Le chat yokaï et la jeune fille abandonnée
Sorti en 2024 mais découvert tout récemment, Anzu chat-fantôme m'a enthousiasmé par son ton incisif et son animation d'un réalisme confondant (grâce à la magie de la rotoscopie !).

Il est impossible de s’intéresser à culture japonaise sans rapidement tomber nez à nez avec un chat.
De Hello Kitty au Maneki-neko (le chat à la petite patte dressée qui nous accueille à l’entrée de nombreuses boutiques), il a littéralement investi l’espace public.
L’un des classiques de la littérature japonaise est Je suis un chat de Natsume Sōseki, écrit au début du XXe siècle, et met en scène un chat sarcastique se moquant des humains qui l’entoure. Dans le jeu vidéo Shenmue j’ai été marqué par la scène où l’on voit les habitants de notre quartier nourrir les chats errants du coin ; et après avoir constaté lors de mes premiers voyages au Japon à quel point celle-ci s’inspirait de la réalité, Shenmue est à jamais lié dans mon esprit à la figure du chat.






Dans l’animation, j’associe fortement le chat aux longs-métrages du studio Ghibli et tout particulièrement Kiki la petite sorcière, Mon voisin Totoro (le chat-bus !!) et Le Royaume des chats. Mais le chat animé qui m’a le plus amusé est probablement celui de Kié la petite peste, réalisé en 1981 par Isao Takahata, peu de temps avant qu’il ne fonde le studio Ghibli aux côtés de Hayao Miyazaki.
Dans cet hilarant et touchant long métrage, on suit les aventures d’une petite fille obligée de palier aux absences d’un père irresponsable et infantile aux côtés de son chat Kotetsu, aussi “badass” que bien trop humain. Et étonnamment, résumé ainsi, ce film ressemble à s’y méprendre à celui qui nous intéresse aujourd’hui : Anzu chat-fantôme !

Dans cette co-production franco-japonaise sortie en 2024, on suit aussi une petite fille vivant seule avec un père en roue libre. Magouilleur à la petite semaine criblé de dettes, ce dernier vit sur le fil du rasoir avec Karin, sa fille de 11 ans, et on le découvre au moment où il tente d’extirper de l’argent à son père qu’il n’avait pas vu depuis des années. En fait lorsqu’il débarque dans le temple où son père travaille en tant que moine, ce dernier ne le reconnaît même pas !
Après s’être vu opposer un refus catégorique à sa demande de “prêt”, il décide de laisser sa fille derrière lui, aux bons soins de son grand-père, le temps de remettre de l’ordre de sa vie.
C’est ainsi que Karin se retrouve “abandonnée” dans ce temple perdu à la campagne, bien loin du Tokyo où elle a grandi. Et c’est ici qu’elle fait immédiatement la plus étrange des découvertes : son grand-père vit avec un bakeneko, un chat yokaï qui se comporte comme un être humain.
Karin est une héroïne atypique.
Comme son père, elle fait montre d’un sens aigu de la manipulation, n’hésite pas à mentir pour attirer la sympathie, et possède ce petit côté hautain et prompt au jugement que l’on associe généralement aux habitants des grandes villes, que ce soit Paris ou ici Tokyo.
Lorsqu’elle croise Anzu, le clash est instantané et sa moue ne laisse aucun doute sur ce qu’elle pense de ce chat yokaï aussi débonnaire que sarcastique. Anzu, quant à lui, vit comme un être humain. Il habite chez le moine et grand-père de Karin qui l’a accueilli lorsqu’il était petit, l’aide au quotidien, donne des massages à des personnes âgées, fait la fête (souvent en mode arrosé) avec ses amis, qu’ils soient yokaïs ou humains…
Et lorsque qu’il se voit confier la responsabilité de veiller sur de Karin, il est loin de sauter de joie !
Sans trop rentrer dans les détails, histoire de ne rien spoiler, la relation entre la jeune fille et le chat yokaï évoluera de façon assez drastique, surtout lorsque Karin fait elle aussi la rencontre des amis yokaïs de Anzu et finit par partager ses véritables sentiments et la souffrance qu’elle réprime, liée à l’abandon de son père, et surtout au décès de sa mère il y a quelques années.

Techniquement, Anzu chat-fantôme est un ravissement.
Dès les premiers mouvements des personnages, un petit déclic se produit dans notre esprit. Ils bougent avec une profusion de détails assez rare, et un naturel troublant… Une espèce de petit côté dégingandé aussi, surtout Anzu !
En fait, ils bougent comme nous.
Le film est en effet né de l’étonnante collaboration d’un réalisateur, Nobuhiro Yamashita, et d’une réalisatrice, Yoko Kuno. Anzu chat-fantôme a ainsi été entièrement réalisé en live par Nobuhiro. Et Yoko a assisté au tournage autant que possible, afin de s’imprégner de la direction des acteurs et des actrices, pour ensuite “refaire” le film en animation, en retraçant les silhouettes et leurs mouvements de manière à les transposer en dessins animés.
Bien sûr, les visages ont été changés, les décors totalement réinventés, et les créatures fantastiques inventées tout court. Jugez par vous-mêmes avec cette vidéo comparative ! 👇
Il est évident que la collaboration a été fructueuse. Le style du réalisateur indépendant Nobuhiro Yamashita, influencé par des artistes naturalistes tels que Takeshi Kitano, Aki Kaurismäki ou Jim Jarmush, est palpable. Mais le travail orchestré par Yoko Kuno, en particulier sur les visages, leurs expressions et mimiques, apporte à l’oeuvre une finesse unique.
Et le côté atypique de la fabrication de ce long-métrage animé ne s’arrête pas là !
Le film est en effet basé sur l’excellent manga de Takashi Imashiro, publié en 2007, qui suit les aventures du chat yokaï Anzu, sous la forme de saynètes de vie. Si la plupart des personnages secondaires du film sont déjà là, que ce soit en termes de character design, de personnalités ou de récits, Karin et son père à la ramasse sont des créations originales.

Et c’est un certain Shinji Imaoka qui s’est occupé d’adapter le manga et d’écrire le scénario du film. Un choix étonnant, ce dernier étant surtout connu pour avoir réalisé des films érotiques (!), appelés pinku eiga (ピンク映画 / film rose) au Japon. À titre d’exemple il a réalisé en 2011 Underwater Love, une comédie érotico-romantico-musicale totalement fauchée, où une jeune femme sur le point de se marier entame une relation charnelle avec un… yokaï (un kappa) !
Le voir débarquer au scénario d’un film d’animation, qui plus est visant un public enfantin, est pour le moins surprenant. Mais j’ai la sensation qu’il a grandement contribué au côté à la fois débridé et cru des interactions entre les personnages.
Anzu chat-fantôme est un film d’animation absolument ravissant.
Animé d’une sensibilité et d’un réalisme nés du mélange détonnant des personnalités et compétences à son origine, il ne cesse de surprendre.
Comment ne pas s’émerveiller face à sa capacité à créer des personnages d’un naturel confondant, dont l’animation et le comportement parviennent à façonner un monde à la fois hyper-réaliste et poétique. Pourtant cette quête de réel, en partie née de la rotoscopie, contribue d’une façon détournée à accueillir le fantastique avec une déconcertante élégance.
Bref, j’ai adoré. Et je vous conseille de donner sa chance à Anzu chat-fantôme si, comme moi, vous êtes passé(e)s à côté en 2024 !
PS: Toutes les images du film Anzu chat-fantôme illustrant cet article sont tirées des sites officiels de Diaphana Distribution et de Miyu Production, qui a co-produit le long-métrage animé aux côtés de Shin-Ei Animation. Certaines des informations et des détails de la production de Anzu proviennent des interviews présentes dans le dossier de presse du film et de celle réalisée par le site américain Deadline en janvier 2025.
Découvert à Annecy, très chouette film avec une patte particulière, j'avais halluciné aussi quand j'ai découvert les vidéos making of et tous les extraits de tournage
Merci, Thierry, pour cette belle recommandation! Je précise de ce premier message pour dire que je rattrape les épisodes du Pixel Bento avec une certaine gourmandise. La qualité des échanges et des recherches faites pour chaque sujet force le respect.