Neva, une aventure à l'orée du Japon
Si ce jeu indépendant a été développé en Espagne, ses influences japonaises sont aussi manifestes qu'assumées. De Princesse Mononoké aux jeux de la Team ICO, Neva respire le Japon.
À l’image de l’oiseau qui traverse le ciel dans la magnifique cinématique d’introduction du jeu, le doute est foudroyé dès les premiers instants…
Si Neva a été développé en Espagne, son coeur est définitivement japonais.
Lorsque l’oiseau, fauché dans les airs par un mal inconnu, touche le sol et que surgissent de son petit corps sans vie d’inquiétantes fleurs noires, l’ombre d’une petite louve apparaît pour le recouvrir, tel un linceul. Elle est vite rejointe par Alba, une jeune guerrière à la chevelure grise, suivie de près par une louve blanche adulte, à la taille démesurée.
Impossible en les voyant apparaître de ne pas immédiatement songer à Princesse Mononoké…
Le long métrage des studios Ghibli, sorti en 1997 et réalisé par Hayao Miyazaki, est un chef d’oeuvre inoubliable et l’une des créations animées les plus crues et matures du réalisateur japonais. Il met en scène une nature d’une saisissante beauté, en lutte avec un “mal” dévorant ses forêts et l’esprit de ses divinités ancestrales, au point de les transformer en monstres hors de contrôle.

La nouvelle aventure créée par le studio indie Nomada rend indéniablement hommage à Princesse Mononoké.
Situé à Barcelone, l’histoire de ce studio rappelle celle du développeur canadien MDHR, à l’origine de Cuphead. Comme lui, l’équipe de Nomada est composée d’artistes hétéroclites, qui ne viennent pas uniquement du jeu vidéo, mais aussi de l’illustration, de la peinture et du graphic design. Et comme Studio MDHR avec Cuphead, Nomada a connu un retentissant succès avec son premier jeu, Gris, sorti fin 2018. Il est d’ailleurs amusant de voir à quel point ces deux titres se distinguent par la radicalité de leur direction artistique.
Neva emprunte à Mononoké son couple de héros bien sûr, mais également sa noirceur, ainsi que sa puissance évocatrice. La vie fauchée en plein vol de l’oiseau mentionné en début d’article, est suivie quelques instants plus tard par la mort de la gigantesque louve.
Terrassée par une nuée d’ombres qui rappellent celles cherchant à s’emparer de la jeune captive dans le jeu ICO (une autre influence japonaise de Neva, mais nous y reviendrons), elle laisse derrière elle la jeune guerrière Alba, et la petite louve qui donne son nom au jeu.

De Mononoké, on retrouve également la dévastation progressive d’une nature féérique, ainsi que la corruption de ses créatures. Tel ce gigantesque sanglier, une créature paisible dont la carcasse contaminée finit par servir de dangereuse marionnette au mal qui tente de stopper Alba et Neva.
Mais le design de ses créatures fantastiques s’inspire aussi d’autres oeuvres de Hayao Miyazaki. On retrouve par exemple le Sans Visage (Kaonashi) du Voyage de Chihiro, la forme noire protéiforme et masquée qui parvient à entrer dans le Onsen de la sorcière Yubaba.


Outre le design de ses protagonistes, Neva emprunte aux long-métrages du studio Ghibli la qualité de leur animation.
Une animation dont la fluidité et la “physicalité” font partie intégrante du genre Cinematic Platformer…
Neva, tout comme Gris, appartient en effet au genre action / aventure cinématique défini par le Another World d’Eric Chahi (91) et le Prince of Persia de Jordan Mechner (89). Un genre qui privilégie la découverte relativement linéaire d’un monde, à travers une approche plus cinématographique reposant sur une animation et une narration visuelle particulièrement soignées.

Tout comme dans Another World, où le joueur devait composer avec un allié improvisé (un extraterrestre dont il ne comprenait pas le langage), Neva parvient à créer un lien fort entre le joueur, qui incarne Alba, et la jeune louve qui l’accompagne, contrôlée par le jeu. Une relation maternelle, où l’on doit protéger, rassurer et guider le jeune animal, au départ facilement distrait et intimidé.
Un bouton lui est d’ailleurs entièrement dédié et sert tout simplement à l’appeler. Le ton employé par Alba change naturellement en fonction de la situation : inquiet, parfois impatient, souvent doux et rassurant… Neva étant pour ainsi dire le seul mot que l’on entendra réellement au cours des 4-5 heures que dure cette aventure.
Durant cette pérégrination, scindée en quatre saisons, on verra Neva grandir, gagner en autonomie et acquérir de nouveaux pouvoirs. L’une des jolies idées du jeu est d’ailleurs basée sur le rééquilibrage progressif de cette relation de dépendance. Si Alba doit au départ protéger Neva, petit à petit c’est la louve qui apprendra à défendre la jeune guerrière. À la manette, cela signifie que l’on se reposera de plus en plus sur les capacités de la louve, nos propres pouvoirs (maniement de l’épée, saut et dash) n’évoluant jamais.
Quelle étonnante capacité que celle du jeu vidéo à pouvoir créer des liens émotionnels aussi forts avec des entités virtuelles…
Il est évident que nos battement de coeur s’accélèrent lorsque la louve est en danger ! On s’inquiète quand elle sort de l’écran pour disparaître de notre champ de vision, et notre coeur fait un bond lorsqu’on l’entend glapir. On finit par naturellement vouloir la rassurer et la prendre dans ses bras lorsqu’elle vient de vivre un moment traumatisant.
Le Cinematic Platformer et ses descendants 3D, comme ICO (inspiré par Another Word !), s’est souvent distingué par son aptitude à créer une forte connexion entre le joueur et ses compagnons virtuels, quels qu’ils soient.
Ce lien rappelle celui qu’a toujours su créer Fumito Ueda dans ses jeux, de ICO (2001) à The Last Guardian (2016), en passant par Shadow of the Colossus (2005). Que ce soit en tenant la main d’une jeune fille, en tentant de communiquer avec un chat-oiseau géant, ou simplement en confiant sa vie à sa fidèle monture, le directeur créatif japonais est passé maître dans la narration par l’image et l’implication émotionnelle du joueur.
Le studio Nomada et son directeur créatif, Conrad Roset, ont appris des meilleurs, et parviennent avec Neva à rendre un bel hommage à Fumito Ueda et Hayao Miyazaki. Mais pas seulement ! Les développeurs citent également FromSoftware et la série Dark Souls comme référence. Une série qui fut elle-même énormément influencée par… ICO, dans son approche silencieuse et minimaliste du world building !


Visuellement, le voyage proposé par Neva est un enchantement de tous les instants. Un peu comme si Mario sautait de tableau de maître en tableau de maître !
Combien de fois ai-je posé la manette pour me baigner dans l’atmosphère de ces forêts touffues, éclairées de manière diffuse par des rayons de soleil peinant à se frayer un chemin à travers leur feuillage…



Plus on avance dans l’aventure, plus les décors basculent dans le surréalisme et un minimaliste faisant la part belle à de fascinants et sublimes jeux de couleurs. Il est bien difficile de ne pas couvrir la direction artistique du jeu de superlatifs, tel un peintre ivre virevoltant autour de sa toile pour l’arroser de peinture à grands coups de pinceau enthousiastes !
J’adore également ces petites phases de transition où les personnages se dérobent à notre regard avant de changer de “scène”, comme pour mieux nous préparer au changement de perspective ou d’environnement, mais aussi pour mieux nous surprendre. Des fondus au noir interactifs en quelque sorte, qui agissent comme des sas sensoriels.
Cette “mise en scène” des espaces naturels du jeu m’a rappelé le travail des architectes paysagistes japonais responsables des jardins zen, comme celui du temple Jikō-in près de Nara. Un art sur lequel j’ai énormément appris grâce au livre Zelda : le jardin et le monde (chez Façonnage Editions) de Victor Moisan, un journaliste et écrivain français vivant à Kyoto.



Neva, plus qu’un jeu d’action / aventure, est un ravissement permanent. Une promenade dans une galerie interactive dédiée aux paysagistes impressionnistes. Le tout bercé par la magnifique musique du groupe barcelonais Berlinist, qui avait déjà signé la bande originale de Gris.
Le gameplay du jeu s’appuie tout autant sur un système de combat efficace bien que minimaliste, que sur des phases de plates-formes souvent inventives, exigeantes aussi, et parfois mâtinées de puzzle. Rien de bien insurmontable, rassurez-vous. Plus que du challenge, Neva cherche avant tout à créer de l’empathie et une enivrante immersion sensorielle.
On notera d’ailleurs qu’il est tout à fait possible de grandement simplifier le jeu en sélectionnant le mode Histoire, où la mort est proscrite et la difficulté réduite.
La seule vraie “fausse note” du jeu est le bruitage grossier de la mort d’Alba, amplifiée par l’utilisation du haut-parleur de la manette DualSense sur PlayStation 5. Alors bien entendu, en 4-5 heures il est difficile de développer avec la jeune louve un attachement aussi fort que celui proposé par les titres de Fumito Ueda, mais le jeu n’en reste pas moins une indéniable réussite, et s’impose derechef comme l’un des nouveaux fleurons du genre Cinematic Platformer.
Neva est une courte et inoubliable aventure, à la fois mélancolique et angoissante, à côté de laquelle il serait dommage de passer, surtout si vous aimez Princesse Mononoké !
PS : Toutes les images et vidéos de Neva illustrant cet article ont été capturées sur PlayStation 5, par mes soins, à partir d’une version commerciale du jeu. Les images des films Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro proviennent du site officiel japonais du studio Ghibli. Les illustrations de Pascal Campion, une influence mentionnée dans un article du New-York Times, sont tirées du compte X officiel de l’illustrateur. Le screenshot du jeu Another World est issu de sa page Steam et celui de Journey du site officiel de son directeur artistique, Matt Nava.
PS2 : Si vous désirez en savoir plus sur les développeuses et les développeurs de Neva, un petit making of promotionnel a été réalisé par Devolver Digital, l’éditeur du jeu.
Alors encore une fois, un article dithyrambique sur un jeu qui semble ne l'être pas moins, mais gosh, trop de spoils 😔
Bon ça n'entachera pas mon envie de me le procurer ni d'y jouer mais ça gâche un peu l'expérience...
Après comme je le disais dans l'article qui l'annonçait y a quelques semaines, ça reste un jeu coup de coeur rien que sur le principe qu'il vienne d'un excellent studio, gage de sérieux et de succès, donc forcément dans la pile à jouer 😊
Ne pas lire, ne pas lire, ne pas lire…
Bah oui tu vas encore me faire raquer. 👀😀