrioleurs, flics, journalistes, tueurs professionnels, boxeurs, ou constructeurs automobiles comme Enzo Ferrari…
Sa caméra s’approprie les corps au point de nous en faire ressentir la chaleur. Elle les filme à fleur de peau, cherche à capter leur souffle…
On ne regarde pas les personnages de Mann, on respire avec eux, à leur rythme souvent échevelé. Que ce soit en courant dans les rues de Kinshasa alors qu’une foule qui ne cesse de grossir nous accompagne en scandant notre nom (Ali) ; ou celles de Los Angeles, armé d’un fusil d’assaut et un sac rempli de billets en bandoulière (Heat) ; ou encore le dance floor d’un club californien alors que le service de sécurité de notre cible entame une chorégraphie mortifère (Collateral)…
Dans Ferrari, cette course échevelée est motorisée. On y suit des hommes - car le cinéma de Michael Mann s’intéresse avant tout aux hommes - qui construisent et pilotent des machines créées pour aller toujours plus vite, au détriment de toute sécurité, physique ou financière.
Mais le biopic de Mann ne s’intéresse qu’à un moment de la vie d’Enzo Ferrari : un été en 1957 où sa vie privée et professionnelle sont au bord de l’implosion. Inutile d’en savoir plus, le film assemble les morceaux de vie épars de son personnage central pour mieux en saisir les aspérités avec une belle efficacité.
Ce dernier film de Mann, pourtant, semble par moment manquer du souffle qui habite si profondément ses autres films, comme si certaines scènes étaient précipitées.
On peut d’ailleurs s'interroger sur les conditions dans lesquelles Ferrari a été tourné. S’il dispose d’un budget conséquent (estimé à 110 millions de dollars selon IMDB), le film semble malgré tout, par moments, “à l’étroit”... comme si Mann avait du faire des concessions au montage et se résigner à réduire sa durée.
Si le personnage de Laura Ferrari, incarné par une éblouissante Pénélope Cruz, est le coeur du film, celui de Lina Lardi (Shailene Woodley) peine à exister. Pourtant, sa relation avec Enzo (Adam Driver, impeccable de rigidité) est censée être le noeud émotionnel du film. Mais l’intensité manque…
Une intensité qui explose cependant régulièrement, souvent hors de cette relation, pour soudainement nous faire basculer dans ces instants de pure intimité dont Michael Mann a le secret.
Car la proximité que le réalisateur parvient à créer entre nous, spectateur-rices, et ses personnages, nous permet d’atteindre une symbiose telle, que l’on finit par comprendre à un niveau viscéral leurs émois les plus intimes, jusqu’à pouvoir anticiper la plus irrationnelle de leurs décisions.
Ferrari, malgré ses rares scories, atteint sans mal cet état de grâce, pour nous faire ressentir et comprendre le poids porté par Enzo durant cet été 1957. Celui d’une obsession pour laquelle aucun sacrifice n’est trop grand, et dont le pire ennemi est le temps…
Ferrari est un film qui parle de famille, de deuil, mais surtout d’héritage, celui que l’on souhaite laisser derrière soi.
Un héritage dont l’importance éclipse parfois la bienséance la plus élémentaire et qui dévore les vies sur fond de tôles froissées et de cris étouffés par les moteurs rugissants.
Moins expérimental et fou que son spectaculaire Miami Vice, voire même le fascinant épisode pilote de la série Tokyo Vice, Ferrari n’en reste pas moins exceptionnel visuellement, avec une superbe photographie de Erik Messerschmidt (qui a collaboré avec David Fincher sur la série Mindhunter ou son récent film pour Netflix : The Killer). Seuls quelques rares plans font tiquer par la présence d’effets spéciaux trop visibles, ce qui est surprenant vu la qualité de certains.
Et Michael Mann nous montre une fois de plus qu’il sait filmer les machines… Il capte la fureur des moteurs de ces Ferrari 335 S avec la même maestria que les hors-bord de Miami Vice ! Autant vous dire que le film décoiffe.
Je pourrais parler longtemps de ce film et du cinéma de Michael Mann en général. Ses films sont importants pour moi, et le sont pour beaucoup.
Le réalisateur, aujourd’hui âgé de 81 ans, n’a peut être plus beaucoup de films devant lui, tant il peine à les monter. Comme Kurosawa à la fin de sa carrière, il semblerait que les grands réalisateurs aient les plus grandes difficultés à trouver les finances pour leurs projets. Alors quand ils y parviennent, autant ne pas passer à côté !
N’hésitez pas à partager vos films de Michael Mann préférés dans les commentaires !
PS: Toutes les images illustrant cet article, à l’exception de la photo de l’affiche japonaise prise par mes soins, sont issues du compte X (Twitter) officiel japonais du film Ferrari.
PS2: Pour en savoir plus sur Ferrari et la carrière de Michael Mann, je vous conseille de regarder ou d’écouter les podcasts de l’excellent collectif de critiques ciné : Capture Mag.
Ça n'arrivera certainement jamais mais je rêve d'une re-sortie de The Keep avec des commentaires de Mann pour expliquer la bérézina qu'a été ce film.
Un belle hommage à Mann.
Je l'admire aussi, un film de Mann tu le reconnais tour de suite... Je me souviens de la première fois que j'ai vu Miami Vice et collatéral (mes préférés) , tellement hypnotique, une photographie incroyable...
Même si je met Ridley Scott un poil au dessus, Mann fait clairement partie des plus grand !