Frieren, une aventurière hors du temps
La série Frieren raconte ce qui se passe lorsque les héros ont vaincu le boss de fin. Pour l’un d’eux, une elfe, cette aventure est un instant de vie, alors que pour tous les autres, c’est une vie…
Le manga et la série animée Frieren commencent là où la plupart des jeux de rôle se terminent.
Au bout d’une longue quête, riche en aventures, un groupe de héros est parvenu à vaincre le roi des démons et se rend dans la capitale du royaume où ils sont accueillis par une foule en liesse. Après avoir reçu les éloges du roi, ils passent ensemble une dernière nuit illuminée par les feux d’artifice tirés en leur honneur et une pluie de météorites dont la rareté souligne la solennité du moment. C’est la fin de leur quête, la tension retombe, les souvenirs jaillissent, et finalement chacun commence à imaginer un futur hors du groupe. Mais le destin qui attend ses membres ne pourrait être plus différent.
Himmel, le héros humain du groupe, décide de chercher du travail et de rester vivre dans la capitale. Eisen, le nain guerrier dont la discrétion va de paire avec la longue barbe qui dissimule sa bouche, reste plus évasif sur ses intentions. Heiter, le prêtre humain porté sur la bouteille, rejoint la Cité Sainte pour y officier. Quant à Frieren… Frieren, elle, a un peu de mal à être dans le moment et à comprendre que ses camarades s’apprêtent à tourner une page importante de leur vie. Pour eux, la fin de cette quête est une apogée, elle marque un moment signifiant de leur existence. Mais Frieren est une elfe… Pour elle cette aventure de 10 ans n’est rien de plus qu’une anecdote, un moment sans doute plus intense que la normale, mais d’une brièveté non moins confondante.
Lorsqu’elle quitte ses amis pour repartir à l’aventure et leur donne rendez-vous dans… 50 ans, c’est à peine si elle peut saisir la gravité du moment. Frieren est un être que l’on suppose âgé de plus de 1000 ans, et n’est pourtant encore qu’une adolescente, ou tout du moins une jeune adulte, pour une elfe. Pour elle, le tumulte des émotions ressenties lors de cette séparation par ses coéquipiers d’un “instant”, est incompréhensible. Ce n’est que 50 ans plus tard, lorsqu’elle revient dans la capitale, davantage pour récupérer un artefact magique que pour honorer une promesse dont elle n’est pas parvenue à saisir l’importance sur le moment, qu’elle finit par comprendre. Himmel le héros, le fringuant jeune homme imbu de sa personne mais néanmoins toujours attentif aux besoins des autres, s’est transformé en un vieil homme.
Frieren est une jeune elfe d’une grande intelligence, elle sait que les humains vivent moins longtemps. Elle n’avait simplement jamais suffisamment “connecté” avec l’un d’entre eux pour en prendre pleinement conscience, pour que cette différence de longévité devienne signifiante. La violence du choc émotionnel qu’elle ressentira quelques temps plus tard, à la mort de l’un de ses compagnons, sera lié non pas à cette prise de conscience, ni même à la perte d’un ami, mais à la soudaine compréhension qu’elle n’a fait que flotter à travers sa vie, sans réellement lui prêter attention. Finalement, cette aventure de 10 ans, cet instant passé avec lui, n’aura pas été suffisant pour ne serait-ce qu’envisager d’apprendre à le connaître. La douleur de cette réalisation glisse sur le visage terriblement juvénile de Frieren…
Tous les événements que nous venons de mentionner, et bien d’autres encore, se déroulent dans le premier épisode de la série animée créée par le vénérable studio d’animation japonais Madhouse (fondé en 1972 et associé à une tonne de classiques dont les années 80 sous l’égide de Yoshiaki Kawajiri) et diffusée sur Crunchyroll en France. Cet épisode pose ainsi les bases d’une oeuvre qui bouleverse les codes de la série d’aventure médiévale-fantastique. A la confrontation des éternels héros au non moins éternels donjons et dragons, se greffe une réflexion sur les liens que l’on tisse avec nos proches, les traces que l’on laisse derrière nous, et l’impact que peut avoir sur le long terme le plus insignifiant des gestes. Cette quête de sens et quelque part d’humanité de la part de Frieren, l'amènera à former autour d’elle une nouvelle équipe de héros, pour y incarner un rôle plus décisif, mais aussi plus délicat : celui de mentor.
Le récit de Frieren joue également avec une grande finesse sur la perception du temps quelque peu décalée de son personnage principal. Ses compagnons humains jouent ainsi le rôle de moteurs et viennent contrecarrer l’inertie naturelle de la jeune elfe, qui confine parfois à l’apathie. Une dynamique riche en situations cocasses mais aussi l’opportunité, une nouvelle fois, d’illustrer la singularité de ce personnage, qui se remémore ses aventures passées à travers le prisme des plus récentes, afin d’y puiser enseignements et réalisations.
La parution du manga Frieren a débuté en Avril 2020 dans Weekly Shōnen Sunday. Créé par Kanehito Yamada (au scénario), dont l’anonymat est total (on ne sait rien d’elle, lui ou iel…), et Abe Tsukasa (au dessin), le manga accueille aujourd’hui 11 volumes, publiés en France par Ki-oon à partir de 2022. La série animée, en revanche, n’en est encore qu’à ses débuts. Sa diffusion a commencé en Septembre 2023 et devrait se poursuivre jusqu’en Mars 2024. Sur les 28 épisodes prévus pour cette première saison, 14 ont été diffusés pour le moment.
Frieren est une série qui interpelle immédiatement. Par son pitch bien sûr, qui semble entamer l’aventure à rebours, mais aussi par son personnage principal, qui dans la plupart des J-RPG aurait été secondaire, et grâce auquel le récit prend une ampleur étonnante. L’angle original conféré par cette elfe mage peut être résumé à son visage impassible, que rien, ou presque, ne semble pouvoir troubler. Sur ce visage où les émotions transparaissent rarement, le spectateur trouvera l’opportunité d’y projeter ses propres interrogations sur les contours de l’être humain. Comme ses héros, nous sommes ici tout autant en quête d’aventures qu’en quête de sens. Mais ne vous y trompez pas, les aventures sont bel et bien là ! Si l’action reste clairement en retrait, lorsqu’elle arrive c’est pour mieux surprendre par son intensité et sa résonance avec les personnages dont on a accompagné la lente maturation.
Frieren est également une véritable otaku de la magie dont les liens avec la jeune Fern dépassent largement le rapport “maître à élève” pour se transformer en une relation filiale défiant la logique de l’âge, aussi drôle que touchante. Et ces personnages aux émotions plus ou moins contenues s’éveilleront aussi à de nouvelles expériences, dont la maladresse n’a d’équivalent que la fragile humanité. J’espère que cette série va pouvoir conserver ce niveau de qualité jusqu’au bout ! Et après avoir vu ces 14 premiers épisodes, je me suis dit qu’il était temps de partager mon enthousiasme sur cette dernière, une réflexion finalement assez équivalente à celle de Frieren dans un épisode récent : “Je me suis dit que, de temps en temps, c’était bien de pousser les gens dans la bonne direction” ;-)
(“たまには背中を押してみるのもいいと思ったんだよ” - merci à mon ami Nico, co-créateur du podcast Pixel Bento, pour le coup de “polish” sur la traduction !).
PS : mis à part la photo de la tête de gondole tokyoïte, les images illustrant cet article sont tirées des sites suivant :
Compte X (Twitter) de l’anime : https://twitter.com/Anime_Frieren
Site officiel de l’anime : https://frieren-anime.jp/
Pour plus d’infos sur l’édition française du manga : https://www.ki-oon.com/
Et pour voir la série animée en France : https://www.crunchyroll.com/fr/
Je n'ai pas encore regardé l'anime, mais j'ai lu les premiers tomes du manga, et j'ai trouvé ça absolument génial ! L'idée de base permet d'alterner des passages très drôles avec d'autres beaucoup plus touchants et profonds, vraiment une belle découverte !
Merci pour cette découverte !
J’ai enfin pu voir les 3 premiers épisodes. Je me suis donc permis de lire ton article ce matin.
Cette série aborde tous les thèmes qui me sont chers, m’émeuvent mais aussi font mal. Le temps qui passe, la mort, les souvenirs de relations passées ... mais de façon super intelligente. La mélancolie ambiante m’a conquis dès le premier épisode.
Je suis aussi surpris, agréablement, de la qualité des épisode. Il y a même un feel Guerre de Lodoss, peut être seulement mon imagination, dans la patte graphique. Je ne regarde pas beaucoup d’anime ( je suis plus manga ) mais l’esthétique est superbe.
J’ai hâte de voir la suite.