Le cru 2023 du BitSummit fut excellent ! Mais ça, vous le savez déjà si vous avez écouté notre Pixel Bento hors-série - Let’s Go ! Un Pixel Bento made in Kyoto ! - consacré au salon du jeu indépendant qui se déroule chaque année en période estivale à Kyoto.
Il n’a pas fallu attendre longtemps avant de tomber nez à nez avec l’un de mes premiers coups de cœur du salon, KarmaZoo, qui occupait un espace proche de l’une des entrées, sur le stand Devolver Digital. Quatre écrans géants placés côte à côte où l’on pouvait jouer de 2 à 4… ensemble ! KarmaZoo est en effet un titre “feel good” où la collaboration n’est pas seulement encouragée mais nécessaire. La philosophie du jeu est contenu dans son titre, mais également dans l’ADN de son géniteur : Pastagames, un studio de développement français connu pour son approche festive et chaleureuse du jeu vidéo. Ils ont ainsi développé le bien trop méconnu jeu de rythme Maestro! Jump in Music sur Nintendo DS en 2009 - où l’on dirigeait un petit oiseau rose nommé Presto sur des lignes musicales que l’on faisait vibrer à l’aide de son stylet ! - mais aussi l’excellent jeu de plates-formes/puzzle Arkedo Series 03: Pixel! la même année.
Series 03: Pixel! marqua, à mon sens, un tournant dans l’histoire de Pastagames. Pour commencer, le jeu mettait en scène un petit chat rigolard tout en pixels qui allait devenir la mascotte du studio de développement parisien. Il est ainsi la star de Pix’n Love Rush (2010), de Pix le Chat (2014) et fait bien entendu partie de la cinquantaine de personnages jouables dans KarmaZoo (fin 2023) ! Dans Series 03: Pixel! on dirigeait donc cet adorable petit chat haut de quelques pixels qui sautait de bloc en bloc dans la plus pure tradition du jeu de plates-formes, mais avec un twist majeur… Le joueur pouvait en effet zoomer et rentrer dans certains blocs pour aller examiner son labyrinthe de pixels à l’aide d’une loupe, et ainsi tenter de mettre la main sur un trésor caché dans le temps imparti ! Pix le Chat, lui, était un mélange de Pac-Man et de Snake dans un monde fractal, où l’on pouvait naviguer entre plusieurs dimensions et ainsi, pour reprendre les mots de Fabien Delpiano : “exploser la notion de distance”.
Nous avions en effet reçu le fondateur du studio Pastagames à Nolife, dans le cadre de l’émission Extra Life, en septembre 2014, afin qu’il nous parle de Pix le Chat. “La notion de distance est centrale dans un jeu comme Snake, puisque l’on se trimballe une queue énorme derrière soi, et que le but est de ne pas s’enfermer. Et donc là, l’avantage c’est qu’en descendant ou en remontant dans les dimensions, on va pouvoir aller enrouler et enfermer notre queue dans des endroits qui sont beaucoup plus denses au niveau spatial.” Un concept brillant, qui renvoie à la première apparition du petit chat Pix, et qui illustre parfaitement l’approche à la fois ludique, expérimentale et organique du game design ‘à la Pastagames’. Une approche qui allait devenir la marque de fabrique du studio et que l’on retrouve bien évidemment avec KarmaZoo, leur jeu le plus personnel depuis Pix le Chat justement !
Présenté pour la première fois sur un salon, KarmaZoo s’exposait sur quatre écrans géants où autant de joueurs pouvaient collaborer afin de parvenir au bout d’une série de niveaux. Une version développée spécialement pour le BitSummit en version “mini”, puisque KarmaZoo est plutôt conçu pour accueillir des groupes de 10 joueurs ! Il s’agit d’un jeu de plates-formes pixel art où les joueurs incarnent des personnages disposant des mêmes aptitudes de base (comme le double saut, la capacité de s’accrocher à un mur, d’envoyer des cœurs ou de chanter… nous y reviendrons !) et d’UN pouvoir unique. “On ne voulait surtout pas faire un jeu où l’on t’enlève quelque chose pour te donner quelque chose”, comme nous l’a expliqué Nadim sur le salon. “Tout le monde a la même base ET un bonus unique. Après il y a des bonus qui sont très proches… La lampe et la lanterne ont différentes formes de faisceaux (qui servent à révéler des plates-formes ou des passages invisibles par exemple); l’éléphant et le bison vont tous les deux charger et péter des murs devant, même s’ils ne se jouent pas exactement pareil. Il y en a un qui va sauter plus haut mais aller moins vite, de petites différences assez subtiles”. Nadim Haddad est l’un des créateurs de KarmaZoo et un vétéran de Pastagames. Il a travaillé sur d'innombrables jeux du studio dont notamment l’excellent Rayman Jungle Run sur mobiles. C’est lui qui présentait le jeu aux côtés d’un autre développeur et du staff de Devolver Digital, éditeur du titre, et il a gentiment accepté de répondre à mes questions comme celle-ci, sur l’origine du concept d’un jeu totalement centré sur la collaboration. Et sa réponse fut pour le moins… surprenante ! “Le point de départ de KarmaZoo, c’est le métro à Paris, mais surtout les portes lourdes à la sortie des stations…”.
“Tu sais, c’est un peu agressif le métro le matin, ça se bouscule un petit peu, les gens veulent tous arriver à l’heure. Et pourtant… ils se tiennent la porte en sortant ! Et il y a beaucoup de mercis qui fusent à ce moment-là. C’est comme ça que l’on a eu cette pensée : le contexte peut créer et modifier le comportement. Et à Paris, il y a ce petit bout de bitume sous les portes du métro qui voit vivre beaucoup de mercis, de sourires et beaucoup de gentillesse. Donc si on fait un jeu dans lequel tu es obligé d’attendre l’autre, et que contextuellement tu as besoin de l’autre pour avancer, les gens vont alors peut être avoir envie de continuer à être cool, à être relax, à dire merci. Ça c’était le point de départ. Ça s’est conjugué ensuite avec les pingouins sur la banquise.”
Oui, oui, j’ai moi aussi haussé les sourcils à ce moment-là de l’interview !
“Les pingouins sur la banquise fonctionnent comme les pelotons de cyclistes pendant le Tour de France où tu as toujours celui qui prend le vent devant. Pour les pingouins c’est pareil mais avec le froid. Tu as ceux qui restent à l’extérieur et encaissent le vent glacial pour protéger le groupe, avant de céder leur place pour revenir au centre de la colonne et se réchauffer. C’est ce principe qui nous intéressait. Ce n’est pas toujours aux mêmes de prendre la charge. On partage la tâche quoi… Tu sais des fois tu arrives au boulot le matin et tu n’as pas envie de bosser. Alors ce sont les autres qui vont bosser pour toi. Et puis le lendemain c’est toi qui va bosser pour eux. C’est ce partage qui nous plaît bien”.
La métaphore des pingouins sur la banquise est particulièrement bien adaptée à KarmaZoo, pour deux raisons. La première, c’est qu’il est impossible de survivre longtemps en s’éloignant des autres. Lorsqu’ils sont ensemble, une bulle protectrice enveloppe tous les joueurs. Mais si un joueur s'éloigne, sa bulle va se détacher, puis commencer à s'effriter, pour finalement exploser. “En cours de développement on a décidé de se recentrer sur UNE équipe qui avance ENSEMBLE, parce que l’on avait rapidement des comportements de joueurs qui voulaient partir seuls en tête. Et c’est normal, ceux qui ont plus de skill se disent qu’ils vont aller devant pour ouvrir toutes les portes et ainsi de suite, mais ça cassait notre idée de groupe. On a donc fini par créer le système d’auras (bulles) où tu es obligé de ne pas partir trop loin. L’idée est arrivée au moment de notre coup de cœur pour le revenu universel, et le slogan qui est venu avec : ‘seul on va vite, mais ensemble on va plus loin’ ! Ça nous avait beaucoup touché à l’époque et on s’était dit que ça collait bien à notre jeu. Parce que dans les jeux vidéo, c’est vrai qu’il est facile de tracer quand tu es fort. Mais si tu as besoin des autres, il faut travailler avec eux”. La seconde raison pour laquelle la métaphore des pingouins sur la banquise fonctionne à merveille, c’est que comme dans les pingouins du film animé Madagascar, le but de KarmaZoo est de s’échapper ! Parce qu’un zoo n’est rien d’autre qu’une prison.
Le petit dernier des studios Pastagames fait donc la part belle à l’entraide avec des mécaniques de jeu absolument adorables, comme les Cœurs que l’on envoie pour renforcer la bulle protectrice d’un joueur esseulé, ou le Chant qui permet d’influer sur l’environnement (comme retourner une plate-forme dont l’une des surfaces est couverte de pics par exemple) afin de faciliter l’ascension et la progression des autres joueurs. “On adore Journey par exemple, et le principe de se faire aider ou d’aider un étranger. Collaborer avec des amis c’est facile, c’est cool. Il y a plein de jeux de collaboration avec des potes, et on adore y jouer. Mais avec des inconnus, je trouve qu’il y a un truc ajouté, un petit plus… une politesse ajoutée ! Souvent tu te comportes mieux avec des joueurs que tu ne connais pas que tu ne te comportes avec tes propres amis, que tu as envie de troller !”. L’enthousiasme de Nadim pour son jeu était communicatif et les deux courtes parties que j’ai pu faire avec des joueurs japonais m’ont clairement donné envie d’en voir plus. D’autant plus que seul le mode principal coopératif, baptisé LOOP, était jouable sur le BitSummit, alors qu’il proposera dans sa version finale 7 mini-jeux compétitifs - dans le mode TOTEM - en ligne (jusqu’à 10, comme pour le coop’), mais aussi en local (jusqu’à 8) ! “En ligne c’est chacun son écran, chacun sa vie, mais on est tous ensemble. Et après tu as le mode TOTEM. On allait tout de même pas faire un jeu multijoueur sans mode multi local quoi ! On a donc ajouté ce mode là pour dire on veut aussi un truc un peu sucré. Le plat salé, les aubergines grillées, c’est cool, mais à un moment donné tu veux un bon MacDo pour caler tout ça ! On a des Courses avec des écrans qui scrollent, des épreuves sur écran fixe où tu dois ramasser des trucs qui apparaissent plus vite que les autres… Des mini-jeux très simples”.
Tout a été fait pour que KarmaZoo soit le plus convivial, le plus accessible possible, et réellement jouable par tous, de 3 à 1OO ans ! La prise en main a été étudiée pour, la difficulté baissée, le jeu traduit en 22 langues, et il sortira sur quasiment toutes les plates-formes… en Crossplay ! Même la “mort” d’un joueur ne peut arrêter l’entraide dans KarmaZoo !! Comme va nous l’expliquer Nadim, a qui on laisse par la même occasion le mot de la fin de cette petite avant-première en provenance de Kyoto !
“Je suis un gros joueur de jeux de plateau. Et les jeux de plateau où les gens perdent et doivent attendre que les autres finissent, ça c’est non ! Avec KarmaZoo, on peut toujours continuer à jouer. Même quand tu perds ta lumière, lorsque tu deviens une âme flottante, et bien tu peux encore éclairer et interagir avec les autres de différentes façons. Et si un seul membre de l’équipe survit, tout le monde sera réanimé à la fin du niveau pour pouvoir continuer au prochain. Il en suffit d’un ! Il suffit que l’équipe pousse une personne à aller à la fin, et sur l’écran de transition, où tu as la petite équipe qui avance, hé ben tout ceux qui ont perdu leur corps reviendront à la vie. Leur lumière renaît, et ils envoient des cœurs de remerciement, de gratitude, de ‘merci de nous avoir amené au prochain niveau’. C’est l’équipe qui te porte à la victoire !”.
Retrouvez mes impressions ainsi que celles de Marc sur le BitSummit 2023 dans le Hors Série de Pixel Bento consacré au salon, dont voici un tout petit extrait !
PS 1: les photos illustrant cet article ont été prises par mes soins, tandis que les captures d’écran de KarmaZoo et des autres jeux de Pastagames proviennent de leur site officiel.
PS 2 : l’interview de Nadim Haddad a été enregistrée en juillet lors du BitSummit 2023 (merci à lui !!) et a été légèrement retouchée afin de gagner en clarté !