Mrs. America : n’oublions pas les leçons du passé
Se battre pour ses droits peut ressembler au supplice de Sisyphe pour les femmes cherchant à faire entendre leur voix… Une mini-série historique terriblement dans l’actualité.
Mrs. America est une mini-série aux multiples visages.
C’est une minutieuse reconstitution historique (à quelques retouches près) de l’Amérique des années 70, alors en pleine libération sexuelle et émancipation culturelle d’après guerre (celle du Vietnam) ; une plongée dans les coulisses de la politique et du lobbying “made in USA” ; ainsi qu’une analyse de la montée en puissance d’une droite conservatrice symbolisée par l’arrivée au pouvoir de l’acteur Ronald Reagan…
Mais Mrs. America est aussi et surtout une série composée d’éblouissants portraits féminins (chaque épisode, ou presque, porte le nom d’un personnage).
Créée par Dahvi Waller, qui est à la fois autrice, showrunner et productrice exécutive de la série FX (d’abord diffusée sur Canal + et aujourd’hui visible sur Disney + en France), cette mini-série de 9 épisodes d’une heure environ m’a littéralement saisi au collet. En fait, elle est parvenue à me mettre aussi mal à l’aise qu’une autre, et tout aussi exceptionnelle, mini-série : Tchernobyl.
Ces deux oeuvres télévisuelles partagent de nombreux points communs : l’histoire avec un grand H (Dahvi Waller est diplômée en Histoire) ; l’utilisation des erreurs et errances du passé pour nous faire réfléchir au présent (Dahvi Waller a travaillé sur les séries Mad Men et Halt and Catch Fire) ; et une profonde - pour ne pas dire douloureuse - humanité.

Mrs. America, comme Tchernobyl, est une série visuellement sublime. D’un point de vue purement esthétique bien sûr, avec des décors et des costumes favorisant grandement notre immersion dans cette singulière Amérique des années 70… Pourtant, c’est aussi une série incroyablement pénible à regarder. En tout cas, ce fut mon ressenti.
Car la série parvient par la qualité de son écriture, de sa réalisation, et surtout de son interprétation à créer un profond sentiment de malaise.
La fameuse Mrs. America de la série n’est autre que Phyllis Schlafly, une mère au foyer qui luttera contre la ratification de l’ERA (Equal Right Amendment), soit la reconnaissance de l’égalité des hommes et des femmes, à la Constitution. Ce personnage terrifiant est interprété par l’actrice Cate Blanchett, qui livre une fois de plus une performance inoubliable.

Habitée par la peur (celle d’une guerre nucléaire), dévorée par ses propres contradictions, régulièrement humiliée par son mari au moment où elle a besoin de lui, ce personnage profondément dérangeant (mais néanmoins terriblement humain) est l’un des coeurs de la série.
Pour parvenir à ses fins, Phyllis Schlafly trahira ses amies les plus proches, une partie de sa famille, certaines de ses valeurs, et la plus élémentaire des décences (comme le fait de s’opposer clairement au racisme ou aux violences conjugales).
Car Mrs. America parle avant tout de cela : de décence. Celle consistant à défendre (voire simplement à écouter !) les plus faibles, mais aussi celles et ceux qui pensent et vivent autrement. La décence pour une femme de pouvoir disposer de son corps comme elle l’entend. La décence pour un couple gay de pouvoir vivre comme n’importe quel couple. La décence, une nouvelle fois, pour une femme de pouvoir être traitée comme autre chose qu’un objet ou une pièce de mobilier…
Cate Blanchett n’est pas la seule à briller dans cette série. Sarah Paulson (dans le rôle d’Alice, une amie de Phyllis), Rose Byrne (dans celui de Gloria Steinem, une grande figure du féminisme), Margo Martindale (Bella Abzug, une politicienne démocrate) ou encore Tracey Ullman (Betty Friedan, autrice célébrée de l’essai féministe La Femme mystifiée)... Toutes les actrices livrent dans cette mini-série des performances granulaires d’une immense subtilité.
Granulaires, dans le sens où leurs personnalités sont explorées avec une honnêteté parfois assez crue ; leurs convictions, egos ou agendas rentrant par moment en conflit avec les valeurs qu’elles souhaitent défendre.
La série se déroulant sur toute une décennie, elle laisse aussi à ses personnages le temps d’évoluer et de se développer, parfois de manière franchement bouleversante.
Mrs. America est ainsi une série d’une immense richesse émotionnelle, qui surprend sans cesse par sa capacité à créer d’incroyables moments de grâce, mais aussi de profonds moments de malaise en nous confrontant à des situations terribles, où l’humanité la plus basique est bafouée devant nos yeux.
Et ce malaise n’en est que décuplé face à la remise en question actuelle (pas seulement aux US, mais partout dans le monde, y compris en France !!) du féminisme bien sûr, mais aussi de nos droits et des valeurs les plus basiques.
Le dernier “acte politique” de Phyllis Schlafly, décédée en 2016 à l’âge de 92 ans, a été d’écrire un livre soutenant la candidature de Donald Trump.
Mrs. America, diffusée en 2020, n’a jamais été autant d’actualité. Ce miroir du passé nous montre le danger de se laisser dévorer par la peur, de fermer les yeux face à la montée du fascisme, et de renoncer à ce qui fait de nous des êtres humains. Cette série fonctionne comme une sonnette d’alarme. Et ce qui la rend déstabilisante est aussi ce qui la rend nécessaire.
Franchement, ne passez pas à côté, cette petite merveille est encore bien trop méconnue à mon sens…
PS: Toutes les images illustrant cet article sont tirées du compte X (Twitter) officiel de la série FX.
Dans ma liste depuis un moment celle-ci, le texte donne bien envie !
Tu donnes sacrément envie. Ça a tjs un cachet particulier les séries qui retranscrivent les 60/70’s.