Sculptez-les tous !
Quand les artisans japonais capturent les Pokémon, le résultat est forcément légendaire...
Sans le formidable radar culturel de mon épouse et le passage de ma famille au Japon, je serais sans doute totalement passé à côté de cette exposition Pokémon x Kogei.
J’avoue ne jamais avoir succombé aux charmes de la franchise. Alors bien sûr, en travaillant dans le jeu vidéo, il est bien difficile d’y échapper. J’ai ainsi regardé avec un certain amusement pas mal d’épisodes de la série animée originale (ceux avec les sympathiques losers de la Team Rocket), essayé de nombreux jeux vidéo, et tenté à une ou deux reprises de me lancer sérieusement dans l’un des classiques 2D de la série. Mais finalement, je suis toujours assez vite passé à autre chose.
Pourtant, ces monstres de poche font clairement partie de mon quotidien. En vivant au Japon il est en effet impossible de ne pas être exposé d’une façon ou d’une autre à la franchise. Il est tout simplement impensable de marcher plus d’une heure dans Tokyo sans croiser Pikachu ou l’un de ses potes ! Que ce soit sur le sac d’un enfant, le téléphone portable d’un salary man, le présentoir cartes à jouer d’un konbini, une publicité ou une affiche placardée sur un mur du métro, ou tout simplement dans n’importe quel magasin doté d’un rayon Jouets, un Pokémon fera à un moment ou un autre une apparition !
Au-delà même du fait que je vive au Japon, les enfants autour de moi (et par extension leurs parents !) m’amènent à régulièrement “consommer” du Pokémon. Combien de fois ai-je acheté des cartes ou récupérer des flyers Pokémon pour les ramener en France afin de les offrir à mes neveux ! Et à chaque fois que je les croise, il est quasiment impératif que je prenne le temps de passer en revue d’énormes classeurs remplis de cartes. Un rituel à la fois redouté (ils ont vraiment BEAUCOUP de cartes !) et aimé, puisqu’il m’expose à une passion qui défie le passage des années.
Une passion qui a évidemment contaminé leurs parents, ces derniers étant régulièrement le nez dans leur portable pour géo-localiser du monstre dans Pokémon GO ! Et je sais qu’ils ont craqué et installé le tout récent Pokémon Trading Card Game Pocket, sous l’impulsion du plus grand des enfants (le seul à avoir un portable). Un jeu qui permet d’ouvrir des paquets virtuels et de collectionner des cartes, ce qui m’amène à penser que je vais dorénavant devoir aussi passer en revue des classeurs virtuels !
Tout ça pour dire qu’en explorant les salles de l’exposition Pokémon x Kogei, je pouvais compter autant sur les enfants que sur les parents pour me donner le nom français des Pokémon croisés !
Cette exposition a ouvert ses portes le 1er novembre dernier et restera ouverte jusqu’au 2 février 2025. Elle n’est pas nouvelle, c’est en effet début 2023 qu’une partie de ces oeuvres ont été exposées pour la première fois au National Crafts Museum de Kanazawa. Suite à son succès, l’expo est devenue itinérante et traversera prochainement le Japon.
Mais aujourd’hui, c’est au coeur de Tokyo, dans l’une des nouvelles tours du quartier chic de Azabudai Hills, que Pokémon x Kogei s’expose.
Avant de vous parler de celle-ci et de quelques-unes des oeuvres présentées, que signifie Kogei exactement ? Kogei, ou こうげい en hiragana, est un mot composé de ces deux kanjis : 工芸. Le premier, 工 (kō), signifie la construction, tandis que le second, 芸 (gei), représente la performance ou la technique. Kogei pourrait donc se traduire littéralement par “construction artistique” ou plus simplement : “artisanat”.
Et c’est là que se loge la grande force et la spécificité de cette exposition. A travers ces Pokémon au character design indéniablement accrocheur, on découvre le travail d’une vingtaine d’artistes, des hommes et des femmes en provenance d’horizons artistiques à la fois variés et profondément japonais. Leur matière première va du textile au métal, en passant par le bois, la céramique, le verre ou encore la laque.
Prenons par exemple le formidable travail de Ueba Kasumi, dont les céramiques reprennent les motifs typiquement japonais qu’elle a appris en regardant travailler son grand-père. Ce dernier était spécialisé dans le yūzen, un artisanat japonais de teinture sur textile. À ces motifs familiaux, elle a inoculé d’autres influences, plus occidentales, ainsi que sa propre sensibilité artistique bien sûr, mais aussi les éléments (eau, plante, feu…) associés à ses modèles Pokémon.
Le travail sur verre est la spécialité de Ikemoto Kazumi, et tout particulièrement l’émaillage. Pour créer ces peintures sur vase à base d’émail, il a dû jouer (pour la première fois !) à Pokémon Épée et Pokémon Bouclier sur Switch. Une immersion qui a conduit à la création de ces saynètes via un long processus incluant des étapes comme le “soufflage” de pigments d’émail sur le verre, ainsi que de multiples cuissons.
La richesse des couleurs employées évoque les souvenirs de ses voyages. Ikemoto Kazumi a utilisé le rouge, le jaune, trois types de vert, deux bleus et un orange pâle, soit un total de huit couleurs. (...) L’émail est un matériau fabriqué à partir d’un composé métallique qui peut être cuit à basse température. Ikemoto l’utilise en le dissolvant dans de l’alcool et en le pulvérisant sur la surface du verre. Il vaporise (souffle) chaque couleur séparément, avant de retirer l’excès à l’aide d’un pinceau, puis vaporise à nouveau et rebelote. Le vase est ensuite placé dans un four électrique afin de fixer l’émail sur le verre.
(un extrait du livre de l’expo : Pokémon x Kogei - Playful Encounters of Pokémon and Japanese Craft, dont les pages - détail amusant - pullulent de QR codes renvoyant vers un Pokédex japonais !)
Ce qui est également amusant avec cette exposition, c’est que les artistes, contrairement à Ikemoto Kazumi, ont le plus souvent grandi avec les jeux Pokémon. Du coup, le choix de leurs modèles correspond souvent à des souvenirs d’enfance, ce qui donne lieu à des interprétations très personnelles conférant aux oeuvres un charme et une chaleur toute particulière.
Yoshida Taiichiro a grandi avec Pokémon Rouge et Pokémon Vert, sortis sur Game Boy en 1996 au Japon. C’est la raison pour laquelle il a décidé de recréer les différentes évolutions d’Évoli, un Pokémon de la première génération, très populaire, devenu plus tard la mascotte de Pokémon Let's Go, Évoli sur Switch.
Yoshida-san explique ainsi son choix dans le livre de l’expo :
Pourquoi Évoli ? Pokémon Rouge et Vert sont chers à mon coeur. A l’époque, la façon d’obtenir ces différents Pokémon était assez unique : il fallait l’aide d’autres joueurs.
Après quelques recherches sur Internet, et si j’ai bien tout compris, dans les premières versions de Pokémon Rouge et Vert il n’était possible d’obtenir qu’un seul Évoli par partie. Ce qui signifie que l’on ne pouvait réaliser qu’une seule évolution parmi les trois disponibles (Aquali, Voltali, ou Pyroli) et qu’il fallait obtenir les autres en les échangeant avec d’autres joueuses et joueurs via le Câble link de la Game Boy.
Yoshida Taiichiro rend ainsi hommage à ce souvenir d’enfance en créant les différentes évolutions de ce Pokémon particulier à l’aide de ce que l’on pourrait appeler des “écailles de métal”. En gros, il commence par créer une maquette en argile qui lui sert de modèle pour façonner une version en polystyrène. Il fixe ensuite sur celle-ci, un à un, des copeaux métalliques finement ciselés de couleurs et de tailles variées. Le résultat est tout bonnement époustouflant. Jugez par vous-mêmes…
Et l’expo recèle ainsi de trésors artisanaux nés du savoir-faire japonais, tous plus étonnants et originaux les uns que les autres.
Vous l’aurez compris, même un gros noob de Pokémon comme moi a été séduit par cette étonnante et fructueuse collaboration entre la Pokémon Company, Game Freak et le National Crafts Museum. Alors si vous êtes de passage par Tokyo d’ici le 02 février 2025 et avez 1600 yens (par personne) en poche, ça vaut le coup de réserver une place. D’autant plus que l’exposition Pokémon x Kogei se trouve juste à côté de la fameuse installation artistique Borderless, du collectif teamLab, composée d’un labyrinthe de pièces “lumineuses” assez épatant (là aussi une résa bien en avance est indispensable).
Petit détail : gardez vos billets ! Sans eux vous ne pourrez pas accéder à la boutique de l’exposition, située un étage en dessous, où il est possible d’acheter tout un tas de goodies uniques à celle-ci, dont une très jolie poupée et le livre de l’expo, en japonais ET en anglais.
A noter que la plupart des oeuvres présentées sont elles aussi accompagnées de notes en anglais et qu’il est possible de prendre autant de photos qu’on le souhaite, ce qui est suffisamment rare pour être souligné !
Mais attention, si vous touchez ou que l’un des enfants qui vous accompagnent touche l’une des vitrines protégeant la plupart des créations, un membre du staff rôdera autour de vous tel un Vostourno enragé !
Une petite vidéo officielle de quelques oeuvres exposées, dont certaines ont été décrites dans cet article. Si vous le souhaitez, vous pouvez cliquer ICI pour voir une seconde vidéo de l’exposition.
PS : La plupart des photos illustrant cet article ont été prises par mes soins, à l’exception des affiches de l’exposition et d’une photo officielle, marquées d’un petit ©2024 Pokémon x Kogei, qui ont été prises du site officiel Pokémon x Kogei, ainsi que du site officiel Azabudai Hills.
Plus que les donuts, ce sont surtout les hot dogs de l'affiche qui me donnent faim ! :D
Tes neveux vont réussir à te convertir ! 😏