Exit 8, le film basé sur le jeu…
… que personne n’attendait ! Un huit-clos unique dans le métro tokyoïte, entre épouvante et introspection.

Comme beaucoup de monde, j’ai appris l’existence du jeu vidéo The Exit 8 grâce au bouche-à-oreille.
Et sans doute comme la majorité des personnes qui ont appris l’existence de ce “petit jeu” indépendant devenu un phénomène, j’ai été intrigué par son concept avant de finalement me décider à lui donner sa chance et voir d’où venait la “hype” grâce à son petit prix. Moins de 500 yens, soit environ 4 euros en France, c’est le prix d’un café mais aussi, visiblement, celui que la plupart des gens sont prêts à payer pour satisfaire leur curiosité !
Il faut dire que le pitch du jeu est intriguant.
Et il profite de la réputation (plus que fondée) du Japon quant à sa capacité à créer des récits horrifiques générationnels, qu’ils soient vidéoludiques ou non. Je pense à Ring et Silent Hill bien sûr, mais aussi Cure, Death Note, Spirale (Uzumaki), ou plus récemment l’expérience P.T. de Hideo Kojima et Guillermo del Toro. Ce dernier partage d’ailleurs de nombreux points communs avec The Exit 8, à commencer par une navigation “en boucle” dans un couloir inquiétant et le choix de la vue subjective.

The Exit 8 vous lâche dans un couloir de métro japonais tout ce qu’il y a de plus banal. À priori… Des murs tapissés de carreaux blancs recouverts par intermittence de panneaux de signalisation jaunes et d’affiches publicitaires. Sur le sol, tout aussi blanc, est tracé un parcours jaune à la surface “podotactile” destiné aux personnes non-voyantes.
Je vais me permettre ici un bref aparté ! Sachez que ce système de traçage au sol “à picots” a été inventé dans les années 60 par un japonais nommé Seiichi Miyake. Inspiré par le braille, il porte le nom de “blocs Tenji”, Tenji (点字) étant le nom japonais donné à ce système d’écriture tactile. Ces surfaces “podotactiles” de couleur jaune sont absolument omniprésentes au Japon et ne se cantonnent pas aux couloirs de métro !
The Exit 8 propose ainsi un couloir de métro on ne peut plus réaliste.
Un espace de vie qui fait partie du quotidien de millions de japonais et de japonaises, traversé chaque jour sans que personne n’y prête réellement attention.
Sauf que le couloir proposé par le jeu (et le film) possède une particularité unique : il se répète. Encore et encore. Chaque fois qu’on le traverse, on aperçoit les mêmes affiches, les mêmes panneaux, les mêmes détails, et on croise le même salary man, avec sa chemise blanche, son pantalon de costume noir, sa sacoche, et son air absent.

Après avoir traversé plusieurs fois ce couloir et s’être rendu à l’évidence de l’anomalie vécue, on commence à y prêter attention pour découvrir les règles, négligemment affichées sur un mur, qui sous-tendent son fonctionnement :
Ne négligez aucune anomalie.
Si vous trouvez une anomalie, faites demi-tour sans attendre.
Si vous ne trouvez pas d’anomalie, ne faites pas demi-tour.
Sortez par la sortie 8.
Sur ce principe minimaliste, qui rappelle les jeux enfantins où l’on devait chercher les “erreurs” ou différences entre deux dessins, le jeune développeur kyotoïte derrière The Exit 8 a créé une expérience mémorable. À chaque fois que l’on va au bout de notre couloir, on s’interroge avec angoisse sur le panneau que l’on va découvrir… Est-ce que ce dernier va nous indiquer la sortie 0, signifiant ainsi notre échec et le fait que l’on est passé à côté d’une anomalie pour retourner à notre point de départ ? Ou est-ce que l’on s’est rapproché un peu plus de la fameuse et ultime sortie 8 ?
Fin août, l’éditeur japonais Playism et le développeur Kotake Create ont annoncé que le jeu s’était écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires à travers le monde !
Le destin de ce “petit jeu” indépendant japonais est tout simplement incroyable. D’abord sorti sur PC fin 2023, puis sur Switch début 2024, il est depuis disponible sur toutes les plates-formes, a fait l’objet d’une sortie en boîte (pour un titre qui se termine en moins d’une heure et propose une replay value quasi inexistante !), d’une suite (Platform 8), de publicités et détournements dans le métro japonais, et maintenant d’un film (présenté à Cannes !) ainsi que d’un livre, écrit par le réalisateur du film et auteur du best-seller Et si les chats disparaissaient du monde...

Mais comment une expérience aussi minimaliste a-t-elle pu être adaptée au cinéma ?
Son réalisateur et scénariste, Genki Kawamura, partage dans le petit livret promo du film (le fameux “pamphlet ciné” propre au Japon) avoir été captivé par l’expérience du jeu, qui lui a rappelé le Nô. Comme celle du jeu, la scène de ce théâtre traditionnel japonais, où les acteurs portent des masques, est “un espace extrêmement limité tout en étant infini, où le monde humain est connecté à celui des morts”. Le réalisateur rappelle ainsi que l’apparition de fantômes n’est pas rare dans le théâtre Nô, où la pantomime et la tragédie s’incarnent de façon unique.
Le film étend légèrement (et habilement) le monde du jeu en dotant, par exemple, son personnage central d’un téléphone portable, avec lequel il communique avec sa compagne. Et l’aventure commence dans une rame de métro (et non le couloir) avec une scène d’une violence tétanisante, à laquelle vient se greffer un coup de fil qui va lui aussi bouleverser notre “héros”. Si le film débute en vue subjective, il renonce rapidement à cet artifice de mise en scène pour faire montre d’une grande habileté dans sa manière de dépeindre l’enchaînement de couloir (sans “s”) et la rapide détresse qui vient s’abattre sur notre protagoniste.

Le couloir est une métaphore. Il illustre avec une terrible efficacité ces moments où l’on se repasse, encore et encore, une même scène dans notre tête, en se disant que l’on aurait du réagir autrement. J’aurais du dire ça… J’aurais pu intervenir… Si seulement…
Ce “couloir”, cet espace mental dans lequel on s’enferme pour se torturer l’esprit, tout le monde le connaît je pense.
Mais le film va également creuser la soudaine panique mentale à laquelle est confronté notre “avatar”, panique causée par ce fameux coup de téléphone. Et là on ne peut qu’être admiratif devant la prestation de l’acteur Kazunari Ninomiya, qui s’était déjà distingué chez Clint Eastwood (excusez du peu !) dans le film Lettres d'Iwo Jima.

Avec peu de dialogues, qui ont d’ailleurs été laissés pour la plupart à l’improvisation de l’acteur, il parvient à nous communiquer une belle palette d'émotions. Et c’est avec son corps tout entier, qu’il nous fait ressentir le poids qui s’abat progressivement sur lui lorsqu’il prend conscience de sa situation… Il est désormais prisonnier de ce couloir, enfermé dans cette boucle.
Si le film cède à quelques jump scare finalement assez convenus, j’ai été surpris par les thématiques qu’il parvient à développer, l'inventivité de sa mise en scène (on ne s’ennuie jamais dans ce couloir), ainsi que sa narration syncopée qui n’hésite pas à introduire de nouveaux points de vue (ce qui le distingue une nouvelle fois du jeu).

S’il est adapté d’un “petit jeu” (que je conseille vivement), Exit 8 n’est pas un “petit” film.
Huit clos étouffant, le film parvient à émouvoir là où l’on s’attendait à simplement sursauter. Angoissant, oppressant, brillant dans sa fabrication et son interprétation, il parvient à faire de ce couloir une expérience unique dans le cinéma d’épouvante.
Comme les architectures impossibles d’Escher, dont l’une des oeuvres (Mobius Strip II) fait partie des affiches présentes dans le couloir infini de Exit 8, le film de Genki Kawamura nous étourdi pour mieux nous interpeller.
Je vous conseille d’aller le voir en salles !
Pour l’anecdote, mon épouse et moi avons été voir le film à Tokyo dans une salle 4DX, avec sièges qui bougent, qui filent des coups dans le dos, et nous soufflent dans le cou (et les jambes). Autant vous dire que le public dans la salle (bien remplie) a crié à plus d’une reprise !
PS: Les images du jeu The Exit 8 illustrant cet article ont été capturées par mes soins à partir d’une version commerciale Switch. Les infos factuelles sur le film et ses auteurs sont tirées pour la plupart de la brochure (パンフレット) du film ou de son site officiel japonais. Enfin, les photos promotionnelles du film sont issues du site officiel de son distributeur français, ARP Sélection.



J'ai entendu parler du film au même moment que cette newsletter est arrivée dans mes mails.
Résultat je suis allé le voir, intrigué comme jamais.
Déjà, nombre de séances ridicule à Lyon, quasi que le soir (pire moment pour moi). Je me suis dépêché de peur qu'il soit remplacé un mercredi à l'improviste.
Ensuite... film génial, je recommande ! Il joue avec ce qu'on peut faire dans un film de manière assez virtuose je trouve.
J'ai acheté le bundle Exit 8 + Platform 8 dans la foulée. Merci pour la reco !
J'hésitais à le voir car le concept me semblait difficilement adaptable en film mais tu m'as donné envie